Licenciement : 1 Français sur 2 en a plus peur que la mort
En 2022, un peu moins d’un million de personnes ont été licenciées en France (984 000 selon la DARES). Une expérience redoutée par les salariés tant elle peut être difficile économiquement, socialement et psychologiquement.
Qu’il s’agisse ou non d’un plan social, quand la nouvelle d’un licenciement tombe, c’est souvent un choc. À tel point que pour 54 % des Français, se faire licencier est plus effrayant que la mort, d’après une enquête menée par Zety, un site de conseil en recherche d’emploi.
Un résultat qui ne surprend pourtant pas Lionel Leroi-Cagniart, psychologue clinicien du travail à Paris. “La mort est une évidence, une exclusion définitive, qui arrivera à chacun. Le licenciement a un caractère plus inattendu et injuste. C’est une exclusion sociale, non mortelle, mais psychiquement ravageuse”, confie-t-il. Si la mort est inéluctable et universelle, le licenciement, lui, peut ne concerner qu’une personne dans l’entreprise. La sentence tombe sans qu’on y soit forcément préparé.
La pyramide de Maslow pointe le bout de son nez
Le travail est nécessaire au salarié pour subvenir à ses besoins. Avec la perte de cet emploi, d’autres avantages disparaissent : mutuelle, titres resto, voiture de fonction… De quoi ébranler la sécurité financière et psychique : Que faire face à cette baisse de revenus ? Comment payer les factures ? Quand retrouvera-t-on un emploi ? Dans le contexte d’inflation actuel, la perte de celui-ci, et par conséquent du pouvoir d’achat, peut faire peur.
D’après le Baromètre IRSN 2023 (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) sur la perception des risques et de la sécurité par les Français, le pouvoir d’achat est le sujet le plus préoccupant pour eux (cité en premier par 36 % des sondés). Le licenciement vient réveiller la crainte de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins primaires (se nourrir, se loger…).
Quant à aller réclamer les allocations chômage, ce n’est pas toujours évident. “Certaines personnes licenciées appréhendent tellement les échanges humainement difficiles avec Pôle Emploi qu’elles ne souhaitent même pas s’y inscrire”, constate le psychologue du travail.
Isolement et perte de repères
Outre l’aspect économique, le licenciement perturbe le quotidien et met fin à une certaine routine réconfortante qui rythmait et guidait les journées. Être licencié, c’est perdre ses habitudes et plonger dans l’inconnu.
Le travail est également créateur de liens sociaux. Le salarié y côtoie des personnes et crée des relations plus ou moins fortes avec elles. Une étude, menée en mars 2023 par l’agence américaine Wildgoose, révélait que près de 57 % des salariés estimaient bon, voire nécessaire, d’avoir au moins une amitié au travail. En étant mis à la porte, on quitte ce cercle relationnel parfois après des années de complicité.
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Pour Lionel Leroi-Cagniart, un licenciement aujourd’hui peut prendre davantage d’ampleur qu’autrefois. “Avant, on pouvait se raccrocher un peu à la famille, à un collectif que l’on trouvait dans le travail ou ailleurs. Là, il y a une solitude particulièrement profonde qui a été accentuée par la crise du Covid. Beaucoup me confient que lorsqu’ils ont été licenciés, personne n’a rien dit autour d’eux par peur d’être mal vu par leur chef. Ces anciens collègues envoyaient un sms ensuite pour soulager leur conscience. C’est dur pour la personne licenciée de vivre dans ce monde de faux semblants”, déclare le psychologue du travail.
La honte du licencié
Toujours d’après l’enquête menée par Zety, 64 % des sondés pensent qu’un licenciement leur donnerait l’impression d’être inutiles. Le travail est une manière de participer à une œuvre commune, d’apporter sa pierre à l’édifice et de transformer le monde. “C’est aussi une confrontation à soi-même, cette activité vivante nous pousse à nous dépasser, à trouver des solutions, à triompher”, ajoute Lionel Leroi-Cagniart.
Le travail confère aussi une position sociale valorisante. Le licenciement, lui, amène à se remettre en question : a-t-on fait quelque chose de mal ? D’où vient cet échec ? Pourquoi nous ? Cela affecte l’estime de soi et entraîne une blessure narcissique. Ainsi, 75 % des personnes interrogées confient avoir honte d’avoir été licenciées et une personne sur 3 l’a même caché à sa famille.
Game over ?
Ça peut parfois aussi amener à regretter certains choix, comme avoir privilégié sa vie professionnelle au détriment de sa vie privée. Et tous les efforts fournis pour développer l’entreprise deviennent vains. “Beaucoup de personnes s’investissent quasi affectivement au travail. D’autres s’en sortent bien, car elles font leur travail pour gagner de l’argent et c’est tout”, reconnaît le psychologue.
Pour ces personnes très investies, ce licenciement peut être perçu comme une trahison face à leurs loyaux services et les amener à déclencher des crises d’angoisse, des stress post-traumatiques. “Le licenciement, c'est une mise hors-jeu, hors du monde, hors de ce qui fait nos fondements humains (être ingénieux, intelligent, travailler en collectif, être reconnu…). C’est une manière de jouer une partition contre la condition humaine, or, on ne peut pas vivre sans ça”, ajoute le psychologue. Être licencié conduit alors à puiser dans ses ressources, son capital énergie pour sortir la tête de l’eau et tenter de rebondir.