Le RH caméléon : une appellation, mille fonctions
66% des RH estiment que leur métier se complexifie* jusqu’à devenir totalement protéiforme. Mais alors, les responsables RH seraient-ils devenus des mutants ?
“En 20 ans de métier, j’ai vu le métier se diversifier les 5 dernières années comme je ne l’aurais jamais imaginé”, nous confie Thierry Jouzier, DRH chez Intertek, passé par Sixt et PepsiCo. Pour lui, il est clair qu’une entreprise ne peut plus traiter le sujet des ressources humaines comme elle le faisait auparavant.
Frappée de plein fouet par la pandémie, la profession doit plus que jamais écouter les nouvelles attentes des salariés. Et il en va de même pour les candidats qui jouissent d’un marché qui leur est désormais favorable. Autant de problématiques qui atterrissent dans la corbeille des RH et teintent leurs écailles de mille couleurs.
Mais qui es-tu, cher RH ?
Gestion de l’administratif et de la paie, fonctions liées au recrutement et à la marque employeur, formation, mise en place des process, management des talents, communication interne ou encore lien avec les équipes opérationnelles… à travers cette liste à la Prévert, on comprend aisément que les RH vivent 1001 vies.
“Au démarrage, la fonction RH avait une forte teinte juridique, presque régalienne : il fallait être très au point sur le droit social ou encore le droit du travail. Avec l’automatisation, la profession va pouvoir se délester d’une partie des tâches administratives. Mais en même temps, le métier se colore de nouveaux enjeux, avec l’apparition par exemple de la RSE ou du rôle en matière de conduite de transformations diverses”, explique Jérôme Friteau, Directeur des Relations Humaines et de la Transformation au sein de l’Assurance Retraite.
En perpétuel équilibre entre l’individuel et le collectif, le RH est en proie à des problématiques foncièrement humaines, mais aussi très liées au business de l’entreprise. Une étude réalisée par l’APEC et l’ANDRH prouve que les jobs en RH sont de plus en plus intriqués avec la direction des entreprises. Un jeu d’équilibriste ! À travers ces cinq exemples, tâchons de comprendre un peu mieux ses multiples casquettes.
1 - Négocier avec les partenaires sociaux
Parce que les syndiqués ne semblaient plus vraiment se presser au portillon, on avait quelque peu enterré la question du débat social en entreprise, et le rôle éminent du DRH dans le processus. Mais la récente réforme des retraites, tout comme la question du télétravail ou encore de la semaine de 4 jours, ont remis à la page les négociations entre employeurs et partenaires sociaux.
“On observe que les taux d’adhésion aux syndicats remontent. Il est clair que c’est moins un sujet que l’on observe en startup ou PME, mais dans les grandes entreprises, le besoin de corps intermédiaires se fait plus que jamais sentir et vient enrichir la fonction”, assure Jérôme Friteau.
2 - Combler les carences du management
Parce que l’accès au management est encore trop souvent perçu comme une promotion plutôt que la résultante d’une compétence spécifique, ce sont souvent les RH qui viennent colmater les pots cassés. “Les managers aussi sont de vrais caméléons. Or, ils ne peuvent pas tout assumer. De fait, les RH viennent de plus en plus souvent combler les carences du management”, analyse Thierry Jouzier.
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Concrètement, il va s’agir, non seulement de former ces managers, mais parfois aussi de se substituer à eux pour réaliser un entretien de recadrage, un licenciement, une réunion d’équipe pour remobiliser les collaborateurs ou encore la mise en œuvre d’éléments additionnels de convivialité.
Pour Jérôme Friteau, le RH est effectivement en prise directe avec le sujet du management : “il doit animer la communauté managériale et coacher en individuel les managers pour devenir le guide de la transformation managériale”. Et en tant que guide suprême, il se doit d’être exemplaire sur la question !
3 - Jongler entre l’individuel et le collectif
“Un jour, un DRH organise un entretien individuel avec un salarié en difficulté. Le lendemain, il est assis à la table du Comex, obligé d'appréhender la stratégie globale de l’entreprise, avec une teinte de plus en plus financière et business”, décrit Jérôme Friteau. Pour Thierry Jouzier, le RH caméléon doit effectivement être tout autant capable de se faufiler sur le terrain et mettre les mains dans le cambouis, que de prendre de la hauteur pour déployer une vision à long terme sur la gestion des collaborateurs…. qui se comptent parfois par milliers.
Un travail de funambule d’autant plus ardu que “le rapport aux gens se complexifie avec la judiciarisation croissante et surtout les difficultés de vie rencontrées par les collaborateurs”, rapporte Jérôme Friteau. Il nous confie d’ailleurs rencontrer de plus en plus de salariés avec des problématiques très graves comme de la violence conjugale, des difficultés financières inédites ou encore la monoparentalité et l’épineuse question du logement.
4 - Développer son leadership interne
Pour assumer toute la densité de son métier et pouvoir peser sur l’organisation, le RH doit développer son leadership au sein de l’organisation. Cela requiert un certain sens tactique pour faire passer des coups à trois bandes. “Avoir le sens politique, la capacité à trouver ses alliés, mais aussi le courage de montrer ses désaccords avec les dirigeants lorsque l’on estime qu’une mauvaise direction est prise… on ne l’apprend pas dans les livres ni sur les bancs de l’école, mais souvent à ses dépens ”, lance Thierry Jouzier.
Il estime aussi que le RH doit se muer en véritable influenceur en interne afin de pouvoir pousser les sujets qui lui tiennent à cœur : “faire adhérer son équipe, son dirigeant et ses collaborateurs à sa vision est fondamental pour avancer”, ajoute-t-il.
5 - Prendre le pouls de la société
Parce qu’il est en charge de la transformation digitale, organisationnelle ou même des nouvelles modalités de travail, le RH doit porter une vision en lien avec les évolutions sociétales. “Malgré la multitude de ses fonctions, le DRH doit pouvoir lever la tête du guidon, observer ce qui se passe autour de lui et voir comment son entreprise peut s’inscrire dans les nouvelles attentes de la société en matière de transition écologique par exemple”, pointe Jérôme Friteau.
Se faire l’architecte de la transformation requiert aussi que le RH se plonge dans les sujets technologiques, avec la capacité de se projeter sur l’impact de l’IA et de l’automatisation.
Trouver sa couleur dominante ou tutoyer l'arc-en-ciel ?
Pour Thierry Jouzier, c’est clair : “on est plus ou moins caméléon à différents stades de sa carrière, et aussi selon sa personnalité. Certains vont choisir de se concentrer sur le recrutement par exemple, mais pour ceux qui veulent atteindre des fonctions de DRH, il est véritablement nécessaire de maîtriser toute la palette du métier”.
Un point de vue partagé par Jérôme Friteau qui ajoute toutefois que pour traiter en profondeur chacun des sujets, le DRH ne peut être le seul sur le pont. Quand bien même la fonction de RH ne rapporte rien à l’entreprise par essence, elle nécessite d’être correctement staffée… avec à sa tête le plus flamboyant des caméléons.
*Source : baromètre Payfit x Tissot