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Fatigués avant même d’avoir commencé à rebosser : le burnout des sans-emploi

Normalement circonscrit aux travailleurs en emploi, le burnout peut-il également survenir durant une période d’inactivité ? C’est en tout cas ce qu’avance un article de la BBC. Un abus de langage qui a cependant le mérite de mettre en avant un état de mal-être qui peut facilement survenir durant ce moment de “vide”.


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Le chômage, une plaie pour la santé mentale ? Un rapide tour de la littérature le confirme instantanément. 34 % des chômeur⸱euse⸱s contre 16 % des personnes en emploi témoignent de troubles psychologiques, notamment dépressifs et anxieux, en particulier chez les plus de 50 ans (Buffel, Missinne et Bracke, 2017). Dans la durée, le bien-être psychologique diminue au chômage (Paul et Moser, 2009), tandis qu’augmentent les troubles de l’humeur ou de l’anxiété (Blasco et Brodaty, 2016)”, peut-on lire dans cet article scientifique.

Un abus de langage… mais un effondrement réel

Pour autant, peut-on parler de burnout comme le suggèrent nos confrères outre-Manche ? Pour Julie Garel, psychanalyste et consultante en psychologie du travail, qui a suivi pendant 2 ans des personnes atteintes par un burnout, ce terme est normalement dévolu aux personnes en activité car un certain nombre de symptômes doivent se retrouver sur le lieu de travail.

Mais voilà qu’on l’emploie aujourd’hui à toutes les sauces, y compris pour les personnes au chômage, très certainement parce qu'il est devenu plus “mainstream” que l’emploi d’un qualificatif comme “symptôme dépressif”. Dans tous les cas, il s’agit d’un passage à vide, voire carrément d’un effondrement physique et psychique, pointe Julie Garel.

Et puis, trouver un job ressemble à s’y méprendre… à un job (chômeur, c’est une bonne situation ça ?). “Beaucoup de demandeurs d’emploi sont confrontés à un cycle frustrant et chronophage de soumission de candidatures, et tout cela en vain”, peut-on lire dans l’article de la BBC qui note que les employeurs se limitent souvent à “un refus sec ou ne répondent même pas”.  En plus de ce marathon des candidatures, la période de chômage succède le plus souvent à une période éprouvante, que l’on ait été remercié ou que l’on ait décidé de quitter son emploi.

Finalement, tous les ingrédients sont réunis pour une bonne déprime ! “Le lâcher-prise que l’on n’a pas forcément pu vivre lors de son précédent job peut survenir durant la période de chômage, car il y a enfin l’espace nécessaire pour que cela s’exprime”, pointe Julie Garel.

En psychiatrie, cela s’appelle une “décompensation”. Plus précisément, c’est la perte de cadre qui peut mener à une crise de sens, la personne sans emploi n’ayant plus de prise sur son utilité sociale. “D’un coup, il n’y a plus l’écran du métier qui permettait de ne pas se confronter à soi”, poursuit notre experte.

Qui suis-je au chômage ?

Ce passage à vide, Alexane Roux l’a expérimenté. Entrepreneure depuis ses 21 ans, elle a revendu l’une de ses startups alors qu’elle était enceinte de 7 mois. “Au moment de la vente, je frôlais déjà le burnout, mais la période qui a suivi a été difficile, car j’ai accumulé les problèmes personnels : des soucis de santé sévères pour ma fille, un déménagement suivi d’un gros sinistre sur la maison… Cela nous a plongés avec mon conjoint dans une grande incertitude financière, à tel point que j’ai fini par postuler pour des jobs (la mort dans l’âme) alors que je n’avais jamais été salariée. Pour moi, retrouver un job de salarié me créait plus d’insécurité psychologique”, se souvient-elle.

Une mauvaise passe durant laquelle Alexane a eu l’impression de se perdre dans le champ des possibles, avec cette impossibilité de se mettre dans une case de par ses multiples compétences développées à travers l’entrepreneuriat. Baisse de créativité, de vision, d’envie, pleurs fréquents, insomnies, ruminations… “J’avais l’impression de n’être plus que mère au foyer et j’avais même du mal à assumer ce rôle, mes relations sociales s’étaient distendues, bref, pendant un an, j’étais vraiment mal dans ma peau”, témoigne-t-elle.

