société

“On m’a annoncé que j’avais un cancer le 1er jour de mon 1er CDI”

Que feriez-vous si on vous annonçait que vous étiez atteint.e d’un cancer… le premier jour de votre 1er CDI ? C’est l’histoire d’Aurélie.


5 min

“Le travail a fait partie de ma rémission et de mon combat”. Ces mots résument à eux-seuls le combat qu’a dû mener Aurélie. Mais pour bien comprendre, il faut rembobiner la cassette. Nous sommes le 3 janvier 2011 à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Aurélie a 26 ans, et c’est le premier jour de son premier CDI. C’est aussi le jour où on lui diagnostique un cancer : un lymphome de Hodgkin.

Il est 9h du mat, je suis censé être au taf, comment je vais annoncer ça à mes boss ?”

Aurélie se souvient de sa première réaction : “Je ne comprends pas tout de suite ce que c’est et je lui demande : ‘Comment on soigne cette maladie ?’ Elle me répond : ‘par une chimio’. Et là mon monde s’écroule parce que chimio = cancer. C’est un cataclysme”.

Après avoir appelé ses parents et son mari, vient se poser une autre question : “Il est 9h du mat, je suis censé être au taf, comment je vais annoncer ça à mes boss ? Ça va être quoi ta vie ? Et j’ai un stress à l’idée de devoir leur annoncer. À aucun moment, je me dis je ne vais pas bosser”.

Le message est délivré dans une salle de réunion : “La scène est surréaliste, même quand j’y repense encore aujourd’hui”. Immédiatement, on lui dit de prendre le temps qu’il faut et que “l’important est de [se] soigner”. Il n’empêche… Aurélie doute.

J’ai le stress de me dire : ‘je vais peut-être pas assurer dans les mois qui arrivent’. Et ma vie perso, je ne sais même pas ce qu’elle va devenir.

Les lendemains de chimio, j’étais au fond… mais dès le lundi, je revenais en force !"

La professeure qui lui l’a diagnostiquée lui propose un arrêt de travail de 4 mois. Pas du tout envisageable”, dit-elle à rebours avec un grand sourire avant de tempérer “mais je comprends qu’il y ait des gens qui ont besoin d’être arrêtés”. Très vite, elle comprend que la chimio va être longue au rythme d’un jour par semaine à hôpital pendant 4 mois. “Je ne pensais pas pouvoir travailler, mais je ne me laissais pas le choix de le faire”.

“Quand tu traverses un cancer, rien n’est linéaire, mais 50% de la guérison, c’est le mental, explique-t-elle. “Tu es dans un combat pour rester en vie. J’ai réussi à me maintenir car si j’étais restée chez moi à regarder le plafond, j’aurais déprimé, donc je me suis mis un énorme coup de boost pour gérer le travail. Tu fais au fil de l’eau en fonction de comment tu te sens."

Les lendemains de chimio, j’étais au fond… mais dès le lundi, je revenais en force ! Tu avances !

“Tous les médecins m’ont demandé de me raser la tête. J’ai refusé. Et je n’ai pas perdu mes cheveux.”

Outre la maladie, c’est aussi le regard des autres qu’Aurélie doit gérer. “Mon obsession étaient que les gens ne le sachent pas. Parce que c’est hyper difficile d’être vue comme une malade. Et puis il y a aussi le sujet d’une potentielle remise en question de ta performance, il y a ton apparence physique. Mon obsession, c’était de ne pas perdre mes cheveux. Tous les médecins m’ont demandé de me raser la tête. J’ai refusé. Et je n’ai pas perdu mes cheveux. J’en suis hyper fière”, lâche-t-elle dans un large sourire. Un détail pour certains, mais un symbole d’une lutte que l’on ne veut pas perdre.

Le soutien et la présence de ses collègues a été l’un des placebos de son combat : Le travail a fait partie de ma rémission et de mon combat. C’est ce qui m’a permis de rester en mouvement perpétuel et de maintenir des relations sociales. L’entourage est primordial. Mes collègues ont été très présents. Toutes les semaines, j’avais des colis avec plein de choses dedans. Ça n’a pas de prix”.

Et de donner un exemple très concret : “À chaque chimio, ils m’envoyaient des tonnes de magazines de meufs. J’étais refaite de bouquiner !”. Une attention simple qui en dit long sur l’importance des proches dans le processus de rémission.

Si je m’étais retrouvée dans un autre cas de figure, je pense que je ne me serais peut-être pas levée tous les jours pour aller bosser.

Désormais Aurélie est à son compte, elle a 12 ans de plus et surtout deux enfants. Referait-elle le même choix en fonçant tête baissée dans le boulot ? Elle hésite et rétorque : “Je pense que le taf me maintiendrait toujours à flot”. Ça n’a pas changé sa façon de bosser en soi, mais ça a renforcé ses convictions : celles de bosser “pour des projets qui ont du sens”, avec des gens qui “partagent [ses] valeurs”.

Le cancer, un véritable tabou au travail

“Je suis complètement guérie aujourd’hui, et j’en suis la plus heureuse, mais pendant 10 ans tu es suivie, tu as cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. J’avais déjà une bonne base pour profiter de la vie, mais aujourd’hui, je vis comme si demain ça pouvait s’arrêter”

Aujourd’hui, le cancer reste la première cause de mortalité prématurée en France. Un tabou, un mot qui fait peur. Pourtant, la parole doit se libérer au sein du travail. “Les sociétés doivent s’engager, c’est montrer l’importance du salarié dans l’entreprise. Quand il t’arrive une tuile énorme comme celle-ci… tu es en soutien. C’est grâce aux salariés que ta boite tourne, donc quand il leur arrive un truc, sois là”.

Et d’enchaîner : “C’est impossible de se dire qu’on n'aborde pas ce sujet au travail quand on est malade. Surtout, c’est impossible que ça reste un tabou parce que ça l’est. Moi-même, à l’époque, je n’avais pas du tout envie d’en parler. En parler, c’est primordial… et en même temps, c’est la première fois que je le fais”, confesse-t-elle dans un ultime sourire.

Yannick Merciris

Head of Editorial The Daily Swile

Journaliste qui aime autant les mots que le ballon rond. Vu que je gère mieux le premier que le second, j’ai décidé […]

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