La génération Z est-elle vraiment différente des autres ?
Des baby-boomers aux générations X, Y, Z et Alpha, les sociologues et marketeurs ne manquent pas d’imagination pour segmenter la population. Aujourd’hui, c’est bien la génération Z qui fait couler le plus d’encre. Pourtant, est-elle véritablement différente de ses aînées ?
En théorie, la génération Z concerne tous les chérubins nés après l’an 2000 (la claque pour tous ceux du “siècle d’avant”). De jeunes recrues qui déboulent actuellement dans le monde du travail, et devraient constituer 30% des effectifs d’ici 2025.
Et parce que recruter la jeunesse a toujours été une obsession pour les entreprises afin de renouveler leur corps social, beaucoup de recruteurs s’interrogent sur cette gen Z que l’on qualifie de “Truth Generation”. Mais ses codes et attentes sont-ils foncièrement différents du reste de la population ? Ou ses aspirations sont-elles simplement liées à son âge et à ses besoins à un instant T ? Bref, la génération Z doit-elle vraiment être managée différemment ?
Gen Z : Une génération de divas ?
Dans la liste des stéréotypes qui circulent actuellement sur la génération Z, on entend souvent ce genre de brèves de comptoir : “les jeunes ne veulent plus bosser”, “ils s’attendent à des salaires mirobolants”, “ils privilégient leur vie perso”... Alors, diva ou pas la génération Z ?
Nous avons posé la question à Eliott Boucher, cofondateur de la startup Edusign, 24 ans au compteur. Dans son entreprise, la moitié des effectifs n’a pas soufflé ses 25 printemps. Sa réponse de Normand en dit long sur la difficulté à répondre à cette interrogation : “en matière de motivation, cela dépend du sujet”, lâche-t-il. “C’est vrai que l’on voit la différence avec des profils plus expérimentés qui vont se concentrer sur une tâche quelle qu’elle soit”, poursuit-il.
En réalité, la motivation de la génération Z serait étroitement liée au sens que le jeune collaborateur peut trouver dans son job. Un sens notamment corrélé à la matérialisation des questions de RSE et d’écologie à la fois sur le produit de l’entreprise, mais aussi son fonctionnement en interne. Sur ce point, c’est vrai : il existe un vrai gap générationnel selon le jeune dirigeant. “Par exemple, certains vont refuser de venir à un team building s’ils doivent prendre l’avion, ce que l’on ne voit pas chez nos collaborateurs plus âgés”, illustre-t-il.
Quant à la question de la rémunération, Eliott constate effectivement un décalage entre les prétentions salariales des plus jeunes et leur très faible expérience : “on le voit surtout chez ceux qui sortent d’école de commerce. Après, on arrive tout de même à les attirer et les garder en leur offrant de la flexibilité et du sens pour reprendre mes précédents propos”.
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Du sens plutôt que des sous
Cela confirme une étude menée par Deloitte qui démontre que la génération Z est davantage prête que les autres à accepter un salaire moins élevé pour un job porteur de sens. Une génération qui est également très sensible à la notion de transparence au sein de l’entreprise. “Une transparence qui fait peut-être plus écho à une génération de boîtes que d’entrepreneurs”, souligne à raison Eliott.
Pour aller plus loin, nous avons également convoqué l'œil de Matthias Jean, fondateur de Tarentö. A 23 ans et tout droit sorti de l’INSA Lyon, il aide les entreprises à recruter et fidéliser la génération Z. Il estime que celle-ci dispose des mêmes leviers de motivation que les autres.
Les jeunes ont la fibre
En revanche, son mode de fonctionnement est bel et bien différent. Par exemple, son rapport au temps n’est pas comme celui d’un enfant né dans les années 70 ou 80 : tout doit aller vite, beaucoup plus vite ! “Cela a été scientifiquement prouvé : la réactivité nous apporte une récompense biologique”, constate Matthias. Il en veut pour preuve une interview menée auprès d’un chercheur du CNRS qui pointe la différence entre les générations nées avant ou après l’apparition d’Internet en 1993.
En outre, le fait d’être né après la généralisation d’Internet dans les foyers aurait transformé le cerveau des plus jeunes. Résultat : un grand besoin d’immédiateté, qui pourrait expliquer une forme d’impatience si la progression dans l’entreprise est trop lente, ou que les projets stagnent.
Présentiel ou distanciel ? Pourquoi choisir…
Parce qu’elle est née en même temps que feu l’ADSL, on est en droit d’imaginer que la génération Z est encore plus demandeuse de télétravail. Et ce n’est pas faux : dans une enquête réalisée par Asana, les moins de 25 sont ceux qui plébiscitent le plus le mode de travail hybride (68% contre 43% chez les baby boomers).
