société

La jeune aidance : ces futurs travailleurs à l’équilibre vie pro/vie perso très bancal

En moyenne, on devient aidant à 40 ans. Mais que se passe-t-il quand on doit “aider” avant même de “travailler” ?


5 min

Êtes-vous atteint du syndrome du bon fils ou de la bonne fille ? C’est-à-dire prendre soin d’un proche en perte d’autonomie, mais sans forcément le dire à votre employeur. Tout simplement, parce que vous trouvez ça “normal”, “logique”, “humain” de s’occuper des siens. Mais ces missions, voire ces fonctions (car oui, ça y ressemble fortement), portent un nom : l’aidance.

1 collaborateur sur 4 sera concerné par l’aidance en 2030. Et parmi eux, des jeunes. Avec un impact fort sur leur vie… et leur carrière. ”La principale différence, c'est l'auto-identification”, démarre Delphine Lacroix de l’association La Pause Brindille.

Pour elle, la situation est vraiment différente en fonction de l’âge : “à 40 ans (âge moyen des aidants, ndlr), tu vas parler avec tes amis et tu vas dire “c'est pas facile en ce moment, je m'occupe de ma mère, je m'occupe de mon père, je me pose plein de questions, je lui fais ses repas…” Tu vas identifier le fait que tu aides quelqu'un. Tu le fais en général par amour, mais aussi parce que ça fait partie de tes valeurs”.

“Aidant ? Moi ? Je ne pensais pas”

Quand les années au compteur sont un peu moins nombreuses, on a une situation de vie toute autre : “la particularité d'un jeune, c’est qu’il ne s'identifie pas, puisque bien souvent, c'est une situation qu'il connaît depuis longtemps, soit qui s’impose à lui. Ça se passe souvent dans son foyer, donc la démarche n’est pas volontaire. C’est souvent une situation subie”, alerte-t-elle.

Comme pour l’aidance au global, le tabou doit être levé et la visibilité doit être donnée. À commencer par les aidants eux-mêmes. 39% des jeunes aidants n’ont pas connaissance du terme d’aidant”, affirme une étude de la Macif qui recense environ 1 million de jeunes aidants (moins de 25 ans). Pire encore, 61% des jeunes aidants se disent “gênés” au moment de faire connaitre leur situation et 1 sur 10 se mure dans un silence complet.

“Comment transférer le temps que j’ai passé en tant qu’aidant sur le CV ?”

Même si le monde pro n’est pas encore une réalité, il point le bout de son nez. Et les conséquences sont déjà très présentes : “30% des jeunes aidants déclarent avoir modifié leur orientation scolaire ou universitaire pour privilégier des études plus courtes”. Et près d’un quart des jeunes aidants “témoignent avoir vécu un décrochage scolaire”. Comment entrer dans la vie pro, quand la marche est déjà si haute ?

Pour Delphine Lacroix, “il faut arriver à libérer la parole car il y a beaucoup de RH qui nous disent : “on n’a pas les mots, on ne sait pas trop comment s’y prendre”. L’association reçoit “des demandes de services RH qui demandent à être accompagnés” pour assurer un meilleur “parcours d'intégration des collaborateurs”. La Pause Brindille intervient ainsi en entreprise. “L’idée est que l’entreprise puisse faire entendre à ses collaborateurs qu’elle prend en considération ce statut d’aidant, et le cas échéant, ne pas refuser un poste à cause de ça”.

D’autant que les bénéfices pour les organisations sont multiples. Attirer, fidéliser et faire monter en compétences les jeunes talents. “Comment transférer le temps que j’ai passé en tant qu’aidant sur le CV ?”, c’est la question que se posent ces jeunes aidants. Delphine Lacroix, estime qu’il faut “le transformer en valeur, pour que l’entreprise puisse s’en saisir et voir quelles qualités propres elle a envie pour l'ensemble de son écosystème”.

“72% des jeunes aidants… sont des aidantes”

Finalement, on pourrait se dire qu’en parler, et valoriser les compétences liées à l’aidance pourraient suffire à changer la donne. Mais ce serait oublier un détail, et non des moindres, les inégalités femmes-hommes, car là aussi l’aidance joue son rôle. Si “60% des aidant.e.s sont des femmes”, 72% des jeunes aidants… sont des aidantes. Un rapport de la Fondation des femmes explique ainsi que les “femmes sont le pivot de l’aidance”.

“La société évolue, mais reste très en retard sur ce point-là”, commente la dirigeante de l’asso. “L’idée que la femme puisse faire autre chose qu’être au foyer, c'est finalement présent depuis peu de temps. Cette culture, dès le berceau, est encore très prégnante”. À ça, elle pointe aussi la parole “plus aisée chez une femme. “Elle va reconnaitre plus spontanément qu’elle fait un nombre d’actions à la maison. Il y a davantage de pudeur chez les garçons”.

Aidant un jour, aidant toujours

Le cliché “aidance = care = femme” n’est qu’à un pas. Un pas que franchi aisément notre experte : “Ça a un impact aussi sur le choix professionnel. Quand on est aidant, et a fortiori jeune aidant, il y a tout un pan de notre vie qui ne nous appartient pas, et on ne le sait pas forcément. À partir du moment où on a été aidant, on a une forte propension à travailler ensuite dans le domaine de l’aidance : c’est à dire le soin, l’accompagnement, le coaching, l’enseignement”.

Elle convoque aussi les travaux de Saul Baker, un spécialiste de l’aidance. “Il explique grosso modo que quelqu'un qui a été tout le temps dans l’aidance a deux fois plus de chances de développer une pathologie mentale ou une addiction” résume-t-elle avant de tempérer : après, il y a des tas de gens qui disent : “je ne changerai ma vie pour rien au monde” au vu des autres moments “incroyables” que l’on peut passer en tant qu’aidant”.

Comprendre la jeune aidance, c’est comprendre que “l’aidance réduit l’égalité des chances”. Mais c’est aussi comprendre que c’est un accompagnement du quotidien. Ça veut dire sensibiliser, informer, mais aussi former tout court ceux qui sont la courroie de transmission entre les personnes : les managers. Demain, un travailleur sur quatre va connaitre l’aidance. Il ne pourra pas être traité avec égalité, mais il devra l’être avec équité.

On vous laisse avec un dernier chiffre du rapport de la Macif : “7 répondants aidants sur 10 (68%) souhaitent que leur réalité soit plus visible dans la sphère publique”. Si vous avez fini cet article, vous pouvez désormais agir.

Yannick Merciris

Head of Editorial The Daily Swile

Journaliste qui aime autant les mots que le ballon rond. Vu que je gère mieux le premier que le second, j’ai décidé […]

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