société

Gaëtan, flic harcelé : Du Grand gaillard à la loque, il raconte son calvaire

Gaëtan est flic. C’est sa vocation depuis toujours. Bien dans ses baskets, sûr de lui, heureux en ménage. Tout lui sourit. Alors qu’il s’apprête à vivre un nouveau bonheur en devenant papa, il fait une rencontre qui va assombrir son existence. Une “supérieure” hiérarchique va lui faire vivre l’enfer. Une collègue toxique qui lui fait perdre pied. Il doute de tout, perd confiance. Devient une loque. À deux doigts de commettre l’irréparable… avant de rebondir. Rencontre.


7 min
3 janvier 2023par Katia Abdesselam

Il est 10h, on a rendez-vous en plein centre de Paris, Gaëtan* est pile à l’heure. 1m80, 95 kilos, il fait partie de ces hommes qu’on aime appeler les “gros nounours”. Imposant, sûr de lui, un large sourire, une poigne de main ferme, il donne l’impression que rien ne peut l’atteindre et pourtant…Il s’installe et le masque tombe.

Le “grand gaillard” face à “la tortionnaire”

“Sous mes airs de grand gaillard, sûr de moi, je suis quelqu’un de très sensible. J’aime que l’on m’aime”. C’est peut-être cette faille qu’a trouvé sa “tortionnaire” comme l’appelle Gaëtan pour l’atteindre et le faire vaciller.

Tout commence quand il décide de se faire muter en région parisienne. “Je suis arrivé dans ce nouveau commissariat avec beaucoup d’ambition, j’étais déjà titulaire depuis de nombreuses années, j’y allais avec beaucoup d’entrain et de motivation”.

Mais alors qu’il commence à prendre ses marques, sa femme enceinte de 8 mois est sur le point d’accoucher. “On était un jeune couple marié et très amoureux. Après 3 semaines de poste, j’ai vite été en congé paternité et en revenant une collègue qui était censée être ma supérieure hiérarchique s’est montrée froide et assez vite tyrannique. En opération, elle me trouvait lent et elle faisait toujours des reproches, rien de ce que je faisais ne lui convenait”.

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C’est peut-être moi le problème ?”

Très vite, le flic sûr de lui laisse place à l’homme épuisé par son nouveau rôle de papa, et commence à douter de ses capacités, de sa motivation. “Je me suis donc remis en question assez vite, peut-être que je ne fais pas bien les choses, peut-être que je suis trop fatigué et que je suis lent. C’est peut-être moi le problème.

Les jours passent, les semaines et les reproches se font de plus en plus entendre, les remarques de plus en plus acerbes et la fausse bienveillance des premiers jours se transforme en méchanceté. “C’était sans cesse de la méchanceté gratuite, « qu’est-ce qui ne va pas avec toi Gaëtan, tu ne comprends rien ? ».

L’homme imposant se fait de plus en plus petit : “j’essayais de me mettre de côté, de ne pas me faire remarquer.”  Mais rien n’y fait, la supérieure toxique a trouvé sa cible, sa victime, elle lui en fait voir de toutes les couleurs. “Elle était humiliante devant mes collègues. Elle avait un discours culpabilisant. Je passais pour un gros nul”, rembobine-t-il.

Le déclic : le jour du rond-point…

Les matins pour se lever et venir au boulot se font de plus en plus difficiles, voire impossibles. “Un jour, je me souviens avoir fait plusieurs fois le tour du rond-point pour éviter de prendre la sortie pour rejoindre mon commissariat et puis au bout d’un moment, je m’arrête sur le bas côté et j’appelle mon médecin. Je lui ai dit, je ne peux pas y aller. Je me suis mis en arrêt maladie”.

Un arrêt nécessaire pour se ressourcer, recharger les batteries, se remotiver. “Pendant cet arrêt, elle m’a envoyé un message pour me dire « on a mal commencé ». Un mea culpa en quelque sorte. “J’ai dit ok. Peut-être que je dois aussi me remettre en question et être moins susceptible. Je suis revenu et j’ai essayé de tout faire bien. Je voulais lui plaire.

Elle me mettait sans cesse en difficulté. Et le pire, je crois, c’est qu’elle m’ignorait”.

Mais rien n’y a fait. “Elle me mettait toujours en situation d’échec. Elle s’appuyait sur une autre collègue avec qui j’étais censé être sur le terrain, pour être encore plus humilié. Elle me mettait sans cesse en difficulté. Et le pire, je crois, c’est qu’elle m’ignorait”.

Comme la majeure partie des personnes toxiques, elle avait réussi à l’atteindre psychologiquement. “J’étais jeune papa, j’étais entre l’euphorie et le manque de sommeil. J’étais dans une période de ma vie où j’étais plus sensible, plus fragile, et elle le savait”.

