société

La 1ère entreprise française à avoir mis en place le congé fausse couche

Une femme sur 10 est victime de fausse couche dans sa vie. Une statistique moyenne qui interpelle autant qu’elle effraie. Pourtant, aucune loi en France ne prend en compte ce grand problème de société et de santé. Rencontre avec l’homme qui a mis en place le premier congé fausse couche en France.


5 min
29 décembre 2022par Yannick Merciris

Statistiquement, une femme sur 10 est victime de fausse couche dans sa vie. Un chiffre peu connue mais qui touche énormément de personne. Pourtant, en France, aucune loi ne mentionne ni ne s'attarde sur ce fléau de santé publique. La solution viendra peut-être du monde civil alors ? Critizr a été la première entreprise française a instauré le congé fausse couche afin que “la souffrance ne soit pas un frein à la réalisation professionnelle”. Entretien avec Xavier Molinié, VP of HR de Critizr, l’homme qui a rendu cela possible.

The Daily Swile : Le congé fausse couche, c’est quoi exactement ?

Xavier Molinié : Toute femme qui subi une fausse couche est autorisée à prendre des jours de repos, et le 2e parent y est autorisé aussi. Si c’est un parent qui est chez nous, dont la femme n’est pas de notre entreprise, il a aussi le droit à des jours de repos pour congé fausse couche. On parle de 5 jours. Reconnaitre la souffrance, c’est la démarche qu’on a eu en mettant en place le congé fausse couche. On a pris de l’avance en l’instaurant.

“Qu’est-ce qu’on peut faire pour que la souffrance ne soit pas un frein à la réalisation professionnelle ?”

Comment est née l’idée du congé fausse couche ?

Notre CEO, Nicolas Hammer, a été alerté par quelqu’un de son environnement en lui disant qu’une amie allait publier un article dans Le Monde sur le congé fausse couche. Il m’a dit : “Tiens, regarde, creuse la question”. C’est parti de là.

J’ai exploré la question, je me suis rendu compte que certains pays comme la Nouvelle-Zélande ou le Canada avaient mis en place des solutions, qui n’étaient d’ailleurs pas toutes satisfaisantes, car c'étaient des jours non rémunérés. C’était une forme de pénalisation de la situation.

Quand on parle “avantages” en entreprise, on pense souvent titres-restaurant, rémunération, on pense au cash, mais il y a de plus en plus d’autres choses aujourd’hui qui prennent de l’importance. Chez Critizr on a une vraie réflexion autour de la souffrance et du temps. Le temps devient une valeur extrêmement chère. On a du mal à prendre du temps pour soi ou pour les autres. On s’est demandé : qu’est-ce qu’on peut faire pour que la souffrance ne soit pas un frein à la réalisation professionnelle ? Quand on vit une situation douloureuse, c’est important de savoir qu’on a le temps de se remettre d’équerre.

“Ne pas être dans l’obligation de venir travailler alors qu’on souffre”

Pourquoi 5 jours, et pas 10 ou 30 ?

On s’est posé la question. Qu’est-ce qui peut correspondre ? Dans les conventions collectives, il y a des congés pour des décès de personnes proches qui varient entre 1 et 3 jours. On s’est dit qu’une fausse couche, c’est assimilable donc on a pris une fourchette haute en donnant 5 jours. L’idée, c'est de ne pas être dans l’obligation de venir travailler alors qu’on souffre.

Que dit la loi en France sur ce sujet ?

La loi en France ne dit rien là-dessus. Ou alors c’est dans le cas d’un arrêt de travail vu avec son médecin traitant. Il n’y a pas de législation en la matière si ce n’est de dire : Jusqu’à la 21e semaine, la fausse couche qui arrive, c'est comme s'il ne s’était rien passé et à partir de la 22e semaine, ça devient un congé maternité. Ce qui est quand même une bizarrerie en termes de terminologie par rapport à un jour d’écart. On passe de rien à congé maternité.

On a décidé d’appliquer ça dans un environnement de confiance, on ne va pas demander à la femme de nous remettre un arrêt de travail. Elle va nous déclarer sa volonté de bénéficier du congé fausse couche par un simple mail.

“Il n’est pas question d’éliminer une souffrance parce qu’elle appartient à un sexe plus qu’à l’autre”

Certains évoquent une atteinte à la confidentialité ou à un renvoi à la condition de femme d’une collaboratrice…

Quand quelqu’un souffre d’un cancer et qu’il est absent, tout le monde sait qu’il n’est pas là parce qu’il est en soin. Il n’est pas pénalisé pour autant. Je crois que chacun est suffisamment sage aujourd’hui pour reconnaitre la souffrance de l’autre.

On a mis en place simultanément un congé pour règles douloureuses parce que c’est une problématique voisine. Ce sont des marqueurs de différences physiologiques qui ne doivent pas être des marqueurs de différences sociales ou de réussite professionnelle. Ça a soulevé beaucoup plus de débats. On a eu des gens qui nous ont dit : “C’est victimiser la femme, la renvoyer à sa condition, c’est la dévaloriser”. Mais c’était très marginal. Il n’est pas question d’éliminer une souffrance parce qu’elle appartient à un sexe plus qu’à l’autre

“Pourquoi on a intégré dans le code du travail la problématique du soin lié au cancer et pas cette souffrance là ?”

Pourquoi c’est si tabou en France ?

Une femme sur 10 fait une fausse couche dans sa vie, c’est colossal. Une femme sur 10 souffre d’endométriose. Il y a des problématiques de souffrance dont la femme est physiologiquement victime. Si on veut vraiment travailler une égalité des chances et donner aux femmes tous les moyens, il est important de prendre en compte ces différences physiologiques fondamentales.

L’histoire du rapport entre les hommes et les femmes n’est pas encore arrivée au bout de son évolution. Quand on regarde les conseils d’administration, ils sont principalement composés d’hommes plus que de femmes. La part de la femme n’est pas encore au niveau auquel il devrait être dans la société. Et pourtant il y a des exemples avec la Première Ministre finlandaise ou néo-zélandaise. Je pense donc qu’il faut légiférer. Pourquoi on a intégré dans le code du travail la problématique du soin lié au cancer et pas cette souffrance-là ? Je suis ravi qu’on ait montré l’exemple. N’attendons pas la loi pour agir.

Yannick Merciris

Head of Editorial The Daily Swile

Journaliste qui aime autant les mots que le ballon rond. Vu que je gère mieux le premier que le second, j’ai décidé […]

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