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« J’ai dû licencier… et j’en ai souffert (ou pas) »

Sophie : “J’ai vécu le pire moment de honte de ma vie” “Je suis juriste de formation, et suis passée côté RH, […]


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Sophie : “J’ai vécu le pire moment de honte de ma vie”

“Je suis juriste de formation, et suis passée côté RH, il y a 10 ans. J’ai opéré beaucoup de licenciements dans ma vie. Jusqu’à l’an dernier, je n’avais jamais mis d’affect dans ce que je considérais simplement comme un process technique. Mon dirigeant m’avait d’ailleurs dit un jour que dans ce monde, il y avait les RH molles et les RH dures. Clairement, j’étais du second côté.

De plus, j’étais parfois dans de grosses structures où je ne connaissais pas les gens. D’ailleurs, le plus souvent, ce n’est même pas moi qui les recevais en entretien en général. Pour moi, les plans sociaux n’avaient rien de personnel. L’une des entreprises où j’ai travaillé était en difficulté financière, et mon rôle était de défendre ses intérêts. Je ne me posais donc pas plus de questions que cela, sans doute pour me protéger inconsciemment.

L’an dernier, tout a changé pour moi. Il y a eu un conflit au niveau de la direction et un changement d’équipe. On m’a alors demandé de virer mon propre manager avec qui je m’entendais bien. J’ai commencé à faire une enquête disciplinaire qui m’a mis dans un fort état de stress, d’autant qu’il n’y avait rien à lui reprocher. J’étais la seule RH alors, je ne pouvais pas repasser le bébé. Au final, j’ai dû convoquer mon manager et l’autre personne avec qui soi-disant il y avait un problème.

Je n’ai jamais eu aussi honte de ma vie car le dossier était vraiment creux, et la nouvelle direction voulait simplement le pousser dehors. Mon plus grand regret est que je n’ai pas eu le courage de passer un coup de téléphone à mon manager pour m’excuser de devoir le convoquer. J’étais tétanisée, j’avais peur de me prendre une balle dans le dos, et j’ai manqué de courage.

Nous en avons discuté plus tard, et il m’en a voulu, ce que je comprends. Suite à cela, j’ai fait un burnout et j’ai changé d’entreprise. J’ai eu l’impression de repartir à zéro, et ça m’a fait beaucoup de bien.

Au final, je demeure convaincue que licencier fait toujours partie de notre job, et que de nombreux licenciements sont justifiés, mais que malgré tout, il ne faut pas tout accepter. Je n’ai pas pris assez soin de cette personne. Le licenciement aurait eu lieu, avec ou sans mon concours, mais il y a l’art et la manière de le faire. Cet événement a grandement modifié ma perception des RH”.

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Jérôme : “Je n’ai aucun mal à me regarder dans la glace”

“J’ai toujours su que licencier faisait partie de mon job. Dans ma vie, j’ai dû faire 250 ruptures de contrats et 70 sanctions disciplinaires. Je ne délègue jamais les licenciements alors que je gère les RH d’un opérateur de service public de 3500 collaborateurs en contrats de droit privé. Je n’ai aucun mal à me regarder dans la glace, car j’ai toujours eu l’intime conviction que ces licenciements étaient la meilleure solution pour tout le monde, et j’ai la chance de ne pas intégrer de PSE dans mon activité.

Par contre, je suis convaincu que plus tôt ces licenciements ont lieu dans le parcours du collaborateur, mieux cela se passe. Si manquements il y a, l’employeur doit s’en rendre compte rapidement, et tenter d'accompagner le salarié pour éviter le décrochage.

Dans mon esprit, je n'évalue pas les personnes en tant que telles, mais l’adéquation de leurs profils avec les besoins de la structure. Se faire remercier pour insuffisance professionnelle peut être très humiliant, c’est pourquoi je m’attache toujours à mettre de la nuance et de l’humain dans un process normé. Et puis il y a des collaborateurs que l’on n’a pas de mal à licencier, parce qu’ils sont toxiques par exemple, ou ont de gros problèmes de déontologie.

Enfin, je crois qu’un DRH ne peut pas tout accepter et rester aligné avec ses convictions personnelles. J’exerce dans le service public et ce n’est pas pour rien que je n’ai pas basculé dans les secteurs les plus concurrentiels. On ne m’a jamais demandé de faire quelque chose qui déontologiquement me gênait.

Il m’est arrivé qu’un manager me demande d’instruire un dossier pour se débarrasser de quelqu’un, mais il s’agissait d’une incompatibilité d’humeurs. J’ai estimé que la personne s’était suffisamment bien défendue pour classer cette “affaire”. Je pense que sur ce type de poste, il est vital de rester fidèle à son éthique personnelle, et ne pas accepter les basses besognes, quitte à démissionner si nécessaire”.

Fanny : “J’ai eu peur des représailles”

“J’étais manager dans un gros magasin de prêt-à-porter dans un centre d’affaires touristique. J’avais recruté un conseiller de vente qui faisait du très bon travail et avec qui je m’entendais bien. Le matin, avant l’ouverture, les blagues sur la religion ou encore le handicap étaient monnaie courante entre les collaborateurs. Je n’intervenais pas tant que cela se passait en dehors des heures d’ouverture et n’impactait pas la clientèle.

Un jour, après les attentats de 2015, ce collaborateur a fait une blague déplacée en disant que les terroristes n’avaient pas atteint leur objectif de X morts. Par la suite, il a commencé à revêtir l’habit traditionnel des Emiratis, mais bien sûr pas pendant ses heures de travail.

Un jour, il est allé un cran plus loin en faisant un dessin sur le casier d’un collaborateur qui partait prochainement : on y voyait la Tour Eiffel avec marqué à côté “prime de 1 million d’euros versée à tes parents en cas de mort”. J’ai signalé ce changement d’attitude à mon Directeur en lui demandant quoi faire, mais je n’ai pas été aiguillée.

Un matin, avant l’ouverture, ce collaborateur a fait mine de lancer un sac dans le magasin et de partir en courant, ce qui a terrorisé les clients qui attendaient devant la vitrine. J’ai téléphoné à mon Directeur régional et son premier réflexe a été de rire, puis quand il a eu le service juridique il m’a reproché de ne pas avoir signalé tout cela plus tôt.

Au final, le collaborateur a été mis à pied immédiatement et licencié. Je ne l’ai jamais recroisé, mais tout cela m’a mis très mal à l’aise, d’autant que le contexte social dans le magasin était très tendu. J’ai eu moi-même peur des représailles, car je ne savais pas si tout cela était une vaste blague, ou si le risque d'attentat était réel.

J’aurais préféré avoir une discussion transparente avec ce collaborateur, et lui expliquer que j’étais dans une position d’obligation de remonter ces faits. De plus, je me suis sentie abandonnée par le service juridique et sécurité, c’était une décision lourde à porter. Malgré tout, ce que j’en retiens, c’est qu’il faut prendre la meilleure décision non pas pour la personne, mais pour l’entreprise et les autres collaborateurs.”

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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