Le « contrat psychologique », la nouvelle étoile polaire des organisations ?
Cet article est issu de l’ancien blog de Swile. C’est un terme qui vous est certainement inconnu. Pourtant, la rupture de ce […]
Cet article est issu de l'ancien blog de Swile.
C’est un terme qui vous est certainement inconnu. Pourtant, la rupture de ce que l’on nomme le « contrat psychologique » pourrait expliquer en partie le phénomène de la Grande Démission qui a récemment secoué les Etats-Unis, et fait vaciller certains salariés français. On vous arrête tout de suite : n’allez pas imaginer des salariés allongés sur le divan de la salle de pause (il y a d’autres lieux pour ça). Le contrat psychologique définit plutôt l’ensemble des promesses et attentes réciproques entre un travailleur et son employeur; et le lieu pour exprimer ses attentes est plutôt le cabinet de son organisation.
Malheureusement, il s’avère parfois (et même trop souvent) que l’une des parties ne soit pas toujours à la hauteur de ces voeux formulés tacitement. A la clef : une confiance ébranlée et des salariés démotivés, à l’heure où le sacro-saint engagement est au coeur des politiques RH des entreprises. Alors, quels sont les piliers de ce contrat psychologique ? Et qu’est-ce que la prise en considération de cette notion peut apporter à l’entreprise ? Décryptage.
Qu'est-ce que le contrat psychologique ?
Magalie est une jeune femme pragmatique. Elle a beau aimer son travail, les heures sup’, très peu pour elle. « Je fais consciencieusement mon job, mais à 18H, je file chercher mes enfants. J’attends de mon employeur qu’il respecte mes contraintes. Je ne cherche pas nécessairement à développer des liens avec mes collègues en dehors de l’entreprise », témoigne cette maman de 35 ans qui travaille en tant que sales dans une société du numérique. A l’inverse, Stéphane, 23 ans, employé dans le secteur du marketing et peu adepte du remote, nous confie être en demande de liens sociaux avec ses collègues : « Je suis très adepte des afterworks ou autres événements de type teambuilding. C’est un élément auquel j’ai été attentif en rejoignant mon entreprise ».
Aussi banals que les personnages d’une série sur TF1, les témoignages de Magalie et Stéphane sont cependant très intéressants en ce qu’ils mettent en exergue ce qui se joue dans ce fameux contrat psychologique.
Par exemple, un salarié qui travaillerait sans compter, pourrait attendre beaucoup de reconnaissance de son employeur. On ne parle pas ici de gros sous (le salaire étant l’un des piliers du contrat de travail), mais plutôt d’une rétribution symbolique, comme de simples compliments sur son boulot, qui, hélas, ne sont malheureusement pas toujours au rendez-vous. Un peu comme dans une relation amoureuse, l’engagement des salariés n’est jamais acquis et chaque partie doit continuellement se séduire.
Du mode transactionnel au registre relationnel
Pour en revenir à nos chers Magalie et Stéphane, il est intéressant de souligner que tous deux sont situés aux polarités de l’échelle établie au début des années 90 par l’américaine Denise Rousseau (à ne pas confondre avec Demis Roussos), l’une des penseuses du contrat psychologique. Elle explique en effet que certains individus comme Magalie sont plus dans le mode « transactionnel », quand d’autres comme Stéphane prêtent davantage attention au registre « relationnel ». Et la première chose à savoir, c’est qu’aucun de ces modes n’est préférable à l’autre !
D’ailleurs, il faut savoir que l’on n’est pas nécessairement aux antipodes de l’échelle, et que l’on peut très bien se trouver au milieu !
L’intérêt de cette échelle, matérialisée sous forme de questionnaire par la société PerformanSe, est de permettre de mieux cerner les attentes des candidats, mais aussi des salariés en poste. A travers une série de 20 questions, il s’agit de mieux comprendre comment les travailleurs se représentent leur relation avec leur employeur : comme dans une histoire d’amour, s’attendent-ils à une relation à long-terme ? Quel juste équilibre espèrent-ils entre leurs compétences, leur expérience et leur rétribution symbolique ? Sont-ils sensibles aux valeurs portées par l’entreprise ?
