Quels critères devrions-nous prendre en compte pour déterminer un salaire ?
Et si pour négocier notre salaire, on s’appuyait sur des mathématiques assez précises ? Pour passer du doigt mouillé à la calculette, Samuel Durand, explorateur du futur du travail, propose une formule pour déterminer le salaire.
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Quels critères devrions-nous prendre en compte pour déterminer un salaire ? Un billet qui peut vous servir de base de réflexion si vous êtes côté RH pour faire évoluer vos pratiques et peut-être quelques idées pour valoriser votre travail lors de votre prochain entretien annuel si vous êtes côté talent.
Alors en échange de quoi obtenons-nous un salaire ? Est-ce que c’est un dédommagement pour le temps que l’on offre, une récompense par rapport à la valeur créée ? Faut-il prendre en compte l’ancienneté, la position hiérarchique, le lieu de vie, la performance de l’entreprise, l’utilité … ? Et comment la technologie vient-elle bousculer nos calculs ?
En fonction des époques, des lieux, et des fondateurs, le calcul des salaires a évolué, je vous propose un tour d’horizon des différents paramètres à prendre en compte pour définir un salaire avant de vous livrer ma vision sur la formule de calcul qui me plait le plus.
Notre temps
À l’ère industrielle, le salaire est fonction du temps de travail d’un individu car la production et donc la valeur créée par un travailleur est directement corrélée à son temps de travail. On ne peut pas aller plus vite que la chaîne de production ou créer de la valeur différemment, c’est le temps passé à son poste qui crée de la valeur pour l’entreprise.
Bien que la plupart des emplois ne soient aujourd’hui plus dans cette situation linéaire, l’héritage de ce mode de pensée est le présentéisme. Combien d’entreprises estiment aujourd’hui qu’un salarié doit rester à son poste de travail pendant des horaires bien précis ? Et ce, peu importe la valeur réellement créée par ce salarié sur ce temps là. Et le télétravail n’a rien changé sur la question, le présentéisme se retrouve à distance avec la même logique de contrôle. Ce ne sont plus les entrées et les sorties qui sont traquées mais le temps de connexion et de déconnexion.
L’ancienneté
On se dit qu’au bout d’un moment dans une entreprise, un salarié se spécialise et développe des compétences qui permettent de créer plus de valeur pour celle-ci, alors on choisit de récompenser l’ancienneté en appliquant un coefficient au salaire. C’est aussi une façon de récompenser la loyauté puisque le turnover coûte toujours de l’argent. Le cabinet Hays chiffre le coût d’un mauvais recrutement (départ avant 12 mois), en moyenne, entre 45 000 euros et 100 000 euros de pertes directes et indirectes pour l’organisation.
La plupart des entreprises aujourd’hui tiennent compte de l’ancienneté dans le salaire. Pour être tout à fait exact, ce n’est pas l’ancienneté qui est récompensée mais l’expérience professionnelle, qui peut-être acquise dans l’organisation et en dehors. Le problème c’est que l’ancienneté ne dit rien des compétences de la personne, et on peut bien se retrouver à récompenser la loyauté, sans que le salarié n’ait acquis de nouvelles compétences.
Prenons l’exemple de la fonction publique et les professeurs certifiés de classe normale, la rémunération nette en début de carrière (échelon 2) est de 2121€, elle atteint 2816€ dès l’échelon 11, hors prime et autres rémunérations. Et le mode de calcul avec les échelons est le même pour d’autres postes de la fonction publique. Que nous disent ces 700€ de différence ? Beaucoup d’infos sur l’ancienneté, aucune sur les compétences de la personne.
La façon dont un fonctionnaire progresse d’échelon en échelon est détaillé sur le site du service public : “L'avancement d'échelon se traduit par une augmentation de votre traitement indiciaire, il n'a aucun effet sur les fonctions que vous exercez. Il vous est accordé automatiquement en fonction de votre ancienneté.”
