Recruter sans CV : bonne ou mauvaise idée ?
Dans le spectre des nouvelles tendances RH, une pratique émerge doucement : celle du recrutement sans CV. Mais peut-on réellement se passer du traditionnel “résumé” ? Deux spécialistes nous donnent leur vision.
En 2023, le recrutement sans CV ne court (toujours) pas les rues. D’après Régions Job, seulement 12% des employeurs ont déjà recruté sans CV, et le font rarement à 70%.
C’est ce que nous confirme Juliette Naji-Dumas, Directrice d’Humando : même si elle pousse la pratique, peu de ses clients sont prêts à jeter le CV aux oubliettes. “Souvent, les RH sont un peu plus ouverts, mais pas les managers, car ils ont été recrutés sur la base de leur CV. Ils ont donc du mal à donner une chance qu’eux n’ont pas eu”, analyse la spécialiste. Pourtant, le recrutement sans CV a de nombreuses vertus selon elle.
Les + du recrutement SANS CV
💡 Lutter contre les discriminations
Parce que tous les candidats n’affichent pas l’école “qui va bien” ou encore des expériences significatives dans des entreprises de renom, le recrutement sur CV peut exterminer leurs chances d’obtenir ne serait-ce qu’un entretien. Juliette nous confie :
À ce bout de papier, elle préfère la rencontre avec le candidat qui est souvent bien plus révélatrice de son potentiel.
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💡 Recruter sur les compétences
Recruter sans CV, les entreprises ne sont pas très chaudes. Mais il arrive que certaines sautent le pas à l’image de Thalès qui a opté pour une salve de recrutements sur compétences. Pourquoi ? Tout simplement car l’entreprise n’arrivait pas à embaucher de nouveaux techniciens.
Pour cette session spéciale d’embauche, nul besoin de CV ni de lettre de motivation. Les candidats ont été testés sur leur capacité à coller des gommettes à la pince ou encore à faire des points au centre d’un rond. Pourquoi ? Car c’est un geste qui ressemble à la pratique qu’ils pourront avoir sur la gestion des circuits électroniques.
Au final, 250 candidats se sont présentés en Ille-et-Vilaine. « Ça permet de dire : ‘on a besoin de toi et tu vas y arriver’ Ça donne beaucoup de confiance en soi. Chose qu’on n’a plus quand on est demandeur d’emploi », raconte une employée recrutée par le biais de cette méthode.
💡 Ne pas se fier à des CV pipeautés
Si Juliette Naji-Dumas se montre réservée par rapport au CV, c’est enfin parce que “la plupart des gens mentent sur leur CV, ou a minima, le modifient”. Plusieurs études ont effectivement démontré qu’environ 65% des candidats trichent sur leur CV. Pour la recruteuse, il est donc logique de prendre ses distances avec le CV.
À ce support, elle préfère donc les tests de compétences pour mesurer à la fois les soft skills (gestion du stress, capacité d’écoute…), mais aussi les hard skills (technicité d’un métier, articulation de la pensée complexe…). “Pour avoir pratiqué le recrutement sans CV, on peut être étonné de retrouver en tête des résultats des personnes qui ne viennent pas forcément du métier”, raconte-t-elle. Bref, un candidat, c’est bien plus qu’un CV !
Les + du recrutement AVEC CV
Au sein de son cabinet de recrutement Approach People, Emilie Narcy, HR & Operations Director, est en contact avec des centaines d’entreprises chaque année. Si elle ne se montre pas opposée au recrutement sans CV, elle continue cependant de penser qu’il s’agit d’un outil pertinent et efficace pour les RH.
“C’est vrai que le CV peut être bloquant pour une population éloignée de l’emploi. Mais on peut aussi reprocher aux tests par compétences certains biais puisque des candidats peuvent devenir de vrais pros de ces tests, sans pour autant être les meilleures personnes pour un poste”, argue-t-elle.
💡 Gagner du temps
Imaginez recevoir des centaines de candidatures chaque jour, devoir les trier, puis présenter les meilleurs profils aux clients. À ce petit jeu là, le CV a encore clairement son épingle à tirer. Emilie Narcy affirme :
💡 Adopter le CV par compétences
Cela va peut-être sembler contradictoire avec ce que l’on a raconté plus haut, mais le CV est aussi un bon outil pour scanner rapidement les compétences. C’est ce qu’on appelle modestement le “CV par compétences”. “C’est-à-dire que le candidat va ordonner son CV sur la base des compétences qu’il a acquises, et ne mettre qu’une ligne sur chaque endroit où il a travaillé”, explique la recruteuse.
De cette façon, le CV par compétences peut détourner les barrières à l’entrée évoquées précédemment, à condition que le recruteur soit bien formé à traiter ce type de CV. On peut imaginer par exemple qu’une mère qui aurait arrêté de travailler pendant plusieurs années pourrait valoriser cette pause en explicitant les compétences acquises durant cette période comme le sens de l’organisation, la disponibilité etc (voir notre article sur les trous dans le CV).
💡 Privilégier les CV plus créatifs
Souvent jugé ennuyeux, le CV peut aussi permettre aux candidats de se démarquer en optant pour une approche plus créative. Par exemple, adopter les couleurs de l’entreprise ou encore proposer un CV sous forme de vidéo. “C’était une tendance il y a quelques années, et on peut l’imaginer revenir via des formats très courts à la TikTok”, souligne Emilie Narcy.
Bref, un CV n’est pas forcément la copie conforme d’un autre. Au contraire. Il peut (et doit ?) être personnalisé et pimpé selon le poste convoité.
Alors, quid des inégalités liées au CV ?
Le CV n’a donc très certainement pas dit son dernier mot. S’il a traversé les âges, c’est qu’il demeure un outil utile et efficace pour les recruteurs. La vraie question réside plutôt autour des possibles discriminations que peut engendrer ce format.
Heureusement, le CV peut être accompagné d’autres informations : un message expliquant le pourquoi du comment de la candidature, un portfolio avec des références pro ou perso mettant en valeur les réalisations du candidat etc.
Et bien entendu, nos deux recruteuses sont unanimes : c’est encore et toujours la rencontre avec le candidat qui permet de révéler les véritables coups de cœur, n’en déplaise à ChatGPT.