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5 solutions pour évoluer sans passer par la case manager

N’existe-t-il pas un problème de fond à concevoir le management comme unique levier de progression dans l’entreprise ? Témoignages, analyses et conseils de deux experts.


9 min

Cet article est issu de l'ancien blog de Swile.

Guerre des égos, négociations salariales malaisées, reviews mouvementées… voilà le lot quotidien de nombreux managers. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le job ne fait plus rêver ! 20% des cadres ne veulent pas gérer d’équipe. C’est le constat sans appel d’une étude récemment publiée par Indeed. Alors, si le management est descendu de son piédestal, comment évoluer au sein de l’entreprise ? Et finalement, n’existe-t-il pas un problème de fond à concevoir le management comme unique levier de progression dans l’entreprise ? Témoignages, analyses et conseils de deux experts.

J’ai détesté manager une équipe. J’avais l’impression de ne gérer que leurs états d’âme et leurs petites guéguerres.  En endossant cette responsabilité dont je ne voulais pas, ma charge mentale a explosé”, nous confie Sébastien, ingénieur spécialisé dans les énergies éoliennes. De nature réservée, ce quadragénaire a rapidement demandé à revenir à des fonctions beaucoup plus techniques en devenant référent expert pour les projets les plus complexes. Finalement, ne trouvant définitivement pas sa place dans la société, Sébastien a fini par démissionner pour rejoindre une autre entreprise en tant que data scientist.

L’exemple de Sébastien est parlant à bien des égards. Coincé dans une entreprise pyramidale, le management lui a été imposé, bien loin de ses aspirations profondes. Un problème tout à fait contemporain selon Cyril de Sousa Cardoso, CEO de la startup Les petits bots, cofondateur du mouvement : ”Innovation Commando” et coauteur de l’excellent Manager Sapiens, le manager magnifique du XXIème siècle (éd. De Boeck). “Je ne dis absolument pas qu’il ne faut plus de managers en entreprise, mais qu’il y en a trop. On a créé d’innombrables niveaux hiérarchiques, un peu comme dans l’armée mexicaine. Pourquoi ? Car on pense que le management est le stade ultime de l’évolution en entreprise”, constate-t-il, ajoutant qu’aux managers… il préfère les leaders ! C’est dit. 

L’inflation managériale et les dérives du micro-management

Le souci avec cette inflation managériale selon Cyril, c’est qu’en multipliant les lignes de responsabilité, on a peu à peu sapé l’autonomie des collaborateurs. Or, l’autonomie est l’ingrédient central de ce que l’on nomme la motivation intrinsèque au travail, c’est-à-dire celle qui n’est pas portée par des facteurs extérieurs de piètre qualité et par essence non durable.

De plus, la motivation intrinsèque, intimement liée au sens et l’impact que l’on ressent au travail, est celle-là plus à même d’activer nos hautes fonctions cognitives. Autrement dit, la motivation intrinsèque, et par extension l’autonomie, nous permet d’être davantage créatifs. Le Saint Graal du travail en quelque sorte.  

Mais plus encore, la démultiplication des managers ouvre la voie à la pire des pratiques : le micro-management, tout en poussant les individus vers “le maximum d’incompétence”. Cette notion fort intéressante provient du Principe de Peter, et explique que l’on veut tellement faire évoluer les employé.e.s à des postes hiérarchiques, que l’on finit par les pousser vers des postes pour lesquels ils ne sont pas taillés, et qui vont les rendre incompétents.

J’ajouterais à cela l’importance d’offrir des parcours aux salarié.e.s dans lesquels ils pourront renouer avec leur histoire individuelle. C’est un point que les entreprises omettent la plupart du temps”, martèle notre spécialiste. Vous l’aurez compris, pour Cyril, il est urgent d’inventer de nouveaux modèles !

Le manager, une espèce en voie d'extinction ?

De son côté, Jérôme Friteau, DRH et responsable de la transformation à la Caisse Nationale de l’Assurance Vieillesse, porte un autre regard sur la question. Pour sûr, il partage aussi l’idée selon laquelle il est nécessaire d’alléger les lignes managériales pour offrir plus d’autonomie aux collaborateurs.

