société

La falaise de verre : les missions impossibles données aux femmes

Qu’est-ce que Theresa May, Valérie Pécresse ou Marissa Mayer ont en commun ? Toutes ont été confrontées au phénomène de la “falaise de verre”. Autrement dit, lorsque l’on fait monter les femmes dans la hiérarchie tout en ayant l’assurance d’échouer. Décryptage.


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Qu’il s’agisse de l’industrie, de la politique ou même du sport : 90% des postes de direction sont occupés par des hommes. Un constat dressé par l’écrivaine et conférencière Gill Whitty-Collins dans son ouvrage “Les femmes travaillent, les hommes triomphent” (Larousse). L’une des explications de ce maigre pourcentage de femmes au top de la hiérarchie réside dans le phénomène de la “falaise de verre”.

C’est en 2005 que ce concept a émergé. Le point de départ ? Un article du Times qui révélait que parmi les 100 entreprises britanniques cotées à la bourse de Londres, celles qui avaient à leur tête une femme étaient moins performantes. De quoi donner du grain à moudre à tous ceux doutant encore de la capacité du deuxième sexe à occuper des positions de leadership.

Après le plafond de verre, la falaise de verre

Une démonstration pas franchement juste selon Michelle Ryan et Alexander Haslam, les deux professeurs à l’origine du concept de falaise de verre. Ce qu’ils ont voulu démontrer ? Si les femmes réussissent moins, ce n’est pas parce qu’elles sont moins capables que les hommes, mais avant tout parce qu’on les promeut en période de crise. C’est ce que l’on appelle “la falaise de verre”.

En Suisse, la chercheuse Clara Kulich a également travaillé sur ce phénomène. Ses études sont formelles : les hommes sont plus souvent choisis que les femmes aux postes de direction, et lorsque les femmes sont sélectionnées, c’est pour occuper des positions difficiles.

On se souvient de Theresa May face à l’impossible gestion du Brexit, Valérie Pécresse ou Anne Hidalgo qui ont enregistré des scores désastreux à la présidentielle, choisies alors que leurs partis étaient à la dérive, ou encore Marissa Mayer nommée à la tête de Yahoo alors que l’entreprise était au plus mal. Et des exemples, il en existe à la pelle : Mary Barra chez General Motors, Carly Fiorina chez Hewlett-Packard, et même Elisabeth Borne qui doit aujourd’hui faire face à la difficile réforme des retraites (qui ressemble à s’y méprendre à un siège éjectable).

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Pourquoi choisit-on des femmes en temps de crise ?

Pousse-t-on les femmes dans le vide dans l’espoir de les voir s’écraser ? Heureusement, la réalité est moins vicieuse. “De manière générale, on choisit les hommes parce qu’on pense sincèrement que tel ou tel candidat est meilleur”, affirme Gill Whitty-Collins. Pourtant - jusqu’à preuve du contraire - les femmes naissent aussi intelligentes que les hommes.

Mais alors, pourquoi les femmes sont davantage choisies en période de crise ? “Tout simplement parce qu’elles sont synonymes de changement pour les électeurs, investisseurs, clients etc”, analyse Clara Kulich. Et oui, la normalité, c’est l’homme blanc. Alors, les femmes représentent un vrai changement. D’ailleurs, le phénomène de la falaise de verre se retrouve aussi chez les minorités. Par exemple, Barack Obama a accédé au pouvoir en 2008 en pleine crise financière.

Bref, en plaçant les femmes à ces postes, on espère insuffler un vent nouveau. On associe également au genre féminin toute une série de qualités stéréotypées : la loyauté, le sentiment d’appartenance, un bon sens de la communication, une faculté à s’effacer au profit de leur mission… Autant d’atouts indispensables pour réussir en temps de crise.

À quand des femmes qui triomphent ?

Mais si la mission est si compliquée à réaliser, pourquoi les femmes acceptent-elles de passer sur ces planches savonneuses ? Déjà, “elles ont moins d’options, alors que les hommes sont plus susceptibles de refuser puisqu’ils ont d’autres choix”, souligne Gill Whitty-Collins. Ensuite, “les femmes ont besoin de prouver leurs compétences. Alors, quand elles réussissent dans une situation compliquée, il ne peut plus y avoir de doutes sur leurs capacités”, renchérit Clara Kulich. C’est par exemple ce qui est arrivé avec Angela Merkel. Ses réussites successives ont imposé le respect. Définitivement.

Le hic, c’est qu’en position de leadership, les femmes sont confrontées à des situations de potentiel échec plus souvent. C’est ce qui fait dire à Gill Whitty-Collins que “les femmes travaillent, mais les hommes triomphent”. Et d’ajouter : “il faudrait que les femmes puissent accéder dans les mêmes proportions à des opportunités où elles peuvent elles aussi briller afin que les questions de leadership ne soient plus liées au genre. C’est normal d’échouer parfois, mais tout est une question de proportion”.

Connaissez-vous la théorie du parapluie ?

Maintenant qu’on a dit pourquoi on pensait aux femmes plus souvent en temps de crise qu’en période normale, il est intéressant de comprendre pourquoi on ne leur permet pas d’accéder à des postes plus “faciles”. Pour le comprendre, il faut s'intéresser aux biais de genre, à commencer par le pouvoir invisible de la culture dominante. Aussi, on associe généralement la compétence à la confiance. “Or, les femmes manquent de confiance en elles, et elles n’inspirent donc pas la confiance, et on les pense donc moins compétentes”, souligne-t-elle.

L’autre biais de genre qui plombe la carrière des femmes est ce que Gill appelle la “théorie du parapluie”. Les femmes croient farouchement en la méritocratie, et imaginent que leur travail se suffit à lui-même. Pas besoin d’aller parader avec leur dernière présentation power point ! En face, les hommes ont beaucoup plus conscience qu’il faut rendre leur contribution visible pour avancer sur l'échiquier. Résultat : on promeut davantage les hommes parce qu’on a l’impression de mieux les connaître, eux et leur travail.

Comment éviter le piège de la falaise de verre ?

Au rythme actuel, si rien ne change, il faudra encore attendre 100 ans pour que l’on retrouve autant de femmes CEO ou cheffes d'États que d’hommes, selon cette étude du World Economic Forum. Mais de son côté, Gill Whitty-Collins ne croit pas en cette prophétie qui pourrait devenir auto-réalisatrice si nous n’agissons pas.

Elle propose trois conseils aux femmes mises au bord du précipice :

  • Si elles acceptent ces postes, il faut absolument qu’elles soient pleinement conscientes de ce dont elles héritent. Et s’il y a des cadavres dans le placard, cela doit être clair dès le début afin que tout progrès à l’avenir, même minime, soit récompensé.
  • Les femmes doivent aussi s’assurer de bénéficier du plein soutien et de l’engagement sans faille des autres dirigeants de l’entreprise, institution ou parti. Elles doivent également être certaines d’être couvertes financièrement, même en cas d’échec.
  • Les femmes doivent enfin investir du temps dans leurs relations et leurs réseaux. Quelque chose que savent parfaitement manier les hommes et qui leur permet de bénéficier de soutien, même en temps de crise.

Quant aux hommes, leur rôle est clair : penser toujours à représenter la moitié de l’humanité dans leurs recrutements et leurs promotions. La diversité doit devenir la normalité. “C'est le système qui doit changer et accueillir les femmes, les soutenir, les informer et leur permettre de se développer sans restrictions et menaces permanentes”, conclut Clara Kulich.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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