Le costaud jeune papa, est de plus en plus éteint, renfrogné, et peu loquace. La douleur se fait encore plus ressentir quand elle décide d’aller voir la chef de service pour lui dire tout le mal qu'elle pense de cette nouvelle recrue. “J’ai été convoqué et la chef de service m’a explicitement dit que j’allais être mis au placard pour incapacité à travailler. Je me suis effondré, je me suis mis à pleurer dans le vestiaire et encore une fois, je me suis mis en arrêt maladie”.

“Tu n’es pas un mauvais flic, tu n’es juste pas au bon endroit”

Une sale période pendant laquelle Gaëtan s’éloigne de sa femme. “Je suis devenu une loque”, raconte-t-il. Il traverse une crise importante. Il ne voit pas d’issue. “À mon retour, les choses ne changeaient pas, elles empiraient même, je me suis alors confié à une collègue qui était en salle radio. J’ai eu des mots très durs. J’ai eu des idées très sombres. J’ai remis en question ma vocation que j’avais depuis le collège. Cette collègue a eu les mots justes, elle m’a dit « tu n’es pas un mauvais flic, tu n’es juste pas au bon endroit » ”.

Convoqué par la DRH, Gaëtan va pour la première fois raconter son calvaire. “Je pleurais et là, elle m’a dit une phrase qui m'a fait comme un déclic, un électrochoc, elle m’a dit, « mais cette personne n’est en rien votre supérieure hiérarchique. Elle devait juste vous aider à vous intégrer, mais en rien, elle était au-dessus de vous. C’était une collègue comme une autre. Elle a le même grade que vous » . C’est le choc. Ce jour-là, la DRH lui conseille de rentrer chez lui. Il rend son arme, son équipement, son uniforme.

Une pause salvatrice

“J’ai vu mon médecin traitant qui a fait un courrier auprès de la médecine du travail. J’ai été arrêté pendant 3 mois et demi, j’ai perdu mes primes, on s’est retrouvé financièrement dans une situation délicate. On a mis du temps à se relever”. Mais ce dernier arrêt va s’avérer très salvateur. Cette pause, il en avait besoin pour se reconstruire.

“Durant mon arrêt, je me suis rendu au commissariat d’Evreux il y a la réserve de la police nationale, j’ai proposé mes services. J’ai passé l’entretien et je l’ai eu. J’ai fait la formation obligatoire et pour la première fois, je n’étais pas stressé. Au contraire, j’étais super motivé et enjoué. Le commissariat m’appréciait et m’appelait régulièrement en tant que réserviste. Je me sentais utile et ça faisait longtemps que cela ne m’était pas arrivé. J’étais efficace. J’étais arrivé à en douter, elle avait réussi à mettre à mal ma confiance en moi”.

Après cet arrêt maladie, Gaëtan devient un autre homme. Il reprend confiance en lui. Ne doute plus de ses capacités. “J’étais enfin prêt à l’affronter. Elle a vu que j’arrivais en bombant le torse en étant plus sûr de moi. J’étais enfin serein. Elle a commencé à se justifier auprès de moi « ce n’est pas ma faute, c'est la chef de service qui m’a mis la pression, pour te dégoûter du métier… » Elle ne savait plus quoi inventer. Elle n’avait plus d’emprise sur moi, elle voyait bien que mon état d’esprit avait changé. Le tyran était devenu agneau”.

Un nouveau départ

De retour, enfin requinqué et sûr de lui, Gaëtan sait qu’il n’avait plus longtemps à tenir. “J’ai passé un concours pour avoir un grade supérieur en même temps qu’elle. Elle l’a loupé et je l’ai eu. Suite à cette réussite, j’ai demandé ma mutation, je ne voulais pas devenir son supérieur. Il était temps pour moi de tourner la page”.

Convoqué par la chef de service pour connaitre sa version des faits. “J’ai tout dit, mon année d’enfer, le harcèlement, les brimades… J’ai demandé à ce qu’elle ne travaille plus avec moi pour le reste de ma mission. J’avais notamment les lettres des médecins traitants et du travail qui appuyait ma demande”.

La “tortionnaire” a été convoquée et mise au placard. Gaëtan, quant à lui, a changé de commissariat. Fidèle à son statut de nounours au grand cœur, il n’a pas souhaité de poursuites. La vie lui donnera raison.

“Aujourd’hui, je suis gradé, ma femme a repris un boulot, on a pu déménager, et tout a fini par s’arranger. On a eu un deuxième enfant. Une renaissance en quelque sorte. J’aurais pu sombrer, mais je me suis relevé. Cette histoire m’a appris beaucoup sur moi, et sur le fait que le harcèlement au travail peut toucher tout le monde. Il faut surtout prendre soin de soi et des siens”.

*Le prénom a été modifié.

Katia Abdesselam

Journaliste

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