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Être freelance, c’est cool mais…

TRIBUNE – On a beau être freelance depuis plus de 10 ans, adorer sa liberté, un moment on se pose quelques questions. “Être freelance, c’est cool mais…”


9 min

En France, la moitié des salariés rêvent secrètement d’être freelance. Et ce n’est pas moi qui vais mettre un coup d’arrêt à leur fantasme de liberté : cela fait près de 10 ans que je suis à mon compte, preuve que j’y trouve mon intérêt. Mais voilà, quand les premières rides se creusent et que la charge mentale explose, on peut se heurter aux autres réalités de ce statut rêvé. D’autant que dans le même temps, le salariat se réinvente. Alors, chez moi, tout cela a mené à une petite crise existentielle.

Ces deux dernières années, ma vie professionnelle ressemble à s’y méprendre aux feux de l’amour. Je m’engage, puis je fais un pas en arrière, j’ose des incartades, j’explore de nouvelles contrées. D’ailleurs, j’ai désactivé les notifications LinkedIn sur mon nouveau statut professionnel de peur de passer pour une personne instable.

Pour vous la faire courte, j’ai démarré le journalisme il y a 13 ans. Après trois années de salariat, je me lance à mon compte. Pas parce que le freelancing me fait de l'œil (même si j’étouffe régulièrement en open space), mais tout simplement car je désire quitter Paris et que je n’identifie pas d’opportunité professionnelle alléchante en région.

Autour de moi, mon entourage me met en garde : certes, je touche un maigre salaire en CDI, mais tout de même, je jouis d’une vraie stabilité. Les premiers mois, je souffre de l’angoisse du vide. Je n’ai pas de perspective à plus de 30 jours. Du coup, je ne m’emballe pas : je réfléchis à deux fois avant de dégainer ma carte de crédit, moi qui suis à l’origine un vrai panier percé. Heureusement, je peux compter sur mon conjoint lors de ce lancement. Mais clairement, je ne me vois pas à l’avenir comme une femme dépendante.

“Ce n’est pas très reluisant de passer pour un crève-la-dalle”

Au début, je n’arrive pas à me dégager un salaire digne de ce nom et surtout, je découvre ce qui va être ma vie pour la prochaine décennie : scruter mon compte en banque dans l’attente de mes paiements, et pousser un petit cri intérieur de joie quand je suis payée en temps et en heure (ce qui est tout à fait banal pour un salarié). Sans compter qu’entre le moment où l’on exécute un travail en freelance, et celui où l’on est payé, il faut attendre au minimum 30 jours, voire 60 jours (parfois plus !). Et croyez-moi, c’est long, très long.

D’ailleurs, j’en profite pour envoyer un SOS de détresse aux services de compta : traitez les freelances comme vous traitez vos salariés ! Que feriez-vous si votre salaire ne tombait pas tous les 28 du mois ? Certains freelances en ont tellement marre qu’ils renoncent à relancer leur client, parce que franchement, ce n’est pas très reluisant de passer pour un crève-la-dalle.

Malgré ces désagréments, je trouve mon équilibre dans ce statut. Un peu comme une intermittente, j’alterne entre période de chômage et piges salariées. Puis j’opte pour le statut d’autoentrepreneur pour une autre partie de mon activité. Comme les charges sont assez faibles, cela compense - en apparence - des revenus encore faibles. Mais bon, je n’ai pas encore d’enfants donc pas tellement de dépenses, je fais du sport quand ça me chante, je pars en vacances dès que j’en ressens le besoin. Et je ne pense pas à l’avenir.

Quand la maternité vient tout chambouler

Voilà que j’approche de la trentaine : l’heure du  bébé. Là, ça commence à se corser. Déjà, la constitution de mon dossier de congé maternité ressemble à l’enfer sur terre : récupérer des attestations auprès de mes 10 employeurs, faire valoir mes droits également en tant qu’autoentrepreneure, demander un recalcul de mes allocations pour finir par obtenir 30% de plus que ce que me promettait la sécurité sociale qui s’était trompée ^^.

Et puis, pas question de prendre un congé pathologique avant ou après l’arrivée de mon bébé comme le font la plupart des salariées (vous sentez poindre la jalousie ?). Malgré une césarienne éprouvante, je recommence à travailler dès la fin de mon indemnisation. J’ai tout simplement peur que mes clients m’oublient alors je m’attèle à ne pas rester trop longtemps hors de l’arène. Je me souviens de la rédaction des mes premiers articles post-bébé : j’avais l’impression d’avoir été lobotomisée. Je me relisais 10 fois moi qui ai normalement confiance en mes premiers jets.

Et puis, il y a les bronchiolites et otites à répétition, la crèche qui m’appelle dès que mon petit passe la barre des 38. Comme je suis indépendante, je n’ose pas dire que j’arrive 3H après même si j’ai un article à rendre. J’enchaîne avec mon second bébé trois ans plus tard. Et là, ça commence à être sérieusement le bordel. Entre temps, mon mari a lancé sa propre société, mes enfants ont eu des problèmes de santé importants, et pour clôturer le triptyque, on achète un appartement plus grand parce qu’on commence à se marcher dessus. Je me retrouve donc à devoir assumer les revenus les plus importants du foyer avec mon statut de freelance.

D’un côté, je me sens très fière de cela en tant que femme. Je suis heureuse de pouvoir épauler mon mari à son tour puisque j’ai moi-même bénéficié de son aide. De plus, mon activité tourne bien : j’ai des clients fidèles et je ne connais plus de creux. D’un autre côté, je m’essouffle et me mets en mode robot. J’accepte des missions pas toujours très passionnantes pour mettre du beurre dans les épinards.