“Je passais des heures sur mon écran le matin à scroller LinkedIn sans qu’il ne se passe grand-chose”

Sophie a, elle aussi, vécu une bonne phase de déprime durant une année. C’est après avoir négocié une rupture conventionnelle avec son ex-employeur que la spirale a démarré. À l’origine, la mère de famille démissionne de son job de cheffe de projet dans une association, car elle ne parvient plus à s’investir dans sa vie de famille comme elle le souhaiterait (beaucoup de travail les soirs et weekends). Sauf que, elle n’a aucune idée de ce qu’elle recherche pour la suite.

Comme Alexane, des éléments de sa vie personnelle viennent se greffer à ces moments de doute avec la perte d’un proche. Ses journées se suivent et se ressemblent, la culpabilité planant toujours dans un coin de sa tête. “J’étais complètement démotivée. Je n’arrivais même pas à faire des choses simples comme commander un album photo. Je passais des heures sur mon écran le matin à scroller LinkedIn sans qu’il ne se passe grand-chose. Je broyais du noir d’autant que je me documentais beaucoup sur les questions écologiques, ce qui ne venait qu’accentuer mon anxiété et ma déprime. L’après-midi, je me bougeais un peu pour faire du ménage et préparer un repas convenable pour les enfants, sachant que je culpabilisais d’autant plus de mon inactivité que mon petit dernier était gardé”, se souvient-elle, ajoutant avoir perdu le peu de confiance en soi qu’elle avait au préalable.

🌴 Les signaux de mal-être à ne pas négliger selon Julie Garel
  • Une fatigue chronique alors qu’on ne travaille pas;
  • Une perte de goût à faire les choses, y compris les basiques (cuisine, hygiène, etc);
  • Un isolement social (un sentiment de honte peut facilement émerger);
  • Une irritabilité qui peut se déporter sur les membres de la famille (frustration et sentiment d’impuissance de ne pas travailler);
  • Des pensées envahissantes (repenser aux mots d’un collègue avant son départ, etc). “On se raccroche à des éléments extérieurs, à son passé, pour ne pas regarder en soi”, relève Julie Garel.

Alors, se laisser dériver ou s’opposer ?

Même si personne n’a envie de côtoyer sa part d’ombre, cela s’avère souvent nécessaire de s’y confronter. Parfois, le mal-être ressort durant une période d’inactivité parce qu’il n’y avait aucun espace jusque-là pour le faire éclore. “Si vous écoutez les belles histoires de rebond après un burnout, c’est parce que les personnes ont accepté de se prendre un mur, plutôt que d’être dans le déni, analyse Julie Garel.

Cependant, accepter ce mal-être ne signifie pas demeurer dans l’inaction. Déjà, cela commence par s’observer : quelles sensations corporelles nous assaillent (douleurs à l’estomac, sentiment d'oppression à la poitrine…). Les maux physiques en disent long sur nos émotions !

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Agir, c’est enfin et surtout avoir le courage de sortir de cette boucle dépressive pour aller au cœur du problème en partant à la recherche de cette identité flottante. Par exemple, on peut opter pour un bilan de compétences (à condition qu’on en fasse quelque chose à la sortie).

C’est le choix opéré par Sophie qui a rejoint une association au bout de 6 mois de chômage. Suivi individuel, cours de gestion du temps, ateliers pour gérer sa posture… “Chaque semaine, j’avais des attendus, et cela m’a permis de me remettre en marche. Alors certes, je continuais à culpabiliser face à certains autres participants du progamme qui étaient au taquet, mais j’ai senti un mieux être”, raconte-t-elle.

Au final, Sophie n’a pas trouvé son Ikigaï, mais a signé pour un job alimentaire lui permettant de s’investir auprès de sa famille. “Pour l’instant, ça me satisfait, je n’ai pas envie d’avoir de pression”, concède-t-elle.

Quant à Alexane, cette période d’errance a eu le mérite de faire émerger son nouveau projet : elle accompagne aujourd'hui des femmes entrepreneures pour les aider à prendre confiance en elles et voir plus grand avec L’Académie 100K. “Heureusement, je n’ai pas accepté de boulot salarié, car j’aurais été malheureuse. J’ai fait un gros travail d’introspection en lisant de nombreux livres, et j’ai finalement créé un projet plus grand que je l’aurais imaginé”, se réjouit-elle.

Finalement, “affronter une période de vide requiert du courage, celui d’aller découvrir qui l’on est, au-delà de son identité professionnelle”, conclut Julie Garel.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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