Pour autant, son constat est différent. “Je ne pense pas qu’il faille moins de managers en entreprise, surtout dans des structures comme la nôtre. Les managers sont très précieux pour nous, ils endossent une forte charge mentale et c’est certain que tout le monde n’est pas fait pour diriger une équipe. Un manager qui peine à dormir le soir est rarement inquiet du retard d’un livrable. À 95%, ses problèmes sont de nature humaine. L’absence des managers créerait un risque psycho-social à grande échelle selon moi. Bien que je sois partisan de répondre aux aspirations de chacun.e en proposant diverses évolutions, je crois donc qu’il faut avant tout s’interroger profondément sur le déficit d’attractivité des postes de management, et beaucoup mieux accompagner les collaborateurs dans cette fonction difficile”, introduit Jérôme Friteau. 

Maintenant que le contexte est posé, voici plusieurs solutions pour évoluer, ou faire évoluer, sans penser l’ascension en entreprise uniquement à la verticale… Nous irons du plus classique au plus innovant !

L’expertise

Avec la transformation digitale et la création de nouveaux métiers, les entreprises font face aujourd’hui à une pénurie de talents dans des métiers à forte expertise comme l’illustre parfaitement le cas de Sébastien cité plus haut, devenu Data scientist. C’est le cas aussi pour les métiers auxquels personne ne comprend rien, comme ceux liés à la RGPD par exemple. Voilà une opportunité pour faire évoluer les salarié.e.s désireux de se confronter à de nouveaux défis via la voie de la mobilité interne. “Avec la formation continue, les passerelles sont beaucoup plus simples à mettre en place. Les carrières ne sont plus du tout linéaires. Sur un effectif de 3500 personnes à la CNAV, 350 salarié.e.s bénéficient d’une mobilité interne chaque année”, rapporte Jérôme Friteau.

Pour Cyril de Sousa Cardoso, il est important d’en finir avec l’opposition entre formation initiale et continue pour offrir de nouvelles opportunités.  “On le voit avec des établissements comme l'École 42. On peut se former à tout âge, et cela est devenu indispensable”. Autrement dit, pas de date de péremption pour les quadras, quinquas ou même sexagénères.

Cyril ajoute que cette expertise doit être reconnue à sa juste valeur, c’est-à-dire qu’il est tout à fait possible qu’un expert soit mieux payé qu’un manager. Cependant, il émet une mise en garde : “la problématique des experts est que leurs compétences peuvent se périmer rapidement, notamment dans une époque où les progrès de l’Intelligence Artificielle s’accélèrent”. Donc une fois de plus, les besoins en formation doivent être pensés tout au long de la carrière.

La chefferie de projet

Qui a dit que le management était uniquement hiérarchique ? La chefferie de projet est une autre forme de management, sans lien de subordination. “Le management transversal est selon moi encore plus riche, car il demande de s’emparer de l’équation de la performance collective, sans pouvoir recourir à des outils de motivation extrinsèque, comme la promesse d’une augmentation salariale”, analyse Cyril de Sousa Cardoso. Une fois de plus, notre interlocuteur exhorte les entreprises à sortir d’une vision “marxiste” de l’entreprise (opposition entre cadres et non-cadres) pour adopter une vision plus transversale. 

Pour Jérôme Friteau, la chefferie de projet est envisagée un brin différemment. Puisqu’il estime que son entreprise manque encore de bons managers, il envisage plutôt la chefferie de projet comme un stade intermédiaire dans lequel il observe les qualités managériales de ses salarié.e.s. “Piloter une équipe en tant que chef.fe de projet demande un très fort leadership parce que le lien de subordination ne peut pas prendre le pas sur la relation. C’est là qu’on déniche des pépites”, constate-t-il. 

Le mentorat

Souvent, on circonscrit la transmission du savoir à la seule sphère du management. Mais c’est très réducteur ! Le mentorat est une excellente façon de la mettre en œuvre au sein de l’entreprise, et de casser la routine. Le rapport entre mentor et mentoré est d’une extrême richesse car dépourvu de tout enjeu.

