”Je n’ai pas eu d’enfants” : comment la non-parentalité peut bouleverser une carrière
Un enfant, ça change une vie, c’est ce qu’on dit. Mais ça change aussi une carrière. Alors que se passe-t-il quand il n’arrive jamais ? C’est la question que l’on a voulu poser à deux femmes aux carrières parfaitement remplies mais qui ne sont pas passées par la case enfant. Rencontre avec deux femmes hors des normes.
“Je ne me suis pas dit dans ma vie : “Je n’aurai pas d’enfant”, c’est juste que ça ne s’est pas fait. Mais finalement… heureusement. J’adore ma vie comme ça. J’aime cette liberté”, lance Nathalie, 53 ans, pleine d’entrain. “Les couples que je vois avec enfants ne me font pas rêver. J’adore les enfants, j’ai des neveux, des nièces, mes soeurs ont bossé pour moi !”.
“J’ai vécu cette première grossesse comme une maladie, comme un cancer”
Pour Barbara, 56 ans et chef d’entreprise dans l’immobilier. L’histoire est un brin plus complexe. “Ça a été une fatalité”. Elle tombe enceinte accidentellement à 29 ans. Et c’est clairement pas le moment pour elle. ”J’ai vécu cette première grossesse comme une maladie, comme un cancer. Je n’attendais qu’une chose, c’était l’IVG”. Il était amoureux, elle ne l’était pas. “Pour moi la parentalité, c’est un projet d’amour. Ça a été un immense soulagement en sortant de la clinique”, se souvient-elle avec émotion.
Mais ce qui l’a aussi poussé à ne pas démarrer une famille, c’est le boulot. “Je n’avais pas l’intention de changer mon mode de vie. Je travaillais du jeudi au lundi, de 14h à 19h. Je faisais du sport tous les matins avec un entraînement strict. Pendant 10 ans je n’ai que 5 weekends par an. C’était une volonté de ma part, mais aussi un prétexte”, rembobine-t-elle avant d’ajouter qu’une image l’a particulièrement marquée : “J*’ai été très influencée par les femmes de la profession qui étaient plus âgées que moi et à qui on avait retiré la garde de leurs enfants parce qu’elles travaillaient le week-end**. Et ça faisait des femmes aigries, frustrées…”* L’opportunité de devenir mère se représentera plusieurs fois, mais à chaque fois, cela n’ira pas à son terme. ”Oui, ma carrière aurait été différente avec un enfant”.
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“On m’a souvent surnommé la Maman dans ma boîte”
Nathalie est Chief Happiness Officer, ou “responsable expérience collaborateur en entreprise”. Son job, c’est d’être proche des autres. Un choix de carrière, finalement assez proche des qualités que l’on attend d’un parent. Pourrait-on y voir le fruit d’un transfert inconscient ? Après un long silence, elle claque un : “Je ne sais pas si on peut parler de transfert, mais on m’a souvent surnommé la Maman dans ma boîte. T’es sympa avec tout le monde, mais tu dis aussi quand il y a des trucs qui vont pas. J’adore la nouvelle génération et sa façon de voir le monde du travail. Ils se posent des questions qu’on ne se posait même pas nous”.
Cette vie, sans famille, mais pas sans sourire, a-t-elle alimenté une carrière plus intense ? Pour Barbara, c’est une évidence : “Je me suis réfugiée dans le boulot pour ne pas souffrir. J’ai fait des erreurs de casting dans ma vie perso et le travail me permettait d’au moins réussir quelque part. Si je ne réussissais pas ma vie perso, il fallait au moins que je réussisse ma vie pro. Je bossais minimum 70h par semaine, ça montait jusqu’à 80h”.
De son côté, Nathalie ne l’a pas vécu comme ça, mais elle ne nie pas que le taf a pris une place importante dans sa vie : ”J’ai travaillé dans un environnement de travail bienveillant donc ça m’a donné des ailes pour faire des choses. La confiance qu’on m’a accordée à faire en sorte que je m’épanouisse dans mon travail, et donc forcément aussi en dehors”, et d’ajouter cette pirouette dans un grand sourire : “En tout cas j’ai pas l’impression que le boulot ait été un refuge, ou alors je m’en rends pas compte et il faut que j’aille voir un psy”.
La non-parentalité, le tabou du berceau
Ce qui est certain, c’est que la non-parentalité est un sujet, et qu’il devient forcément un sujet au travail à un moment donné. “J’ai toujours été très ouverte sur le sujet. On pouvait en parler, mais le message était toujours très clair : j’adore les enfants, mais j’en veux pas et j’adore ma vie comme ça”, précise Nathalie. Puis de compléter : “mais la parentalité peut devenir un sujet très touchy, surtout quand tu ne peux pas en avoir”.
Pour Barbara, cela a transformé sa façon de bosser. “On me disait que j’avais les clients que je méritais. Au lieu de faire une vente dite facile avec un investisseur pluripropriétaire, j’allais systématiquement vers les dossiers plus compliqués, les jeunes couples primo-accédants… J’ai compensé. Comme si il fallait que justice soit rendue quelque part”, dit-elle avec beaucoup de force et de fierté.
Au fil de ce récit, on se rend compte que la non-parentalité impacte presque plus le travail que la parentalité. “**Le fait de ne pas être parent m’a marginalisée”, note Barbara.** Mais moi je l’acceptais car je remplissais le vide par le boulot”. Nathalie a quelque peu évolué sur le sujet : “Ma réflexion a progressé. Il y a des places en crèche, des congés enfant malade, etc, c’est super, je suis ravie pour les parents, mais… je me dis que quand tu n’as pas d’enfants, tu es moins bien considérée. Je ne trouve pas ça normal. Il y a une inéquité. Il faut aussi penser aux non-parents. C’est un choix de vie, et pour nous il n'y a rien qui est fait dans notre sens”. Leur corps, leurs choix.