Le tatouage est-il notre meilleur CV ?
Le tatouage semble être entré dans les mœurs et ne plus choquer personne. Pourtant, il est parfois encore un frein quand il s’agit de passer la porte du travail. Ce frein est-il présumé ou bien réel ?
“Je ne t'aurais jamais embauchée avec ton tatouage si tu t’étais pointée en entretien”. Quand Dorith Naon, ambassadrice Linkedin, repense à cette phrase, elle en sourit. Pourquoi ? Car elle vient juste d’être nommée meilleure vendeuse de France. “Du coup, à quel moment, ça a porté préjudice à mon travail ?”, s’amuse-t-elle à rebours.
Aujourd’hui, on estime qu’un Français sur 5 est tatoué (Ifop). On en voit partout, tout le temps et de toutes les formes. D’aucuns diraient que c’est presque random. Pourtant, le tatouage peut encore être un sujet de crispation : “Il y a beaucoup de monde qui a peur de montrer ses tatouages au boulot ou en entretien. Ils essaient de les cacher en se disant que ça peut leur porter préjudice et donc ne pas décrocher le taf. C’est ridicule. Si une entreprise vous juge sur votre apparence, vous n’avez rien à y faire”, tance l’autrice de l’ouvrage LinkedIn booste ta visibilité.
Elle se rappelle, néanmoins, que comme plus de 3 Français sur 4 (77% selon Sondage Qapa/2019), elle a choisi d’abord un lieu discret pour son premier tatouage (le haut du bras) : “Je l’ai fait ici volontairement, car je savais que je pouvais le cacher”.
Sommes-nous hypocrites au sujet du tatouage ?
La tentation est grande, surtout quand on démarre dans le monde du travail, de vouloir cacher son tatouage. Toujours selon le même sondage, relayé par BFM, 83% des Français pensent “qu'un tatouage peut freiner une carrière”. Pour Dorith, il y a encore du travail sur ce sujet justement : “quand je suis arrivée sur LinkedIn, et que j’étais en recherche d’emploi, c’est mon post sur les tatouages qui m’a donné de la visibilité dans le milieu professionnel. J’ai reçu un grand nombre de messages de RH qui m’ont dit : “Dorith, vous êtes folle, supprimer ce post, il y a plein d’entreprises qui n’aiment pas les tatouages, il y a plein de chefs d’entreprise qui ne vont pas vous contacter, ni vous recruter”.
Ces quelques retours n’ont fait que renforcer ses convictions : “peu importe si une entreprise me juge sur mon apparence. Je préfère que ma recherche d’emploi dure plus longtemps, mais au moins trouver un endroit où je suis moi-même, où je suis respectée, valorisée, considérée pour ce que je suis. Et pas arriver en entretien, avec un col roulé et faire exprès d’être lisse. Ce n’est pas moi et ça n’a aucun sens”.
Les plus sceptiques pourront aussi arguer que le tatouage peut être un obstacle professionnel, notamment vis-à-vis d’un client. Ah bon ? Le Défenseur des droits (et le Code du travail) disent l’inverse : “Les salariés ont le droit au respect de leur vie privée et la discrimination liée à l’apparence physique est proscrite. Il est toutefois possible d’y apporter des restrictions à condition que celles-ci soient motivées par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes. La demande de la clientèle n’est pas considérée comme telle par la jurisprudence.”
La rédaction vous conseille
L’histoire de l’ambulancier
Et c’est justement sur ce point concernant les “exigences professionnelles essentielles et déterminantes” qu’il faut s’attarder. Dans quel cas peut-on blâmer un tatouage ? Dans un article écrit par Arthur Tourtet, avocat pour le site Village Justice, il se questionne : jusqu’où le salarié peut-il faire ce qu’il veut de sa peau ?”. Il raconte l’histoire de cet ambulancier, licencié après s’être fait tatouer les mains. Un licenciement jugé discriminatoire. “Le tatouage d’un salarié est donc fortement protégé en droit du travail. Plus qu’on ne le croit”, écrit-il. Il ajoute que “l’obligation d’avoir une tenue correcte et une apparence soignée ne peut servir de prétexte pour dissuader des salariés de se faire tatouer” et que “l’image de l’entreprise ne saurait non plus servir de fondement à une interdiction du tatouage en général”.
Cela semble clair, mais tout ne peut pas être fait non plus. Du moins presque pas tout. Il rappelle qu’”un salarié n’a pas à manquer de respect envers ses collègues, ses supérieurs et les clients”, qu’il “existe des tatouages dont la signification visent à produire le même effet qu’un bras d’honneur”, et que “le tatouage ne doit pas non plus être constitutif d’une infraction pénale”. Mais rarement une salamandre ou un signe tribal n’aura été puni par la loi.
Votre CV n’est pas votre appartement
Plus qu’une lutte contre les discriminations, c’est aussi un besoin d’alignement que le tatouage peut faire naitre. “On dit souvent : “quand on cherche un job, on se doit d’être le plus neutre possible”. Ça veut dire quoi être le plus neutre possible ?”, s’interroge notre tatouée. Plaire au plus grand nombre, c’est l’argument de home staging donné par les émissions de déco quand il s’agit de revendre un appart. Recruter, ce n’est pas chercher la copie, mais la singularité justement, pour nourrir un collectif.
“Ça fait peur, s’inquiète Dorith. C’est-à-dire qu’il y a un idéal commun chez certaines personnes selon lesquelles le mot professionnel veut dire neutralité. On n’est pas des cyborgs. On a des tatouages, ça raconte notre histoire”. Et de conclure en a appelant à la responsabilité des cadres dirigeants : “aujourd’hui, les managers, les dirigeants et les DRH ont une grande responsabilité pour s’impliquer personnellement et faire passer le message à l’équipe en disant : “la diversité, l’inclusion et la tolérance, c’est de juger les candidats et les personnes, sur les compétences et pas sur l’apparence”.