Est-ce que le cerveau vieillit aussi vite que le corps ?
D’ici à 2030, nous travaillerons tous (ou presque) jusqu’à 64 ans. Mais notre ciboulot est-il capable de tenir le choc ? Car au fond, comment vieillit notre tour centrale ? Décryptage et conseils du Dr Christophe de Jaeger, médecin gériatre et chercheur, auteur de “Bien vieillir sans médicaments” (éd. Cherche Midi).
Quand est-ce que le vieillissement du cerveau démarre vraiment ?
Dès la fin de l’adolescence, c’est physiologique ! Les études montrent que la vitesse de circulation de l’information le long du cortex cérébral est maximale à 16 ans. Après, le cerveau rentre dans une phase de sénescence avec une dégradation très progressive et insidieuse de certaines capacités cérébrales.
Cette dégradation ne sera pas visible avant 50 ans, car notre cerveau a beaucoup de réserves. Ce n’est qu’à l’âge de 40, 50 ans, que les premiers troubles de l’attention ou de la mémoire peuvent apparaître. Mais cela ne nous met pas en échec dans notre vie professionnelle car nous avons des stratégies pour compenser (par exemple, noter tous les rendez-vous).
De plus, cette dégradation est équilibrée par l’expérience qui va croître de façon régulière dans le milieu professionnel. Le senior va se retrouver dans des situations où il n’aura pas nécessairement besoin de 100% des capacités de son cerveau, sachant que de manière générale, on le sous-exploite.
L’expérience nous permet donc de compenser les dysfonctionnements qui s’installent ?
Oui, pour utiliser une métaphore sportive, à 20 ans, on court sur toutes les balles, même celles qui sont perdues. Mais pas à 50 ans. On préfère plutôt préparer la suivante. Dans le monde professionnel, cette expérience va nous pousser à écarter certains sujets lorsque l’on sait qu’ils ne mènent à rien.
Et puis, le senior a souvent des gens sous ses ordres. Je me souviens d’un chef d’entreprise qui me disait qu’il n’était plus en mesure de faire le travail qu’il demandait à ses employés (qu’il savait faire au même âge), car il était dépassé par leur vitesse de raisonnement et leurs connaissances. Mais son rôle était désormais celui d’un chef d’orchestre qui oriente, donne le tempo.
Vous recevez de nombreux professionnels “seniors” dans votre cabinet. Quel est l’élément déclencheur qui les fait consulter pour leur “tête” ?
Christophe de Jaeger : Déjà, je veux souligner que l’appréciation du cerveau dans le cadre professionnel est fondamentale et permet des dépistages très précoces de maladies qui ne pourront s’exprimer que 5 ou 10 plus tard.
En général, on ne s’y intéresse que quand celui-ci commence à dysfonctionner, à cause d’une maladie psychiatrique ou de troubles du comportement qui peuvent apparaître alors que la personne est encore en activité.
L’arrivée à la retraite signe plutôt l’apparition des troubles de la mémoire. À ce moment-là, on peut observer une forte altération de la fonction cognitive. Toutefois, je reçois régulièrement des patients encore en activité qui souffrent de ces pertes de mémoire et ont très peur que cela se voie au travail.
On entend souvent que travailler “cache” le vieillissement du cerveau et que tout peut partir en vrille au moment de la retraite. Est-ce vrai ?
Oui, le travail stimule le fonctionnement cérébral. Mais on parle surtout d’activité. Être actif intellectuellement peut se faire aussi au sein d’une association, en s’occupant d’autres personnes. On sait notamment qu’avoir un réseau social est fondamental pour que le cerveau vieillisse bien. C’est souvent le piège de la retraite : les gens s’isolent. Avoir des projets est essentiel pour que le cerveau reste en ordre et continue à créer des connexions.
Peut-on affirmer que le cerveau vieillit moins vite que le reste du corps ?
Cette question est très complexe. On est effectivement surpris par les facultés de certains grands intellectuels qui ont gardé un certain nombre de leurs réflexes. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que ces personnes ont des facultés bien supérieures à la moyenne.
Autrement dit, même s’ils perdent une partie de celles-ci, ils demeurent bien au-dessus du commun des mortels. Cela explique qu’ils peuvent passer à travers les tests. C’est ce qu’on appelle “l’effet plafond”. Mais cela ne signifie pas qu’ils ne connaissent pas de dégradations. En résumé, la capacité à rester brillant en société ne prouve pas que le cerveau ne vieillit pas.
Quels sont vos conseils pour aider le cerveau à bien vieillir ?
Déjà, il faut être très vigilant quand on souffre de stress chronique car cela dégrade le cerveau. Les personnes stressées ont un taux de cortisol élevé dans le sang, et souffrent souvent de troubles du sommeil qui vont créer un cercle vicieux pouvant les mener plus facilement à des pathologies comme l’épuisement et la dépression.
Si le stress provient de la sphère professionnelle, il faut veiller à sa charge de travail, aux conditions qui sont imposées en termes de rendement, et surtout, se poser les bonnes questions le plus tôt possible pour désamorcer le processus.
Pour baisser le niveau de stress, le sport est un outil précieux. Des études ont prouvé que pratiquer 1H de cardio training 3 fois par semaine favorise la sécrétion des facteurs de croissance dans le cerveau.
De plus, l’autre ennemi du cerveau, c’est le sucre, tout comme l’alcool. Il faut donc éviter de consommer ces aliments, voire les supprimer totalement.
Enfin, il ne faut pas hésiter à consulter dès que l’on sent ses capacités diminuer. Il existe de nombreux tests et examens à pratiquer. Si tout va bien, tant mieux ! Sinon, cela peut être l’occasion de rectifier certaines choses en changeant de poste, de travail, ou en mettant en place des stratégies de correction. C’est le rôle du médecin d’entourer ces personnes pour les aider au mieux.