Il peut donc pleinement épanouir un.e employé.e qui désirerait s’investir auprès de jeunes en formation, sans pour autant les manager. “Nous avons mis en place un programme de mentorat digital entre salarié.e.s et avons proposé aux partenaires sociaux, sous l’égide d’un projet d’accord « seniors », de confier une mission de mentorat à des salarié.e.s seniors dans le cadre de l’intégration de nouveaux collaborateurs. Il ne s’agit jamais d’une mission à temps plein, mais nous proposons de décharger leur emploi du temps en conséquence. Le mentorat est une réelle source de fierté et d’engagement pour nos mentors”, souligne Jérôme Friteau. 

L’intrapreneuriat

Pour certains salarié.e.s désireux d’avancer dans leur projet professionnel en montant leur propre entreprise, l’intrapreneuriat est une solution très confortable. Au sein de la CNAV, un programme de la sorte a été instauré. Plus précisément, certains collaborateurs sont libérés à raison d’un jour par semaine pour intervenir auprès d’une startup en interne. “Ce n’est pas un changement de poste, mais un vrai vecteur de nouveauté pour les employé.e.s”, plaide le DRH.

Certaines boîtes comme la néobanque Shine vont même plus loin. Celle-ci propose carrément à tous ses salarié.e.s d’exercer une activité en freelance à raison d’un jour par mois rémunéré par l’entreprise, avec la levée des clauses de non concurrence. L’entreprise Welcome to the Jungle octroie elle-aussi un jour off par semaine à ses employé.e.s, jour durant lequel ils sont libres de travailler en freelance s’ils le désirent. 

De son côté, Cyril de Sousa Cardoso voit également d’un bon œil ces possibilités ouvertes aux salarié.e.s. Offrir plus de souplesse et de flexibilité est une forme de rétribution autre que de les passer nécessairement manager. Pour l’entreprise, c’est de surcroît une source de créativité et d’innovation. Notre expert émet toutefois une petite réserve sur l’intrapreneuriat. “Je tiens juste à souligner l’importance pour l’entreprise d’accepter les erreurs et les échecs, et d’être capable de les valoriser en interne. C’est encore souvent compliqué dans l’hexagone”, explique-t-il. La french touch…

Repenser la mobilité interne à l’échelle d’un bassin d’emploi

Maintenant que nous avons mis en lumière des procédés plutôt classiques dans l’entreprise, place à la prospective. En la matière, Cyril de Sousa Cardoso a une idée tout à fait inédite. Vous connaissez la mobilité interne ou internationale à l’échelle d’une entreprise, mais pouvez-vous imaginer qu’on l’organise à l’échelle d’un bassin d’emploi ?

Plus concrètement, un DRH territorial se chargerait de proposer de nouveaux parcours professionnels aux salarié.e.s qui pourraient alors migrer d’une entreprise à une autre. Passer du public au privé. D’une startup à un grand groupe. Partir puis revenir dans une entreprise comme un.e salarié.e boomerang. “Je crois que l’entreprise ne dispose pas d’une échelle assez importante pour offrir de telles perspectives. De plus, de nombreux jobs sont appelés à disparaître, tout comme de nombreuses entreprises. Pour moi, il n’y a rien de plus angoissant que de proposer des parcours tout tracés, encore plus au sein d’une seule et même structure ! ”, affirme Cyril. 

Alors, peut-on raisonnablement enfermer les salarié.e.s dans un parcours fléché au sein d’une seule et même entreprise ? Avec l'avènement du travail hybride, cette mobilité pourrait même être pensée au-delà d’une simple ville. Ce va-et-vient des talents ne doit pas être perçu comme une source d’angoisse pour les entreprises, mais plutôt une grande richesse avec un afflux constant d’innovation au travers d’une plus grande diversité au sein des équipes. 

Bref, les premiers de cordée en entreprise doivent être considérés au-delà de la seule sphère du management. D’ailleurs, ne réduisons pas le leadership au management. Il existe d’autres façons de générer de l’impact sur les collaborateurs et l’entreprise. Les solutions sont là, à portée de main. Et que les managers heureux se rassurent, ils ne sont pas une espèce en voie d’extinction. Plutôt une espèce en voie d’amélioration. 

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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