Les bonnes pratiques pour contrer la charge mentale
Dans cette série de l’été, on cherche de l’inspiration ! À commencer par l’une des problématiques de notre décennie : la charge mentale ! Comment s’en débarrasser ? Olivier Bataillard, nous éclaire sur le sujet.
Cet article est issu de l'ancien blog de Swile.
Cet été, nous avions envie de prendre le plein d'inspiration pour la rentrée. Alors nous avons imaginée une série de 4 articles pour parler des bonnes pratiques du bien-être en entreprise.
Pour inaugurer cette série, nous avons fait appel à Olivier Bataillard. Ancien chef d'équipe d'intervention dans les forces spéciales, Olivier s'est reconverti dans le domaine du management et de la gestion des situations de tension. Il travaille depuis des années sur la charge mentale, il nous en parle dans cet article riche en information. Bonne lecture !
Commençons par une première question très générale : qu'est-ce que la charge mentale ?
OB : C'est une notion qui est assez large. On pourrait dire que c'est un ensemble de sollicitations du cerveau pendant l'exécution de tâches. Je dirais que ce sont des tâches que l'on va rencontrer dans la vie de tous les jours. Finalement, on se focalise sur le travail, mais l'être humain est la même personne, dans son cadre professionnel ou dans sa vie personnelle. Sur le plan biologique c'est-à-dire sur le plan de son bien-être – puisque c'est d'abord un bien-être « physico-chimique » –, la dissociation vie pro-vie perso n’existe pas.
C'est un peu un non-sens de vouloir scinder les deux. Mais, si l’on regarde d'un peu plus près les définitions qui sont données, la charge mentale est plutôt associée, en général, à la sphère professionnelle.
Est-ce lié à la charge de travail ?
OB : La charge mentale peut être corrélée à la charge de travail, mais ce sont deux choses différentes. La charge mentale peut provenir d'autres sources. Je peux très bien avoir une charge de travail tout à fait normale ; par contre, ma charge mentale peut être très forte, parce que je n'ai pas de visibilité par exemple.
La charge mentale est plutôt liée à l'organisation neuronale, à l’intérieur de notre cerveau. Évidemment, c'est multifactoriel car cela va prendre en compte les interactions sociales, les origines organisationnelles, mais aussi individuelles, intrinsèquement la manière dont nous sommes constitués.
Votre spécialité est d'éviter d'arriver au burn out. Quel est le lien entre les deux ?
OB : Je dirais que le burn out est la phase ultime de l'explosion de la charge mentale. On n'arrive plus à s'organiser. Je ne parle pas de l'organisation du travail, mais de sa propre organisation cérébrale. À un certain moment, une personne qui se coupe à la fois de tout ce qui est mental, émotionnel, physique, s'effondre. On ne voit pas ce phénomène arriver parce que beaucoup de choses sont liées à l'inconscient.
Y a-t-il quand même des signaux que l'on peut observer pour éviter cela ?
OB : Bien sûr, on a des signaux précurseurs. Premièrement, la fatigue. Car toute cette charge mentale, le « multitâche » réalisé nous demandent de l'énergie. Nous disposons d’un capital énergie, qui, petit à petit, se dégrade dans le temps et va amener de la fatigue physique, de l'irritabilité.
On parle de fatigue émotionnelle, relationnelle, de perte d'envie, car on n'a pas l'énergie pour réaliser une tâche ; on manque de tonicité, on « végète ». Il faut considérer que toutes les dimensions sont impactées en simultané. Et, là encore, il n'y a pas de frontière.
Est-on capable de les prendre en considération pour aller vers un mieux-être ? C'est autre chose.
Nous n'avons pas tous la même résistance face à la charge mentale. Comment, quand on est manager ou au sein d’une équipe, peut-on faire attention à cela ?
OB : Nous sommes effectivement tous singuliers, inégaux en fonction de nos composantes. Le vécu va être important, aussi. Par exemple, la capacité de résilience ne va pas être la même chez quelqu'un qui a l'habitude de « se battre pour sa survie » que chez la personne qui a tout ce qu'il faut dans sa vie, comme la sécurité financière ou un toit.
Il y a une autre façon d'interpréter cette notion de résistance : à vouloir résister aux événements, on renforce l'état que l'on veut combattre. Comme dans les arts martiaux : si je veux faire tomber mon adversaire, il faut que je m'appuie sur l'énergie qu'il me donne. Si je résiste, je vais m'épuiser avec lui. Donc, cette idée de résister à la charge mentale me gêne un petit peu sur le fond, parce que, à mon sens, ce n'est pas le bon raisonnement.
