Faut-il vraiment changer de boite… pour être plus augmenté ?
On a coutume de penser que pour gagner un peu plus de pépettes, il faudrait changer d’entreprise. Pourtant, une étude publiée par l’INSEE semble indiquer le contraire… Et si la fidélité était récompensée ?
Changer de job pour gagner plus ? C’est la stratégie souvent adoptée par les salariés. Et ce ne sont pas les experts en rémunération qui vont les contredire. Pour Virgile Raingeard, CEO de Figures, “en postulant ailleurs, vous pouvez raisonnablement espérer 10% de mieux que l'éventuel gain que vous auriez obtenu en renégociant dans votre entreprise”. En 2021, selon une étude du cabinet Deloitte, 45 % des salariés en poste n'ont pas bénéficié d'augmentation de salaire et 30 % ont grapillé... moins de 2 %. La question qui vous brûle les lèvres maintenant, c’est de savoir pourquoi ? Il y a plusieurs raisons à cela.
1# On ne quitte pas un job si aisément (et votre employeur le sait)
Selon le CEO de Figures, il existe une forme d’inertie du salarié : il n’est pas si facile de quitter un job, et les entreprises en ont bien conscience. C’est ce qu’il appelle l’effet téléphonie mobile (les opérateurs mettent plus d’énergie à capter de nouveaux clients qu’à les retenir). Une analyse partagée par Xavier Meulemans, fondateur de Blueprint Advisory et Ex Total Rewards & HRIS Director chez l’Occitane : “même si un collaborateur n’a pas été augmenté depuis un ou deux ans, son manager ne va pas se dire que c’est cela qui va le conduire à quitter son job s’il est payé dans une fourchette raisonnable”, analyse-t-il.
Changer d’emploi a toujours un coût pour le salarié, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle pour attirer un candidat, il faut intégrer en quelque sorte une prime de risque. “Quand on quitte son travail, il y a toujours la possibilité de ne pas passer sa période d’essai, c’est pourquoi on quitte généralement un job pour un meilleur salaire”, poursuit-il.
2# Les enveloppes d’augmentation sont plus rigides
De plus, comme le souligne Virgile Raingeard, les augmentations salariales sont soumises à des cadres et des règles rigides. C’est aussi ce qu’a pu observer Xavier Meulemans dans sa pratique. Suite aux NAO (négociations annuelles obligatoires), les managers disposent d’une enveloppe non extensible. Celle-ci peut être absorbée par un collaborateur qui prend en responsabilités, ou encore servir à opérer un rattrapage si des inégalités salariales existent à poste équivalent (ce qui va très certainement se produire dans les années à venir avec la nouvelle Directive européenne sur la transparence des rémunérations).
Parfois même, les augmentations salariales sont gelées en raison d’une mauvaise santé économique de l’entreprise. “A l’inverse, le budget pour les embauches est plus flexible, notamment car il n’a pas les mêmes conséquences sur le budget global. Ce ne sont pas les mêmes enveloppes et on parle davantage de fourchettes. Donc un candidat qui négocie bien peut tirer vers le haut la fourchette, ce qui peut représenter un changement très significatif pour lui versus ce qu’il aurait obtenu en restant dans le même job”, indique Xavier Meulemans.
3# L’entreprise n’a pas forcément d’opportunités ouvertes
Le troisième point qui explique cette stagnation salariale est l’impossibilité pour une entreprise d’accéder à la requête de son salarié, “soit parce qu’elle estime qu’il ne mérite pas la promotion qu’il demande, soit parce qu’elle n’a pas de poste ouvert”, explique Virgile Raingeard. A ce moment-là, le travailleur a plus de chances de trouver cette opportunité ailleurs ou de convaincre qu’il vaut un salaire supérieur, “cela peut s’expliquer par les biais lors des entretiens”, ajoute-t-il.
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Ces salariés fidèles qui ont été gagnants
Maintenant que l’on a dit ça, place à l’étude qui chamboule tout ! En effet, l’INSEE a révélé que les salariés fidèles à leur structure ont été gagnants : leur salaire a augmenté de 5,7% en moyenne, contre 2,9% pour les employés qui ont trouvé une nouvelle entreprise entre fin 2021 et fin 2022. Là encore, comment expliquer ces chiffres ?
1# L’aventure ne s’arrête pas toujours à l’initiative du collaborateur
Déjà, on ne choisit pas toujours de quitter une entreprise, parfois, c’est elle qui nous quitte : non-renouvellement de CDD, licenciement, etc. Dans ces cas-là, point de bond de salaire. L’ex collaborateur devenu candidat n’est pas en position de force pour négocier lors de sa prochaine aventure, car on est toujours plus attirant quand on est déjà en couple !
2# Le salarié fidèle peut bénéficier d’une jolie mobilité interne…
Ensuite, on peut être gagnant à rester dans une entreprise parce que l’on en connaît les rouages. “Un collaborateur qui reste longtemps dans une entreprise peut identifier ses réseaux informels et bien se positionner pour des opportunités en interne”, affirme Xavier Meulemans.
