Familles monoparentales et travail : l’équation impossible ?
Mener de front sa vie de famille et sa vie professionnelle est déjà loin d’être aisé quand on vit en couple. Mais quand le quotidien est assumé par un parent solo, les difficultés sont logiquement multipliées. Mais rien n’est insurmontable pour les parents solos comme en témoignent nos trois interviewés.
Elodie, 3 enfants : “J’ai d’autres priorités que participer aux afterworks”
Elodie travaille dans le marketing digital et est mère de trois enfants de 8,10 et 18 ans. Depuis sa séparation avec le père de ses deux cadets, la quarantenaire s’occupe de ses enfants en garde alternée, une semaine sur deux. Au quotidien, elle n’a aucune famille pour l’épauler et se voit donc contrainte de tout gérer.
Après un licenciement économique, elle s’est tournée vers le freelancing, plutôt par dépit que par choix. “J’étais auparavant dans une super entreprise suédoise. Je télétravaillais, et on me libérait le mercredi que je rattrapais les soirs et le samedi matin. J’aurais préféré rester en CDI car c’est plus sécurisant”, raconte-t-elle. Malheureusement, aucune entreprise dans laquelle elle a postulé n’a accepté de lui laisser son mercredi, et beaucoup ont fermé la porte au télétravail. “Pourtant, en tant que maman solo, économiser ces temps de trajet est extrêmement précieux”, regrette-t-elle.
Autre point de friction ? Le salaire qu’elle demandait aux entreprises pour faire face à ses charges fixes. “J’ai été retoquée à chaque fois. On me disait que ma demande était trop élevée”, observe-t-elle. Sans compter qu’en tant que maman solo, Elodie ne semblait pas entrer dans le moule des cultures d’entreprise. “Par exemple, je n’ai pas le temps de participer aux afterworks. Ma priorité est de finir mon travail pour ensuite m’occuper de mes enfants”, analyse Elodie qui nous dit ne s’être jamais sentie aussi vieille… !
Alors, le freelancing est apparu comme la seule solution pour continuer à générer des revenus, malgré une lourde perte financière. Car les semaines où elle garde ses enfants, son temps de travail ne peut pas excéder 25H hebdomadaires. Pour rattraper son retard, elle double donc ses heures les semaines où elle est seule. “Je n’ai pas vraiment de vie personnelle en ce moment, mais je me dis que cela changera quand les enfants seront plus grands. J’ai le moral, mais c’est vrai que je suis fatiguée”, reconnaît-elle. Et puis, pour alléger sa charge mentale, notre interviewée autonomise au maximum ses enfants : ils parcourent seuls le petit kilomètre qui les séparent de l’école et participent davantage aux tâches ménagères.
Au bout du compte, la mère de famille se sent aussi bien à son compte, puisqu’elle bénéficie en contrepartie de beaucoup de liberté. Le message qu’elle aimerait adresser aux entreprises ? “Bien sûr, nous avons des contraintes et impératifs qui requièrent de la flexibilité. Mais osez faire confiance aux parents solos. Quand on est dans cette situation, on a plus que jamais envie de garder son boulot. Sans oublier que l’on développe énormément de compétences : le sens de l’organisation, la gestion du stress ou encore la capacité à prioriser”. Autant d’atouts sur lesquels les entreprises devraient capitaliser !
La rédaction vous conseille
François-Xavier, 2 enfants : “Depuis que je suis papa solo, les gens sont extrêmement bienveillants avec moi”
Après un divorce très compliqué, François-Xavier a obtenu la garde complète de ses deux enfants, âgés de 5 et 6 ans. Leur mère ne les a donc plus qu’un week-end sur deux. Pour cet informaticien, le freelancing est également apparu comme l’unique solution pour concilier sa vie pro et perso. “J’avais une entreprise que j’ai choisi de fermer pour travailler moins et pouvoir m’occuper de mes enfants, même si à la base, j’adore travailler. Non seulement, une nounou, ça coûte très cher, mais en plus, je ne me suis pas battu pour avoir mes enfants avec moi et ne pas m’en occuper”, admet-il, nous expliquant avoir souhaité conserver leurs habitudes, comme ne pas les laisser à l’école après 16H30.
