L’aidance : Comment les entreprises peuvent aider… ceux qui aident ?

D’ici à 2030, un quart de la population active sera considérée comme “aidante”*. Et là, peut-être que vous vous dites : ça veut dire quoi, être “aidant” ? L’aidance, c’est lorsque que l’on aide de manière régulière, et sans rémunération, un proche. C’est la définition la plus basique pour expliquer un phénomène qui touche aujourd’hui le quotidien de très nombreuses personnes (9,3 millions selon la DREES).

Donner un chiffre précis est pourtant très difficile tant la notion d’aidance est déjà complexe à intégrer… pour ceux qui “aident” : “Si on pose la question à quelqu’un : ‘est-ce que vous porter assistance à l’un de vos proches ?’, ils peuvent dire oui, mais ils ne vont pas se considérer aidants pour autant. La plupart des aidants le sont sans le savoir”, explique Eva Muringer, fondatrice de Flavi, une plateforme qui met en relation des professionnels de l’aidance au service des particuliers. Un constat partagé par José Pirès, délégué syndical de la CFDT, qui parle du syndrome du “bon fils”. “Ça s’impose à nous, par la force des choses. Ce n’est pas dans notre culture de dire non à ses parents”.

Une sorte d’évidence qui rend le sujet de l’aidance quasi invisible : “Les gens n’osent pas dire qu’ils sont en situation d’aidance. Ils ont l’impression qu’ils vont être stigmatisés, jugés”, ajoute Amélie Watelet, DRH d’AXA France. “Il faut faire évoluer les représentations sur ces sujets-là”.

Pour autant, Eva Muringer précise que c’est un sujet encore assez flou : “Quand on parle d’aidance, l’imaginaire collectif nous fait penser à une personne âgée, mais ça peut être aussi un conjoint. Ce n’est pas forcément lié à l’âge ou au handicap, mais à la maladie. Un cancer qui se déclare peut se guérir. On devient aidant puis avec de la chance, on ne l’est plus”, détaille-t-elle avant d’embrayer : “mais accompagner ses enfants de manière “classique”, ce n’est pas de l’aidance, c’est juste être parents”.

Une situation perso qui a un impact immense sur la situation pro. Concilier les deux devient un véritable défi : selon une étude IFOP, “79 % des aidants témoignent des difficultés à concilier vie professionnelle et rôle d’aidant et 72 % estiment que ce rôle a des répercussions négatives sur leur capacité de concentration et leur efficacité”.

Afin de répondre à ce problème, AXA offre depuis 2020 dix demi-journées rémunérées par an “pour accompagner un proche aidé à un rendez-vous médical ou pour des formalités administratives, par exemple”, précise la DRH. Comment ça marche ? Très simplement : “on informe son manager avec un justificatif médical ou un simple mot d’attestation sur l’honneur afin de s’organiser et se libérer quand on en a besoin”, détaille Amélie Watelet.

De son côté, José Pirès a fait signer un accord unanime pour les 15 000 salariés de Total Energies qui permet “une flexibilité de temps de travail, installe des référents proches aidants et offre un temps de maintien de salaire, des congés dont ils peuvent bénéficier”.

Sur le sujet, seulement 1 entreprise sur 10 a pris des mesures pour les salariés aidants*. Parmi les besoins identifiés en priorité pour les salariés aidants, ce n’est pas le porte-monnaie, mais bel et bien “la souplesse de l’emploi du temps”.

La DRH et le syndicaliste parlent d’une même voix (sans se connaitre) quand ils donnent l’impact pour l’entreprise de prendre le temps pour leurs aidants. “Être accompagné quand on est aidant, c’est être capable de continuer à travailler de manière épanouie et de manière parfaitement contributive. C’est évidemment gagnant pour les employeurs que d’être au rendez-vous”, tonne la DRH d’AXA France. Et l’absentéisme est l’un des dommages collatéraux de l’aidance : “parce que qu’on n’y arrive pas, parce que c’est trop compliqué de tout conjuguer, on se met en arrêt de travail. Et ça, ça a un coût pour les entreprises”, retient-elle.

“Ça aide aussi sur la charge mentale”, appuie José Pirès. “Quand on est aidant, on l’emporte au travail. Certains disent que l’entreprise est un refuge, mais quand la personne ne va pas bien, ça se voit”, enchaîne-t-il.

Pour lui, tout le monde bénéficie des actions mises en place pour les salariés aidants : “L’employeur s’y retrouve car il garde son salarié dans l’emploi tout en lui donnant la possibilité d’aider. Cela permet aux salariés de sentir aidés et soutenus, et de ne pas être seuls. Bosser 8h à fond, et en sortant il faut que je remette une autre casquette d’aidant. C’est épuisant. Le lendemain ça se ressentira dans le travail. C’est gagnant des deux côtés”.

Pour que les promesses ne restent pas vaines, faut-il encore qu’elles deviennent concrètes… et qu’elles soient prises en main par ceux à qui elles doivent profiter. “Les entreprises n’adressent l’aidance que par des mesures administratives : ‘X jours de congés en plus dans l’accord collectif’”, pique Eva Muringer. “Beaucoup ne connaissent pas ces droits et puis c’est aussi un sujet privé. Ça ne suffit pas d’alourdir le dispositif réglementaire. Le principal sujet, c'est de sensibiliser”.

Un dernier point sur lequel les 3 intervenants sont d’accord. “Plus on donne de la visibilité à ce sujet, plus on en parle de manière vulgarisée, parfaitement “normalisée”, et plus on permet aux gens de se sentir à l’aise pour exprimer leur situation et surtout utiliser les dispositifs mis en place”. En 2022, un rapport de France-Stratégie révélait que seuls 26 % des salariés aidants avaient informé leur entreprise de leur situation.

Pour combler ce fossé, Amélie Watelet invoque un pragmatisme fort : “il faut y venir de manière concrète parce que ce ne sont pas des déclarations d’intention. Il faut partir d’un besoin réel des aidants”. Et pour elle, “le nerf de la guerre, c’est l’organisation. Il faut donc démarrer par ça avec de la flexibilité, du temps, rémunéré de préférence, mais aussi un soutien psychologique parce que ce n’est pas facile d’être aidant”. De son côté, Eva Muringer propose aussi un accompagnement pécuniaire sous la forme de tickets CESU par exemple pour “financer les aides humaines”.

L’aidance est un poids important dans la vie de nombreux salariés, un statut qui vient de facto mêler les vies professionnelles et personnelles. Pour autant, ce quart de la population active qui composera les entreprises en 2030 sera une force. “Les aidants représentent une véritable richesse pour l’entreprise, car ils développent de nombreuses compétences spécifiques (sens de l’organisation, intelligence émotionnelle, capacité d’écoute, adaptabilité, etc.)”, détaille Suzy Canivenc dans sa thèse “Les jeunes des travailleurs comme les autres”.

“Pourtant, les aidants hésitent à mettre en valeur ces qualités lors des entretiens d’embauche, par crainte de ne pas être retenus”, prévient-elle. Désormais, vous saurez qu’aider c’est une responsabilité et une force.

*(Le Baromètre 2023 du 4ème colloque de l’Observatoire solidaire des salariés-aidants)