Contrat psychologique et Grande Démission
Le contrat psychologique a émergé dans le champ de la recherche dans les années 60. Mais alors, on vous sert un vieux sujet encroûté ? Et bien non, au contraire, la notion semble plus que jamais d’actualité. En 2005, la chercheuse Sylvie Guerrero a commencé à le faire évoluer. Ainsi, “Le CP s’articule autour de quatre dimensions de promesses de l’employeur : rémunération et rétribution, contenu du travail, climat de confiance et équité, conditions matérielles de travail », affirme Caroline Diard. La notion mérite donc d’être questionnée régulièrement !
Si l’on vous parle aujourd’hui de contrat psychologique, c’est que le terme -même s’il n’a pas encore percé l’espace de l’entreprise- est un excellent témoin du mal-être qui se joue actuellement dans nombre d’entreprises. Pour nos deux interviewées, pas de doute : la Grande Démission est fortement liée à la rupture du contrat psychologique. « Pendant le confinement, de nombreux employés se sont rendu compte que leur entreprise ne répondait pas à leurs attentes. Par exemple, ils n’ont pas senti de soutien de leur employeur, mais ont plutôt observé une augmentation du temps passé en réunion ou en formation, avec une visée claire de l’entreprise de mieux les contrôler à distance », analyse Caroline Diard.
Marque employeur et contrat psychologique
Dès lors, doit-on s’attendre à voir déferler la vague de la Grande Démission dans l’hexagone ? Une chose est certaine, la crise sanitaire a effectivement ouvert des perspectives de réflexion inédite. « Les candidats et salariés se questionnent plus sur leurs désirs, ils se posent les bonnes questions et ne se contentent plus de faire comme les autres, ce qui peut venir compliquer l’équation. Les entreprises doivent aller plus loin que simplement veiller à la sécurité et la santé des travailleurs, ce qui était leur rôle historique », analyse Alexandra Didry.
Dans les chiffres, la DARES suggère une augmentation notable en 2021 des démissions et ruptures conventionnelles en entreprise. Toutefois, le cadre juridique et réglementaire qui prévaut dans l’hexagone est moins propice à l’empaquetage immédiat des cartons. Ajoutons à cela la guerre en Ukraine qui pourrait bien couper les ailes des salariés en quête de liberté.
Pour n’avoir que des numéros 10 dans leur team, certains employeurs sont ainsi tentés de promettre monts et merveilles à leurs candidats. On pourrait alors rapprocher la notion de contrat psychologique de celle de marque employeur puisqu’elle regrouperait tous les aspects informels de la relation de travail. Au coeur des attentes des salariés ? L’hybridation des modalités de travail, et une plus grande flexibilité organisationnelle. « J’observe une attention très forte de mes étudiants en Master sur ce point », rapporte Caroline Diard.
Un point de vigilance que les DRH doivent donc garder en tête, tout en demeurant très honnêtes sur ce qui attend le potentiel salarié. Nos deux interviewées sont formelles : il n’y a rien de pire qu’une entreprise qui ne tient pas ses promesses ! Car la rupture du contrat psychologique est particulièrement délétère : entre les démissions en cascade et le désengagement (certainement pire qu’un salarié qui claque la porte), les entreprises n’ont aucun intérêt à lifter leurs annonces si elles ne peuvent pas tenir leurs engagements.
Le contrat psychologique, par essence tacite, n’a donc pas vocation à se formaliser. Mais qu’il s’agisse pour les entreprises de séduire les candidats ou de retenir leurs salariés, il est certain qu’elles devront compter sur cette dimension pour répondre aux aspirations de leurs employés.