S’il ne reçoit pas d’aide de sa famille au quotidien, François-Xavier parvient toutefois à relâcher la pression grâce au soutien de ses parents pendant les vacances : “nous sommes tous dans la même maison, mais cela me permet de faire quelques activités auxquelles je ne peux pas m’adonner d’habitude”. Il nous confie aussi revoir davantage ses amis depuis son divorce, même s’il est toujours accompagné de ses enfants.
“En matière d’aide, j’ai également pris une nounou pour les mercredis, car c’est mon seul jour chez mon plus gros client. Et une femme de ménage 4H30 par semaine”, explique-t-il. Un petit luxe qu’il s’octroie malgré des fins de mois plus difficiles qu’auparavant, bien qu’il tient à souligner l’accompagnement dont il a bénéficié avec la CAF. “Ils m’ont carrément téléphoné dès que j’ai actualisé mon changement de situation, et m’ont aiguillé sur les démarches à suivre”, rapporte-t-il.
Une bienveillance de l’administration à l’égard de son statut de papa solo qu’il retrouve aussi dans ses relations professionnelles et sociales en général. “Les gens n’ont jamais été aussi empathiques avec moi que depuis que j’ai la garde de mes enfants. Par exemple, mes voisins m’ont aidé sans que je demande quoi que ce soit”, relate-t-il. Est-ce à penser que la société serait plus bienveillante à l’égard des papas solos que leurs comparses féminines ? “Je ne sais pas, mais c’est possible car ma situation est moins courante”.
Anne, 1 enfant : “Je recommence à prendre un peu de temps pour moi”
Séparée depuis plus de 7 ans, Anne est maman d’un petit garçon de 10 ans dont elle a la garde exclusive, hormis la moitié des vacances scolaires. “À l’époque, j’ai tenté de me mettre à mon compte, mais au bout de 6 mois, j’étais épuisée et ce n’était pas viable financièrement”, témoigne-t-elle.
Après avoir quitté la région parisienne pour se rapprocher de ses parents à Lyon, parce que quand on est seul, “on ne peut pas vraiment compter sur les amis pour se dépanner au quotidien”, Anne doit réinventer sa vie : retrouver un job et valider sa période d’essai pour louer un logement, se reconstruire un cercle social, trouver une école pour son fils, etc. “Je n’avais pas pris la mesure de l'énergie qu’il faudrait déployer”, concède-t-elle.
Mais alors qu’elle retrouve un semblant de stabilité, une nouvelle épreuve survient : on lui diagnostique un cancer du sein. “J’avais l’impression qu’une nouvelle vie allait commencer, mais je pense que la période de stress que j’ai traversée auparavant n’est pas étrangère à tout ça”, analyse-t-elle.
Après un an d’arrêt, Anne tente une reprise du travail à 50%. Un échec car, malgré la bonne volonté de son entreprise, il lui est impossible de tenir l’intégralité de ses missions. Mais la chance lui sourit à nouveau quand elle décroche un poste de Directrice dans une association qui lui laisse son mercredi après-midi et son vendredi off. “Non seulement, j’adore mon travail, ce qui n’est pas le cas de toutes les mamans solos qui doivent souvent exercer un job alimentaire, mais en plus, j’ai la chance d’être complétée par des aides sociales, car je bénéficie d’une indemnité d’invalidité suite à ma maladie ”, nous explique-t-elle.
Un surplus financier qui a pu la culpabiliser par le passé, mais dont elle profite aujourd’hui sans complexe. “Je ne peux pas compter sur le soutien de mon conjoint qui me verse une maigre pension alimentaire chaque mois. Alors, cette possibilité de travailler à 60% me permet de maintenir une forme d’équilibre”, analyse-t-elle.
Au fil des années, Anne a donc appris à appliquer ce conseil qui peut sembler ultra-cliché : “ne pas s’oublier”. Après avoir longtemps fonctionné en mode “lionne”, la mère de famille a repris le piano, débuté l’aviron, et n’hésite pas à profiter de l’aide que peuvent lui apporter ses parents en confiant son fils de temps à autre le week-end. “J’ai aussi sous-loué une chambre de l’appartement à bas prix, moyennant deux soirs de garde par semaine. Je m’entends bien avec ma jeune locataire et je pense aussi que c’est bon pour mon fils que nous ne soyons pas toujours en tête-à-tête”, affirme-t-elle, consciente qu’elle a désormais sa propre vie à (re)construire.