“De retour au salariat, j’avais peur d’être inadaptée”

En 2020, ma carrière prend un nouveau tournant quand je toque à la porte d’une startup qui a créé un média de référence. A la base, je propose juste des piges, mais il se trouve qu’un CDD est ouvert. C’est un remplacement de congé maternité. Je me laisse prendre au jeu du process de recrutement et intègre cette entreprise. Un CDD, c’est un contrat sans engagement. En plus, je suis en full remote et ne vais à Paris qu’une à deux fois par mois.

Toutefois, j’ai peur d’être inadaptée au monde de l’entreprise : je travaille en ermite depuis 7 ans. Finalement, ça se passe bien. Même très bien. Je ressens des émotions à travers mon travail car je me lie d’amitié avec certains collaborateurs. Ça paraît idiot mais cela fait des années que je suis dans une forme de routine en tant que freelance solo, et je me rends compte que ma grande solitude m’a fait passer à côté d’un sentiment d’appartenance si plaisant au boulot. Comme s’il fallait avoir une fiche de paie estampillée du nom d’une boîte pour s’approprier un petit bout de sa réussite (alors qu’en freelance, on peut aussi être un collaborateur important !).

Je repars malgré tout en tant que freelance à la fin de mon contrat. Cette expérience m’apporte par la suite pléthore de nouvelles collaborations, beaucoup mieux payées que ce que je faisais auparavant. Toutefois, j’ai l’impression d’en vouloir plus. En me projetant à long terme, je ne me vois pas continuer sur le même rythme, à produire comme une machine de guerre. J’aspire à plus de responsabilités.

Le saut dans le CDI

Alors je crois que mon salut viendra du salariat. Ou plutôt, du nouveau salariat version startup : celui du full remote, des horaires flexibles et de l’autonomie… avec un salaire confortable qui tombe à la fin du mois. Un bon deal lorsque l’on a été habitué à la pleine liberté. Et puis, j’ai soif de reconnaissance sociale. J’ai l’impression qu’en étant attachée à une entreprise, qui plus est florissante, je serai davantage respectée. J’avais bien vu que mon entourage s’intéressait beaucoup plus à mes aventures professionnelles lorsque j’étais intégrée à une boîte de renommée. Ou peut-être était-ce une vision de mon esprit.

Après avoir hésité plusieurs mois, je postule pour un job à responsabilités en CDI dans une jeune startup. Le package est ultra-attractif (je suis en quatre cinquième), la mission passionnante. Au départ, c’est la lune de miel, pas une ombre au tableau. Dans ma vie privée, les choses s’apaisent. Je prends de l’aide pour les enfants et la maison, et je fixe des limites claires entre ma vie pro et perso. Ça ne déborde plus comme auparavant. Je ressens un vrai réconfort matériel et la joie de me sentir forte et indépendante en tant que jeune maman.

Malheureusement, la mission évolue et mes compétences et appétences ne sont plus en adéquation avec le boulot. J’essaie de rester alignée par rapport à ce qui m’anime réellement et l’inévitable se produit : rupture de la période d’essai. Je n’ai pas de regret d’avoir essayé, mais je ressens tout de même une forte déception.

Échaudée par ce retour au salariat râté, je préfère me consacrer à ce qui m’a réussi le mieux jusqu’à présent : le freelancing. Mes anciens clients sont heureux de me retrouver et cela me réconforte. De plus, je dégote chaque semaine de nouvelles opportunités. Toutefois, j’ai appris de mes précédentes expériences qu’il fallait que je vois plus grand, même en restant indépendante. D’ailleurs, la mode est à l’hyperfreelancing. Alors, pourquoi pas moi ?

J’augmente mes tarifs et deviens beaucoup plus intransigeante. ****Je me débarrasse peu à peu du syndrome de l’imposteur et muscle ma confiance en moi. C’est étrange mais j’ai observé que lorsque j’étais salariée, je me mettais dans une posture infantile, à attendre que l’on me félicite pour le travail bien fait. En tant que freelance, le couperet est direct : si je fais du mauvais travail, je suis éjectée. Finalement, cela crée beaucoup moins d’insécurité chez moi. Je n’ai pas mille questions à me poser !

“Créer son propre filet de sécurité”

Me voilà donc arrivée au nouveau chapitre de ma vie de freelance. Je décide désormais de me créer mon propre filet de sécurité en me lançant dans le portage (une société facture à ma place et me salarie en CDI cadre). Soyons honnête, je peux aujourd’hui me le permettre car j’ai plus de 12 ans de carrière dans les pattes.

Financièrement, cela aurait été impossible auparavant. Je dois dire adieu à 50% de mes revenus pour cotiser pleinement, mais je m’offre le droit de ne pas être infaillible en cas de maladie ou d’arrêt d’activité. Je pense aussi à ma retraite : je ne veux pas être l’une de ces femmes âgées précarisées. Car il faut bien avoir conscience qu’en tant qu’autoentrepreneur, c’est purement et simplement la catastrophe de ce côté-là quand bien même on brasse un chiffre d’affaires honorable.

J’ai compris que je ne pouvais pas fonder une véritable carrière et récolter le fruit de mes efforts en restant sur ce modèle en demi-teinte. J’accepte de ne pas savoir si mon client continuera à travailler avec moi dans quelques mois, mais je refuse de ne pas être rémunérée à ma juste valeur, ni de ne pas être protégée comme n’importe quel travailleur. Finalement, devenir mère a été un fort catalyseur. J’ai ressenti le besoin de me créer mon propre cocon, et c’est certainement cela, ma plus grande fierté : ne pas payer ma liberté au prix fort.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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