Impact avec le diable
Pour régler son compte avec humour et authenticité au mot “impact” nous avons fait appel à Vincent Nicollet.
Cet article est issu de l'ancien blog de Swile.
Le mot « impact » a pénétré ma cervelle avec fracas alors que j’étais encore petit, à grand renfort de jaquettes de VHS tapageuses louées au Vidéo Futur en bas de la maison. Lui et son allié Pizza Hut m'ont forgé une culture cinématographique anti-Téléramesque, composée de chefs d'œuvres tels que Impact, Deep Impact, Double Impact, Deadly Impact, Point d'Impact, Maximum Impact ou encore Final Impact... Autant de films qui convoquent des acteurs de renom : Lorenzo Lamas, Arnold Schwarzenegger ou, bien sûr, Jean-Claude Van Damme.
Jamais je n’aurais pensé retrouver 20 ans plus tard ce mot dans l’entrepreneuriat social, puis peu après dans toutes les entreprises. Faut-il le rappeler, la définition de l’impact est la suivante : “fait, pour un corps, de venir en frapper un autre ; choc” (Larousse). Aucun rapport donc, avec le fait d’aider et de protéger les plus vulnérables, ni de prendre soin de la planète. Et pourtant… Aussi surprenant que cela puisse paraître, dans ma vie d’entrepreneur social, j'ai sans cesse dû prouver mon impact, participer à des réseaux à impact, brandir des trophées récompensant l’impact... Et maintenant que j'aide des entreprises à partager en leur sein pouvoir, responsabilité et fierté, on me questionne encore sur l'impact de l'intelligence collective. Le mot est partout.
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L’empire contre-impacte
Pourquoi remettre en question ce mot à première vue inoffensif ? D’abord parce qu’il est porteur d’une certaine conception de l’action sociale ou environnementale. Une entreprise “à impact” n’a pas pour but premier de vendre des produits mais de soigner des maux : la pollution, l’exclusion, l’injustice, le chômage. Or, ces maux sont-ils vraiment des choses qui se dégomment ? Peut-on les combattre à grands coups d’impact ? Pas sûr…
Les personnes vulnérables n’ont pas besoin que l'empire “contre impacte” avec de nouvelles armes mêmes “positives”. L’urgence est peut-être plutôt de les protéger. Et puis dans l'entrepreneuriat social plus qu'ailleurs, chercher à maximiser son impact en trouvant la solution qui marchera partout est un piège. Subsidiarité oblige. On ne peut pas comme au Risk étaler tous ses pions de même couleur sur tous les territoires : même approche partout, et tant pis pour la diversité.
Plus largement et pour toute entreprise, l’impact peut prendre une tournure un peu mégalo. Vouloir maximiser son impact, c’est penser profondément que le problème vient de l'autre, qu’il lui appartient, et que notre action ne pourra que le faire aller mieux.
Mais combien de nouveaux problèmes nos solutions hâtives et virulentes ont-elles déjà créés ? La crise systémique du moment pourrait nous faire comprendre les limites de notre techno-logique débordante. Mais non, l’impact entre en éruption : il faut toujours montrer qu'on « en a » plus que les autres. L'impact ne se donne pas à l'autre. Non : l’impact, on en a sur quelque chose ou sur quelqu’un. L’impact est une nouvelle possession dominante.
Être le changement avant de le provoquer
En s'intéressant à la réalité de l’action sociale, on peut assez vite relativiser cette tendance mégalomane. En 1999, deux chercheurs, Assay et Lambert, ont analysé le rapport entre l’aidant et l’aidé. Ce qu’ils ont trouvé a de quoi dégonfler nos chevilles : la solution technique conçue et déployée par l’aidant ne compte que pour 15% des effets positifs constatés pour la personne aidée. Et les autres 85% ? Ils concernent exclusivement des facteurs externes liés à l’environnement de cette personne, à l’effet Placebo et aux leviers relationnels. Ils ne nous appartiennent pas.
Au moment de tous utiliser le mot impact, mesurons ce qu’il charrie parfois du modèle« dominant » qui nous consume à petit feu. Plutôt qu'impacter, contribuons. Au sens étymologique, "donnons en partage". Plutôt que revendiquer de l'impact, observons “l'effet” que produisent - en partie - nos actions.
Bien sûr, ce mot “effet” est moins... percutant. Mais peut-être est-ce aussi une partie de la solution que de simplement moins vouloir en dire. Commençons par accueillir. Gardons la volonté de mesurer des effets en nous émerveillant qu’ils ne nous appartiennent pas tous. En bref, opérons un vrai changement de paradigme.
Pour que demain, nos rapports RSE ne bombent plus le torse en étalant combien de personnes nous avons “impactées”, mais racontent plutôt combien nous avons été nous mêmes changés par des rencontres. La fragilité de l’autre - comme celle d’un écosystème, d’un quartier, d’un espace naturel - constitue une faille.
Nous n’avons pas forcément à la combler. Nous pouvons aussi, à sa rencontre, la vivre comme une aspiration à nous décentrer et prendre du recul sur nous-même, sur nos propres défaillances. Puis changer : nous-mêmes, grâce à l’autre, avec l’autre.