J'ai entendu récemment sur un salon qu'il est intéressant de former un manager. Il faut qu'il soit émotionnellement intelligent, capable de gérer les conflits, d’avoir une communication adaptée à chacun de ses collaborateurs. De manière générale, il faut qu'il ait le bon comportement managérial. Et, en parallèle, il doit assurer les reportings et assurer sa mission opérationnelle, plus technique.
Imaginez que votre jauge de charge mentale est remplie à 100 %, et que vous deviez apprendre un nouveau processus. La jauge passe dans la zone rouge. L'intention est bonne, mais le résultat est inopérant.
Faut-il inclure la formation dans son temps de travail ?
OB : Les personnes à risque sont celles qui veulent bien faire, qui sont hyper-impliquées dans leur travail. Des études récentes montrent que, pour pouvoir apprendre ou mettre en place de nouvelles choses, il faut d’abord en lâcher d’autres. On ne peut pas superposer les tâches en permanence et indéfiniment, c’est ce qui nous mène dans le mur.
Cette situation provient-elle de la manière dont l’entreprise a décidé de s’organiser ou bien à sa propre organisation ? Ou bien est-elle liée à d’autres choses ?
OB : Tout d’abord, il faut rappeler que certaines personnes vont se noyer dans un verre d’eau parce qu’elles estiment qu’elles ont trop de charge de travail. Tandis que d’autres ont une capacité de travail largement supérieure. Certains seront capables de se réguler, d’autres pas du tout.
Concernant l’organisation du travail, je pense qu’il y a à la fois le problème de l’organisation, c’est-à-dire la structuration des activités, mais aussi la manière dont est structurée la communication.
La communication est un paradoxe un peu fou. On entend dire qu’il y a un trop plein d’emails mais qu’en parallèle il n’y a pas assez de communication. On prend l’information, mais on ne sait pas vraiment à quoi elle sert.
Cela fait le lien avec toute l’information qui circule dans l’entreprise et le sens que l’on donne au travail. Les salariés ont besoin de sens pour se projeter. Par exemple, cela implique la capacité d’un dirigeant à transmettre la stratégie, expliquer où il veut aller. Cela va permettre aux collaborateurs de se demander s’ils sont en accord avec cet objectif. S’ils sont en accord, alors ils continuent ; s’ils ne le sont pas, ils vont pouvoir faire un choix, prendre position. Quand on a pas l’information, les questions et les réponses restent dans la tête, et on rumine.
Le troisième point est aussi d’arrêter d’infantiliser les gens. Mais c’est beaucoup plus profond puisque l’infantilisation commence à l’école.
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Quel genre d’actions infantilisent les gens ? Est-ce de trop les superviser, trop les accompagner ?
OB : Oui, trop les prendre en charge, trop les assister. Souvent, dans les entreprises, on donne le travail et on définit le processus par lequel la personne doit passer. Cela fait de bons exécutants. Quand la personne est d’accord avec ce principe, elle va avancer. Lorsqu’elle n’est pas d’accord, le manager va passer son temps à essayer de la faire adhérer et gaspiller inutilement toute son énergie.
Le fait de ne pas infantiliser, c’est laisser de l’autonomie. Nous avons également parlé de donner du sens, de la visibilité. Alors quelles sont les bonnes pratiques ?
OB : Concernant l’individu, il doit reconnaître ses fragilités. Il est juste humain. Il a le droit de ne pas réussir. La perfection n’existe pas, c’est juste une notion subjective. De plus, pour arriver à cette perfection, un salarié peut surinvestir le travail sans que personne ne le voit. Si cela ne se voit pas, le manager ne va pas être en mesure de reconnaître l’investissement du salarié, ce qui amène à des situations de frustration.
Il faut donc apprendre à doser la pression et ne garder que la "pression positive", pour le challenge par exemple.
Le manager, quant à lui, doit être capable de laisser l’autonomie dont on vient de parler, tout en donnant la direction, en faisant confiance, en reconnaissant la capacité à le faire, et en indiquant l’objectif. On n’assiste plus les gens. Le manager les aide quand ils rencontrent un problème technique, mais ils doivent venir le voir avec une solution. Si elle doit être validée, elle le sera, mais l’enjeu est qu’ils proposent une solution.
Il faut aussi avoir une direction pas trop hermétique au changement. C’est également une question de culture d’entreprise ?
