“Je fais plus jeune que mon âge” : ou quand le physique ne matche pas notre CV
“Tu me donnes quel âge ?”. Cette question quand elle rythme une conversation perso est au mieux amusante, au pire un peu gênante. Mais quand elle vient s’immiscer dans le pro, elle peut devenir discriminante. Ne pas faire son âge, une problématique qui n’a pas pris une ride apparemment.
-Elle m'a regardé et elle m'a dit : “mais t'as quel âge ?’
-J'ai dit : “je ne vois pas le rapport”.
-Elle m'a dit : “Non, tu fais jeune”.
-Et j'ai répondu : “je vois toujours pas le rapport”.
Cette bribe de conversation reflète assez bien un sujet visible, mais dont on parle peu : l’apparence physique. Et plus particulièrement : celle de ne pas faire son âge. Tania est consultante, flirte avec la trentaine sur son passeport, mais vous pouvez lui donner quelques années de moi si vous la croiser.
“Pas assez crédible”, “manque d’expertise”, ce sont les clichés qu’elle entend régulièrement. “C’est à nous qui paraissons jeunes d’essayer de débunker les idées reçues. Mais la première fois que ça t’arrive, tu n’es pas bien, tu es un peu décontenancée”, s’amuse-t-elle en repensant à son début de carrière. “Quand j’ai fini mon alternance et que j’ai passé un entretien : on a cru que je venais pour un stage de troisième”, se souvient-elle avant d’envoyer sa punchline (la première, d’une longue liste dans sa carrière) : “vous n'avez pas lu mon cv en fait ?”.
Visage d’ange VS cheveux grisonnants : est-ce vraiment ça le combat ?
Car si démarrer est difficile (mais ça, c'est le lot de beaucoup), progresser quand les rides ne suivent pas, l’est encore plus. “Quand ça faisait 2-3 ans que j'étais déjà sur le marché du travail, les gens n’avaient pas forcément confiance en la personne que j'étais à l'entretien. Tout le monde me disait : “mais vous êtes jeune, peut-être que vous n'êtes pas en capacité de prendre autant de choses”. Si j’étais là, c’est que je m’en sentais capable”, clame-t-elle à rebours.
Plus que son âge encore, c’est l’apparente inexpérience qui a porté préjudice à Tania : “je pense aussi qu'il y a un sujet de réassurance vis-a-vis d’un client. Montrer quelqu'un qui a de la séniorité, des cheveux grisonnants (chose que je n’ai pas) c'est aussi montrer l'expérience à travers un visage”, analyse-t-elle. “Et je pense que ce n'est pas super rassurant au départ pour un client de voir quelqu'un qui est jeune et qui paraît jeune. Au départ, c'était un frein, aujourd’hui, j’en ai fait ma force”, pose la future trentenaire.
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Selon le baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi du Défenseur des droits, (46%) des 18-24 ans et 42% des 25-34 ans “affirment avoir vécu une expérience de discrimination dans le monde professionnel”. “On est malgré tout dans une société où le physique reste un facteur de différenciation sur le marché du travail. Je parle beaucoup du jeunisme, mais ça marche aussi dans l’autre sens”, interpelle la consultante.
Elle voit les mêmes discriminations de l’autre côté de l’arche des âges. “Il y a d'un côté les seniors qui défendent le sujet de l’âgisme et de l’autre, les jeunes avec le jeunisme. Mais en fait pour moi, c'est juste un sujet global. Je refuse que le physique et l'âge soient un des facteurs qui permette de négocier un salaire, qui te permette de parler en public, d'être à l'aise, d'être en confiance”.
Toujours selon le même baromètre, ce chiffre dépasse la moitié quand on s’attaque au genre : “en tant que femme on a le syndrome de l'imposteur qui est multiplié par dix, je pense. Mais je pense que c'est aussi très difficile pour un homme”, rebondit-elle immédiatement avant de raconter l’anecdote d’un alternant qu’elle encadrait : “il paraissait jeune et était vraiment très talentueux. Quand il a passé des entretiens, ça a été un frein parce que tout le monde pensait qu’il avait 16-17 ans. On n'a pas voulu lui donner les responsabilités alors qu'il avait la compétence”.
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“Pour le coup, je me suis bien démerdé pour mon premier salaire, mais après ça a été un véritable frein. On m'a fait comprendre qu’on ne pouvait pas me donner autant que quelqu'un qui avait cinq ou dix ans de plus. Sauf que sur le cv, on avait le même temps d’expérience”. Mais il y a toujours une solution… et ce dernier exemple va vous la donner.
Une ultime question vous trotte peut-être encore en tête : comment s’est terminée cette conversation (vous vous souvenez, celle du début d’article) ? “Elle s’est sentie un peu agressée, mais je lui ai dit :” je pense que tu recherches une compétence et pas un physique”. “Aujourd’hui on travaille ensemble et ça se passe très bien”. Et au bon tarif.