Pour Matthias Jean, il est clair que les moins de 25 ans ont développé un rapport au monde totalement hybride. Il estime que le plaisir qu’un jeune peut prendre à distance est comparable à celui éprouvé en physique. De ce fait, “si l’expérience au bureau n’est pas supérieure au travail à distance, alors il n’y aura pas d’intérêt pour le jeune d’y aller”, estime-t-il.
Pour autant, il n’oppose absolument pas le distanciel au présentiel. Il prend pour exemple la plateforme Twich qui a diffusé le GP Explorer et réuni un million de spectateurs à distance, et tout de même 40 000 personnes en physique. La génération Z n’a donc pas vocation à rester derrière son ordinateur. En revanche, lui offrir un environnement de travail hybride est un prérequis indispensable que seul un mammouth n’aurait pas compris.
De son côté, Eliott Boucher constate que les jeunes de son entreprise sont très à l’aise avec le travail hybride, tandis que les plus âgés ont moins l’habitude de travailler en remote. Pour autant, l’appétence pour le travail asynchrone ou en présentiel est avant tout une question de personnalité, de profil, de poste. Et puis, “les plus jeunes ont besoin d’être formés, et le fait d’être dans une même pièce peut favoriser le transfert de compétences”, explique-t-il. Bref, il n’y a pas de règle universelle sur ce point.
Ce que l’on peut dire, c’est que l’effet génération Z couplé à la pandémie a complètement décomplexé les salariés quant à l’organisation de leur temps de travail. “C’est vrai qu’en entretien, un jeune de la génération Z ne va pas hésiter à dire qu’il veut finir tôt pour aller à son cours de tennis le jeudi soir. Mais les salariés plus âgés se sentent aussi de plus en plus à l’aise pour mieux organiser leur vie pro et perso”, poursuit Eliott.
Un management à repenser
Alors que le management est très éprouvé ces dernières années, la génération Z donnerait-elle encore plus de fil à retordre à ses supérieurs ? C’est en tout cas ce que pressentait l’auteur Didier Pitelet dans son ouvrage “Le prix de la confiance” : “canaliser leur énergie à des fins positives supposera de mettre en place des modèles de management structurants, éducatifs et psychologiques”. On parle aussi de génération snowflake, soit de “jeunes adultes des années 2010, qui sont perçus comme moins résilients et plus susceptibles que les générations précédentes” selon la description du Collins English Dictionary (qui concernerait d’ailleurs les millenials de façon générale).
D’après Matthias Jean, la génération Z nourrit effectivement un rapport différent à la connaissance et l’information… et, par voie de conséquence, à l’autorité. “Nous avons grandi en vérifiant sur Google si ce que disaient nos parents était vrai”, observe-t-il. Du coup, il devient plus difficile de leader par la connaissance (du moins, jusqu’à un certain niveau, car jusqu’à preuve du contraire, on ne devient pas Thomas Pesquet en se perfusant à wikipédia). Ceci étant dit, “le manager d’aujourd’hui n’est pas nécessairement meilleur techniquement, en revanche, c’est celui qui offre le bon environnement de travail pour accompagner l’autre dans le développement de ses compétences”, ajoute le fondateur de Talentö.
Le management par “vide encadré”
Alors, la génération Z doit-elle être managée différemment ? Dans un article consacré, le magazine Harvard Business Review parle d’un “management par vide encadré”. “Sans ces nouvelles pratiques de management par le vide encadré, la génération Z se sentira à la fois frustrée par un manque d’autonomie mais aussi perdue par un manque de repères et par l’absence de la figure bienveillante et indispensable du chef, avec un grand C, celle qui sait trancher et prendre des décisions”, pointe l’article.
Ce qui est certain, c’est que nous sommes entrés, à tort ou à raison, dans l’ère de l’ultra personnalisation managériale. “On embauche pas des compétences mais des humains avec leurs propres aspirations que le manager doit aider à faire grandir”, analyse Eliott Boucher. Une vision partagée par Matthias Jean qui estime que chaque individu, au-delà de sa génération, nourrit ses propres aspirations, avec des attentes plus ou moins intenses selon son mode de fonctionnement, et tout simplement le stade de développement de sa vie. Car les besoins d’un jeune de la génération Z diffèrent selon sa situation géographique, son bagage universitaire, son job… et dans quelques années, sa situation familiale. Sans oublier que la taille des générations va avoir tendance à se réduire, le monde s’accélérant sans cesse. Alors, il va devenir de plus en plus compliqué de vouloir calquer un mode de fonctionnement sur la génération Z, puis alpha (puis bêta ???).
Nouveau rapport au temps, nouveau rapport à l’espace, nouveau rapport à la connaissance : c’est avant tout dans leur manière d’appréhender le monde que les (futurs ex) jeunes sont les témoins d’avant-garde d’une évolution de la société.