3# … et profiter des joies de l’actionnariat salarié !
Aussi, plus on reste dans une entreprise, plus on a de chances de bénéficier de primes d’intéressement et de participation. “Quand on évoque la rémunération, on pense souvent au salaire de base mais cela est loin de refléter l’ensemble du package ”, souligne Xavier Meulemans. Or, la plupart des actions ne peuvent être débloquées qu’à l’issue d’une période de 3 ou 4 ans. Et puis, dans certaines conventions collectives, il peut y avoir des primes d’ancienneté assez importantes. Autant de mécanismes conçus pour accroître la fidélité des salariés. De plus, “en 2021 et 2022, les entreprises ont versé des primes exceptionnelles, les fameuses “primes Macron”, ce qui peut aussi expliquer ces chiffres de l’INSEE”, relève de son côté Jean-François Fruchtman, consultant RH.
50 nuances de thunes
D’ailleurs, comme le souligne l’INSEE, il s’agit d’une cartographie de la situation à un instant T. Tout s’évalue au cas par cas. Par exemple, le changement d’employeur bénéficie aux personnes en CDD, qui gagnent 13,2 %, contre +7,8 % pour ceux restés dans la même entreprise. À l’inverse, les individus en CDI “mobiles” ont subi une perte salariale de 2,8 points par rapport aux autres.
De plus, l’étude souligne que les moins de 30 ans ne pâtissent pas du changement d’entreprise, au contraire. “Il est évident qu’un jeune, qui plus est bien diplômé et sur un marché en tension, a le plus souvent intérêt à changer d’entreprise. À l’inverse, c’est moins évident pour un senior qui est arrivé au sommet de sa carrière”, poursuit Jean-François Fruchtman, le consultant RH. Pour Xavier Meulemans, l’expert en rémunération, il n’est effectivement pas rare de voir des concurrents “faire leur marché” en allant piquer des jeunes bien formés mais pas assez rémunérés.
On vous a perdus avec toutes ces études contradictoires ?
Vous ressentez des velléités de départ de votre entreprise actuelle ? Mais notre article a instillé le doute dans votre tête. Voici quelques conseils pour retrouver le Nord avec Marie Menini, Fondatrice des “Queens de la négociation”.
Réfléchissez bien au coût du changement
En dehors de toute considération financière, il est important de vous demander si vous serez bien dans cette nouvelle entreprise en termes de logistique, de culture d’entreprise, de secteur d’activité, d’opportunités d’évolution. Changer d’employeur représente un coût important en termes d’adaptabilité et de connaissance de l’entreprise qu’il ne faut pas négliger.
“Je crois qu’il faut sortir de cette vision romantique du “je pars, je te quitte”, parce que l’on a des frustrations. Je recommande vraiment de prendre des recommandations de salariés déjà en poste dans la nouvelle entreprise pour s’assurer que l’on sait où l’on va mettre les pieds. Oui, gagner plus d’argent, c’est important, mais vibrer au quotidien pour son travail l’est tout autant”, recommande-t-elle.
Assurez-vous d’avoir fait le tour du sujet en interne
Pour ne pas avoir de regrets en quittant votre entreprise, soyez sûr de vous être suffisamment battu pour y rester si vous vous y sentez bien. “Dans 99% des cas, quand on n’arrive pas à négocier, c’est que l’on n’emploie pas la bonne méthode, que l’on n’a pas les bons arguments, la bonne posture”, affirme Marie Menini.
En jouant carte sur table, on en ressort de surcroît avec un sentiment de puissance et de responsabilité envers soi-même. Souvent, il se joue bien plus qu’une simple question d’argent quand on se sent lésé. “Négocier peut permettre de lutter contre certaines résistances internes et de faire évoluer l’entreprise vers un management plus vertueux. C’est ce que j’ai pu observer avec l’une de mes coachées”, illustre Marie Menini.
Évitez de reproduire les mêmes erreurs
Changer d’employeur, cela peut être bénéfique bien entendu, mais attention à ne pas répéter les mêmes erreurs dans 3 ou 4 ans. “Pour moi, les statistiques montrent un gain à court terme car sur le moyen et le long terme, les erreurs du passé sont souvent répétées”, analyse l’experte en négociation. Et parmi les erreurs courantes, il y a cette envie d’être le parfait élève au démarrage, de s’intégrer parfaitement, et d’en fournir plus que ce pour quoi on est payé.
C’est naturel et louable, mais il ne faut pas hésiter à valoriser activement sa contribution, et ce, dès le départ. “On peut demander un entretien régulier avec son manager pour qu’il soit bien conscient de notre valeur ajoutée, ce qui facilitera une augmentation lors de la révision annuelle. D’ailleurs, j’encourage les nouveaux arrivants à renégocier au bout de 6 mois leur salaire, car ils en font généralement bien plus que ce qui était prévu sur leur fiche de poste”, recommande-t-elle. Et d’ajouter : “on est souvent reconnaissant envers son employeur de nous fournir du travail, mais l’inverse est vrai aussi !”