La position hiérarchique
Évidemment, le salaire est pour beaucoup, fonction du grade que vous possédez, de votre position hiérarchique dans l’organisation. On applique un coefficient de salaire qui est fixé par la convention collective. Et parfois c’est à juste titre ! Une personne dont la position hiérarchique progresse voit peut-être ses responsabilités s’élargir et ces nouvelles responsabilités doivent être rémunérées.
Mais dans ce cas-là, on exclut d’office celles et ceux qui ne montent pas en grade mais dont l’expertise progresse par ailleurs. Et puis surtout, se pose la question de la façon dont nous déterminons la promotion d’un salarié vers un grade supérieur. Or on s’est tous un jour demandé comment tel chef, est arrivé à ce poste, avec ces responsabilités, en étant aussi nul ? Comment il peut rester en poste, alors qu’il est incompétent, et que tout le monde le sait ? C’est le principe de la Kakistocratie, le règne des médiocres, décrit par Isabelle Barth.
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La localisation
Il n’a échappé à personne que le prix d’une pinte de bière n’est pas le même à Paris et à Saint-Etienne, et il en va de même pour les salaires. Une problématique qui a été beaucoup discutée par les entreprises ayant autorisé le full-remote pendant la pandémie. J’avais écrit un papier dans Courrier Cadres sur le sujet en 2020.
Si pour plein d’endroits dans le monde, un salaire annuel de 80.000$ permet de vivre de façon extrêmement confortable, à San Francisco où le salaire médian dépasse les 100k$, 80.000$ n’a rien de confortable et n’importe quel entreprise aurait du mal à attirer des profils sur des métiers pénuriques avec ce niveau de salaire.
Buffer, une entreprise qui recrute dans le monde entier et dont les salaires des membres sont transparents, a expliqué le mode de calcul de ces derniers et notamment la façon dont la localisation influence le salaire. TL;DR : 65% du salaire de base est déterminé en fonction du lieu de vie, 35% par rapport au marché américain au niveau national. Puis un coefficient d’expérience et un autre coefficient d’ancienneté au sein de Buffer sont appliqués. Vous pouvez découvrir les différences de coût de la vie par ville sur Numbeo.
Les compétences
On est nombreux à partager l’idée que le salaire devrait être fonction des compétences, et dans une certaine mesure il l’est déjà un peu : expérience professionnelle et grade dans l’entreprise sont en partie des reflets des compétences. Définir un salaire en fonction des compétences de quelqu’un, c’est la vision la plus poussée du modèle de la skills-based organization.
C’est intéressant car ça permet d’inciter les collaborateurs à adopter une démarche proactive dans leur formation, leur compétences devenant une “commodities”, quelque chose de précieux qui a de la valeur sur le marché et qui peut être valorisé.
C’est aussi une façon plus juste de calculer un salaire, sur la base de données solides et de compétences éprouvées et de se débarrasser des biais à la négociation et des discriminations.
Le problème de ce mode de calcul, c’est qu’il faut disposer d’un référentiel de compétence d’excellente qualité, et que celui-ci soit mis à jour constamment. C’était jusqu’à récemment un travail titanesque. Une des promesses de l’IA est de nous permettre de capter plus facilement ces données pour avoir une vision dynamique des compétences de chacun à un instant T.
En parlant d’IA, la technologie bouscule les modèles de rémunération. L’étude Generative AI at Work de Erik Brynjolfsson a montré que l’IA a permis d’augmenter la productivité des agents dans un centre d’appel de 14% dans l’ensemble. Mais elle a surtout augmenté pour les travailleurs les moins expérimentés ! Les travailleurs débutants ont ainsi eu accès aux connaissances des travailleurs plus qualifiés et ont pu progresser plus rapidement. A l'inverse, les travailleurs les plus compétents ont vu moins d'effets positifs à l’utilisation de l’IA et leur avantage comparatif a diminué.
C’est assez enthousiasmant, mais cela soulève aussi une nouvelle problématique : les employés les plus performants bénéficient moins des avantages de l'IA, tout en contribuant à la formation de leurs collègues. Dans nos sociétés individualistes, il y a de bonnes chances pour qu’ils ne voient pas l’IA d’un bon œil. Il s’agit alors de revoir la façon dont ces collaborateurs sont rémunérés pour ne pas simplement prendre en compte la performance mais aussi la contribution à la transmission des compétences à travers l’IA, et donc la création de connaissance à l’échelle de la société.
