société

Je ne fais pas mon âge : et si paraître trop jeune était un frein au boulot ?

Si dans la vie de tous les jours, “ne pas faire son âge” peut se prêter à de la coquetterie, au travail, c’est une autre histoire. Dans un contexte professionnel, cela peut mener à une forme de discrimination envers les plus jeunes. C’est ce que l’on appelle le “reverse ageism”, soit jeunisme inversé en VF.


6 min

Tania a bientôt 29 ans, mais son allure fluette et sa voix douce lui retirent facilement cinq années au compteur. Si elle a appris à composer avec cette particularité au fil du temps, elle l’a longtemps vécue comme une forme de handicap. Malgré son expérience (elle a commencé à travailler à l’âge de 21 ans), la jeune femme qui travaille dans la communication a mis du temps à monter les échelons, sa hiérarchie lui demandant de faire preuve de patience quand pour d’autres collaborateurs, le même nombre d’années d’exercice suffisaient à accéder à des postes plus gradés.

“On oublie que chacun a son propre parcours, et donc que pour ma part, cela fait 8 ans que je travaille. Je ne devrais pas avoir à me justifier sur mes compétences. Par exemple, on m’a déjà dit que mes prétentions salariales étaient trop élevées par rapport à mon âge, raconte-t-elle. Mais depuis quand l’âge entre-t-il en considération dans la négociation ?

“Ce n’est pas un merdeux qui va m’apprendre la vie”

Pour Kevin, même combat. Âgé de 28 ans, on lui en donne facilement 24. “Il faut dire que ma pilosité n’est pas très développée”, plaisante-t-il. Alors, quand il a démarré sa carrière dans une grande enseigne de bricolage, sa petite barbichette juvénile lui a joué des tours. Il se souvient notamment d’un accrochage avec un manager agressif qui l’a alpagué en le tutoyant illico presto. “Si je ne voulais pas perdre la face devant mes collègues, il fallait que je lui réponde, et c’est ce que j’ai fait en le tutoyant à mon tour, ce qu’il n’a pas apprécié puisqu’il est carrément venu poser son front contre moi en me demandant de baisser les yeux”, se souvient-il, nous expliquant que la séquence était devenue culte dans son ancienne entreprise.

Depuis, Kevin a monté son cabinet de coaching et reçoit des personnes souvent bien plus âgées que lui. Aujourd’hui encore, il doit faire face à des remarques du genre “ce n’est pas un merdeux qui va m’apprendre la vie”, ou encore vous ne connaissez rien, vous venez de sortir du lit”. Autant de remarques qui l’ont blessé et questionné au démarrage, et face auxquelles il a dû apprendre à faire preuve de recul.

Des stratégies pour masquer sa jeunesse

Infirmière en laboratoire, Hélène, 32 ans, a également souffert pendant longtemps de ne pas faire son âge. “Les patients me regardaient comme une jeunette. J’avais l’impression qu’ils ne me faisaient pas confiance”, explique-t-elle. Pour elle, la période du port du masque a été libératrice, puisque son visage étant à moitié caché, elle semblait bien moins jeune qu’à l’accoutumée. Alors, elle l’a gardé autant que possible, et n’hésite pas à porter des lunettes et des chemises pour paraître plus âgée.

Une stratégie également partagée par Tania qui sait par expérience qu’elle doit toujours se maquiller et porter des talons en réunion pour avoir le droit de s’exprimer sans qu’on lui coupe la parole (oui, oui, on en est encore là !). Quant à Kevin, il a adopté la blouse blanche qui permet plus facilement d’asseoir sa position professionnelle. Il fait également attention au vocabulaire qu’il emploie pour gagner en crédibilité.

La rédaction vous conseille

Le paternalisme, à la source du reverse ageism ?

Comme Tania, Kevin ou Hélène, 36% des représentants de la génération Z ou des millennials ont rapporté avoir fait l'expérience de discriminations liées à l'âge au travail, pouvant être liées à un prétendu manque d’expérience, selon un sondage Harris Poll. C’est ce que l’on appelle le jeunisme inversé.

Lorsque les candidats ne sont pas évalués sur leurs qualifications, ou lorsque l'âge est d'une manière ou d'une autre considéré comme un avantage ou un obstacle, nous devons nous préoccuper du problème de l'âgisme”, affirme Megan Gerhardt, professeur en Management et Leadership à l’université de Miami et autrice de “Gentelligence: A Revolutionary Approach to Leading an Intergenerational Workforce”. Et d’ajouter : "Ce que la génération Z et les Millennials considèrent souvent comme un comportement proactif est fréquemment perçu par les personnes des générations plus âgées comme de l’arrogance".

J’ai plus de cheveux blancs que toi, je vais t’apprendre certaines choses”

Joséphine, qui travaille dans les relations presse, nous livre effectivement un parfait exemple de ce que Megan Gerhardt décrit. “Je fais jeune, je suis une femme, et je suis noire, alors je me suis souvent demandé si cela me portait préjudice. Jusqu’ici, cela allait, jusqu’à ce que je tombe sur le DG d’une entreprise qui s’est très mal comporté avec moi”, explique-t-elle.

Rendez-vous annulé à la dernière minute, absence de réponse aux emails… à la fin de leur terrible collaboration, Joséphine s’est ouverte sur ce comportement qu’elle a jugé peu professionnel, ce à quoi son interlocuteur a rétorqué : “J’ai plus de cheveux blancs que toi, je vais t’apprendre certaines choses”. “Il me trouvait arrogante, je pense. Pour ma part, j’ai trouvé cela tellement paternaliste et déplacé”, se souvient-elle.

L’humour, la meilleure carte à jouer ?

Face à ces attaques injustifiées, nos trois interlocuteurs ont pris le parti de se défendre. Joséphine a recadré ce fameux DG en lui rappelant les règles élémentaires de politesse, consistant à prévenir lorsqu’on annule un rendez-vous. Au final, il ne savait plus où se mettre, rapporte-t-elle.

Kevin, lui, a enfilé son costume de coach pour ne voir en ses interlocuteurs peu délicats que des égos surdimensionnés. Quand il a le droit à ce type de réflexion, sa meilleure défense est désormais l’attaque : “Je leur pose une question qui les déstabilise du type : “Si je demande à Alain qui il est et quelles sont ses valeurs, que répondrait-il ?”. Il faut toujours essayer de comprendre l’intention de l’autre quand il envoie une pique, car le plus souvent, c'est une tentative de marquer son autorité pour se rassurer en raison d’un manque de confiance en soi”, affirme-t-il.

Quant à Tania, elle joue à fond la carte de l’humour qui l’aide à dépasser le syndrome de l’imposteur. “Cela décontenance mon interlocuteur qui ne s’attend pas à ce que j’ai autant de répartie puisque je suis siiii jeune. Mais de manière générale, j’essaie de ne pas prendre les choses personnellement, car parfois, certaines personnes commettent des maladresses sans le vouloir”, lance-t-elle. Quant aux indécrottables c***, gageons que la retraite les rattrapera à mesure que l’entreprise fera son examen de conscience.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

La newsletter qui va vous faire aimer parler boulot.

Chaque semaine dans votre boite mail.

Pourquoi ces informations ? Swile traite ces informations afin de vous envoyer sa newsletter. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien présent dans chacun de nos emails. Pour en savoir plus sur la gestion de vos données personnelles et pour exercer vos droits, vous pouvez consulter notre politique de confidentialité