société

Green hushing : quand les entreprises taisent leurs bonnes actions écologiques… par peur de la critique

Par peur d’être critiquées, de nombreuses entreprises ont carrément choisi de se murer dans le silence, quitte à ne pas communiquer sur leurs bonnes actions en faveur de l’environnement. Après le greenwashing, place donc au green hushing !


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En 2020, l'Advertising Standards Authority (ASA) au Royaume-Uni a interdit les publicités de Ryanair se présentant comme la compagnie aérienne à “plus faibles émissions d'Europe“, jugeant cette affirmation trompeuse. En 2021, aux Pays-Bas, l'Autorité de la consommation et des marchés (ACM) s'est penchée sur les allégations de durabilité parfois trompeuses dans le secteur de l'habillement. Elle a poursuivi son enquête chez deux distributeurs internationaux, H&M et Decathlon.

En 2022, ce fut au tour de HSBC d’être accusée par le gendarme britannique de la publicité. Et des exemples de la sorte, on en recense à la pelle : Shell, Unilever, TotalEnergies, BNP Paribas… ces entreprises se retrouvent régulièrement dans le viseur des autorités compétentes et associations environnementales.

Ne dites plus jamais “neutralité carbone”

En France, l’autorité qui régule le greenwashing est l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité). Depuis la loi Climat et Résilience, elle punit les démarches d’écoblanchiment de deux ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant atteindre 20000 euros pour une personne physique et de 100 000 € pour une personne morale, ces montants pouvant être portés jusqu'à la totalité des dépenses consacrées à l'opération illégale.

Plus précisément, c’est le terme de neutralité carbone qui a été incriminé. Il y a 5 ans, c’était le mot employé à toutes les sauces, mais il n’a aucun fondement scientifique. Aucun produit ne peut prétendre être neutre en matière de bilan carbone car la neutralité s’apprécie à l’échelle de la planète”, précise Jane Vuillier, cofondatrice de Querceo, Cabinet de conseil en transition climat et biodiversité.

“On peut se faire retoquer sur tous les sujets”

Alors depuis, pour beaucoup d’entreprises, c’est motus et bouche cousue. C’est le cas par exemple d’EPSA qui a choisi de faire profil bas sur ses initiatives tant sociales qu’environnementales. Pourtant, ce cabinet de conseil spécialisé dans la transformation a mené de nombreuses actions : un fonds de dotation pour abonder des associations partenaires, la sensibilisation de 80% des collaborateurs à la fresque du climat, et surtout, une stratégie de réduction du bilan carbone en suivant la méthodologie ACT en vue d’une certification SBTi de leur trajectoire carbone (réduction maximale des trajets en avion, reconditionnement du matériel informatique, recours à presque 100% d'énergie renouvelable, forfait mobilité durable, travail avec les prestataires…).

L’impact sur l’environnement est certifié par le CDP qui propose un questionnaire précis sur l’empreinte carbone. “Avoir une bonne note au CDP permet de vérifier via la data que les actions mises en place vont dans le bon sens”, précise Sirine Aouri, Responsable RSE au sein du groupe EPSA.

Mais les résultats ont beau être palpables et positifs, l’entreprise préfère demeurer discrète en termes de communication. Pourquoi ? “On peut être retoqué sur absolument toutes les actions que l’on mène, même si cela concerne 0,1% de celles-ci. Par exemple, on peut nous dire que notre politique de déplacement, qui a permis de réduire le bilan CO2, est opportuniste car liée au Covid”, précise notre interlocutrice.  Car oui, le green hushing, c’est exactement cela : craindre de se faire épingler car on n’en fait pas assez.

Être aligné en interne avant de communiquer à l’externe

En fait, Sirine Aouri craint une forme d’incompréhension face aux actions menées. “Ces politiques de réduction d’empreinte carbone représentent un travail de longue haleine sur lequel il faut aller finement. On ne peut pas tout de suite être satisfait des résultats. De plus, il y a de nombreuses parties prenantes dans ces projets. Par exemple, on ne se contente pas d’organiser une fresque du climat, on revoit aussi en profondeur notre business modèle. Au final, il faudrait des heures de débat avec les équipes qui ont participé à ces projets pour que l’on puisse montrer tous les enjeux qu’il y a derrière”, poursuit Sirine Aouri. “Quand on dit qu’on est le meilleur, il faut être en capacité de prendre le temps de le prouver”, conclut-elle sagement.

Une attitude que Jane Vuillier observe régulièrement chez ses clients, notamment les PME qui sont au démarrage de leur transformation. “Ils préfèrent être solides en interne avant de communiquer, même s’ils aimeraient avancer sur ces sujets car il est de bon ton d’avoir une page RSE sur son site”, explique notre spécialiste.

De plus, elle observe que certains acteurs - industriels notamment - craignent d’attiser des tensions sociales en démontrant qu’ils font des choses en faveur du climat, quand leurs collaborateurs leur demandent d’en faire plus pour leur pouvoir d’achat. “Je leur conseille donc d’être parfaitement alignés en interne avant de communiquer à l’externe”, poursuit la cofondatrice de Querceo.

Ambition, transparence et humilité

Mais ne pas communiquer sur ses bonnes actions n’est-il pas dommageable pour la société, quand certaines initiatives pourraient en inspirer d’autres ? “Oui, c'est dommage, car on pourrait aider des concurrents à se transformer à leur tour.  En même temps, c’est bien aussi que tout cela soit réglementé pour éviter les fausses allégations. Mais je crois que communiquer sur la RSE est un métier à part entière, il faut vraiment que les entreprises se dotent de spécialistes”, pointe Sirine Aouri.

Un sujet qui exige aussi des entreprises qu’elles mènent un travail de fond sur leur raison d’être, et voilà qui est loin d’être facile. “Le vrai enjeu est qu’il ne nous reste qu’un certain nombre de tonnes de CO2 à émettre pour que le climat demeure soutenable, alors, quels seront les produits qui seront jugés essentiels à la société ?”, s’interroge Jane Vuillier.

Elle conclut en livrant ces trois recommandations à toute entreprise qui souhaiterait communiquer sur sa politique RSE : l’ambition (sur les objectifs fixés), la transparence (sur les méthodes de calcul) et l’humilité (pour concéder que non, tout n’est pas parfait). Apprendre à communiquer sur ses engagements en choisissant les bons mots, voilà qui pourrait permettre de trouver la juste balance entre greenwashing et green hushing.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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