L’utilité
Vous vous souvenez quand on applaudissait à 20h à nos fenêtres les soignants pendant le Covid ? On leur a bien donné une petite prime sur la période, et pendant quelques mois on a pris conscience que tous les métiers n’étaient pas aussi essentiels les uns que les autres.
Et pourtant, l’utilité des métiers semble inversement corrélée au salaire perçu par ceux qui les exercent. Nos soignants, instituteurs, logisticiens, veilleurs de nuit gagnent bien moins que nos consultants, responsables marketing, conférenciers et autres…
Tout comme nous sommes capables de valoriser dans le salaire la pénibilité d’un métier, pourquoi ne pas valoriser également l’utilité de celui-ci. Nous avons bien été capable de catégoriser ces métiers lors de la pandémie, reprenons ces distinctions, et valorisons celles et ceux qui s’engagent pour les autres. L’idée n’est pas d’en faire l’élément central d’une rémunération, mais qu’un coefficient soit appliqué.
La performance de l’entreprise
C’est toujours la même question du partage de la valeur. J’ai du mal à voir comment on peut réellement s’engager en tant que salarié pour une organisation si les bons résultats de l’entreprise n’affectent pas positivement le salaire. Quand on sait que le salaire reste le levier de motivation numéro 1 dans toutes les études, auprès de toutes les populations, ça me paraît dingue que l’intéressement sur le résultat ne soit pas davantage mis en œuvre.
Je ne fais pas référence aux variables sur objectifs individuels ou collectif qui sont aussi des options intéressantes, mais bien au variable sur la performance globale de l’entreprise.
Certaines entreprises le pratiquent sous le forme de primes exceptionnelles en fonction des résultats. LVMH, Stellantis et autres ont annoncé avoir distribué des primes allant jusqu’à 1500€ pour les salaires en dessous de 60.000€. Mais ça reste toujours peu de chose comparées aux bénéfices gigantesques engrangés par ces grands groupes. Les dispositifs de partage des bénéfices pour les salariés ne représentent en moyenne que 5% de la rémunération totale du travail actuellement, j’imaginerais bien ce chiffre grimper jusqu’à 30% les bonnes années. Et avec tous ces paramètres, qu’est ce qu’on choisit ?
Une proposition de formule de calcul
Je vous propose une formule de calcul, évidemment c’est dans un monde idéal où nous avons une représentation complète et fiable des compétences de chacun à chaque instant.
Un salaire de base
D’abord, on calcule un salaire de base en fonction des compétences de l’individu. Forcément le chiffre va dépendre de l’offre et de la demande de cette compétence, c’est le marché qui fixe la rareté. Mais le point important pour moi ici est que cette compétence ne doit pas être corrélée à l’expérience professionnelle ou à l’ancienneté, peu importe comment cette compétence a été acquise tant qu’elle est maîtrisée. Pour en arriver là, il faut développer un référentiel de compétences très précis et dynamique qui mêle tests techniques, reviews de ses pairs et reviews de projets.
Le salaire de base est calculé par rapport au marché dans lequel évolue l’entreprise, avec un benchmark fait sur le décile le plus élevé pour être compétitif. De cette façon, pas besoin d’ajuster à la hausse en fonction du lieu de vie, le salaire sera toujours compétitif.
Récompenser l’utilité
Une fois qu’on a ce salaire de base, nous pouvons appliquer un coefficient en fonction de l’utilité du métier pour valoriser les métiers essentiels, disons de x1.05 à x1.2.
Partager la valeur
Pour finir, des primes allant jusqu’à 30% du salaire en fonction des résultats de l’entreprise.
Les critères que je ne prends pas en compte sont :
- l’ancienneté
- le grade
- le temps passé à travailler
A vos critiques, vos idées pour améliorer la formule. Quels critères aimeriez-vous que l’on prenne en compte et quels critères aimeriez-vous que l’on oublie ?