OB : Bien sûr, le premier acteur à devoir être impliqué dans ces processus est la direction. Il faut qu’il y ait cette latitude le plus possible. Si elle est inexistante, la direction doit a minima être en mesure de donner une direction, une ligne stratégique. Même si elle ne souhaite pas dévoiler tous les points techniques ou la finesse de la stratégie, au moins que les collaborateurs connaissent la direction, et qu’ensuite ils puissent s’appuyer dessus.
Il faut ensuite faire redescendre l’information aux équipes, pour rentrer dans un modèle de « cohésion implicative », telle que je l’appelle. Un effet démultiplicateur des actions qui sont menées par les collaborateurs par rapport à l’orientation stratégique se met en place, et les conflits sont ainsi limités.
Cerise sur le gateau, quand on est capable de montrer que ce qui a été fait donne des résultats, sans que ce soit « écrit dans le manuel », on a moins de turnover, moins de conflits, les relations sociales sont meilleures entre la direction et le personnel ; c’est au final bénéfique.
Comment un manager peut percevoir que son équipe a une charge mentale trop importante ? Que peut-il mettre en place pour détecter cela, si sa sensibilité est déjà « dégradée » par sa propre situation ?
OB : C’est une question compliquée. Pour moi, un manager qui n’a pas la capacité à se détendre un peu, s’il est déjà dans une dynamique d’accélération, ne verra pas le reste. À l’inverse, un collaborateur qui aurait, lui, cette capacité à ralentir, à s’écouter, va passer un peu pour le vilain petit canard auprès du manager qui ne va pas comprendre pourquoi il ne travaille pas autant que lui.
On entend parfois un manager dire à un de ses collaborateurs qui s’en va à l’heure à la fin de sa journée : « tu as pris une RTT ? ». C’est parce que le manager lui-même travaille énormément et ne s’arrête plus. Il va le traduire ainsi, et cela va générer d’autres désagréments.
Le questionnaire est un bon outil, il donne une tendance, mais il est insuffisant. Pour qu’il fonctionne il faut en faire très régulièrement et observer ce qui bouge, le corréler avec des indicateurs comme le turnover, les arrêts de travail courte durée, des éléments factuels.
Je pense que la vraie action que l’on peut travailler, c’est se demander comment on peut transformer cette machine qu’est l’entreprise pour appliquer le principe de ralentir quand tout s’accélère. Quand tout est en mode accéléré, les moins résistants et les plus impliqués vont craquer en premier, et d’autres suivront.
Quand on est en phase d’épuisement, que faut-il faire, concrètement, pour remonter la pente ?
OB :💡 Il s’agit de faire un arrêt sur image. Prendre en compte tout ce qu’il y a dans sa vie en matière de tâches, puis les classer : celles qui donnent du plaisir, celles qui ne donnent pas de plaisir, celles que l’on a à la maison, celles que l’on a au travail.
Ce tableau donne une vision de ce que l’on fait réellement, et non les tâches de sa fiche de poste. À partir de là, on peut se demander ce dont on a besoin. Si l’on veut ralentir, il faut supprimer des choses et trouver l’équilibre.
C’est la raison pour laquelle c’est une bonne chose de se faire accompagner pour le faire. Seul, on n’a pas assez de recul. Une tierce personne va aider à y voir plus clair. On ne parle pas d’accompagnements de thérapie ou de coaching où il faut 20 séances. Parfois, 1 ou 2 séances suffisent. On fait un « touch and go », on aide à ouvrir les yeux sur la situation.
Les personnes qui sont dans la descente répondent toujours par « oui, mais », « oui mais ça ce n’est pas possible », « oui mais ça j’ai déjà essayé ». En vérité, il y a encore plein de choses à essayer. Elles n’ont jamais pris le temps de se poser 1 heure parce qu’elles n’ont pas cette heure.
C’est comme lorsqu’on nous dit qu’on n’a pas le choix. Il faut arrêter d’être dans cette infantilisation, parce que c’est une posture d’enfant que l’on retrouve.
Je pense qu’il faut retrouver une position adulte-adulte dans l’entreprise et la première étape est d’inciter les collaborateurs à se pencher sur le sujet.
La deuxième chose à faire est d’évacuer les tensions négatives. Il existe des techniques de libération émotionnelle, par exemple, qui vont permettre de libérer ce qui est en nous. On parle de la charge mentale, mais on peut lui associer la charge physique et la charge émotionnelle puisque, une fois de plus, on est la même personne. Je pense que les deux autres types de charge ont un lien avec la charge mentale. C’est un ensemble.