Manager, pourquoi tu n’es plus aussi sexy qu’avant ?
Manager, c’était à la mode, un truc par lequel il fallait passer pour réussir. Sauf que c’est de moins en moins hype. Pourquoi ce job est-il moins sexy qu’avant ? On a diagnostiqué, enquêté, fouillé… et peut-être même trouvé la solution… tout à la fin. Ordonnance avec Nicolas Lepercq, docteur en management.
Est-ce que plombier, c’est un métier ? Je suis quasi sûr que 100% des gens répondront “oui” à cette question. Est-ce que manager, c’est un métier ? Là… je suis beaucoup moins confiant sur la réponse. Je suis donc allé demander à un expert, un docteur même : Nicolas Lepercq.
“Manager, c’est un métier ?” Grand silence de sa part avant de claquer un “Oui, c’est un métier”, assez laconique. Puis il enchaîne : “Mais la question, c'est : est-ce un métier en plus d’un autre métier ou est-ce que c’est un métier spécifique ? Est-ce que c’est une étape dans un métier ? C’est l’enjeu de transformation que nous sommes en train de vivre depuis plusieurs années”.
Manager, c’est un reliquat de réussite sociale…
Si auparavant, manager était cool, voir indispensable pour progresser (socialement et financièrement), désormais la donne a changé. “Historiquement, dans l’armée, pour monter en grade et devenir “chef”, on le faisait à l’ancienneté. C’était une étape naturelle qui liait mérite et temporalité”, rappelle notre docteur en management qui opère avec Ignition Program.
“Dans les usines, on devenait contremaitre parce qu’on avait plus d’expériences, on avait passé du temps à l’ouvrage. C’était une évolution sociale valorisante, on sortait de la plèbe… et de la pénibilité. On faisait bosser les autres (et donc on se protégeait soi-même). C’était une sorte de récompense”.
Aujourd’hui, manager fait, semble-t-il, moins rêver. “Parmi les cadres qui ne sont pas managers, 4 sur 10 aimeraient le devenir”, révèle une étude menée par l’APEC. Un chiffre qui baisse… Manager ne doit plus être une conséquence, mais une volonté. Mais quelles sont les réelles motivations de ceux qui souhaitent le devenir justement ? Et sont-elles vraiment bonnes ?
- Une progression dans la carrière
- La volonté de transmettre des compétences
- L’augmentation de la rémunération
Pour réussir, il faudrait passer absolument pas la case manager. Est-ce toujours le cas ? Non. Si on devient manager pour augmenter son salaire, ce que l’on souhaite réellement, ce n’est pas manager, mais être augmenté.
Finalement, la transmission de compétences est l’attrait qui correspond le plus au profil du manager dont le monde du travail a besoin. “Les jeunes générations considèrent que le manager, c’est d’abord quelqu’un qui apporte quelque chose. Là, on parle de transmission de compétences, confirme le Doc, “mais le fait que mon manager ait eu besoin de devenir manager pour sa carrière ou pour être augmenté, moi en tant que managé, je m’en fiche”.
Connaissez-vous la dentelle managériale ?
La principale raison qui repousse les actifs du management… est celle qui caractérise le plus les besoins de la profession : “la gestion des individualités au sein d’une équipe”. Vue comme “une source de problème”, elle égratigne le vernis managérial. “Les attentes des managés sont de plus en plus prises en compte, dès lors ça complexifie le rôle du manager”, prévient Nicolas Lepercq.
C’est là qu’arrive notre histoire de dentelle et de personnalisation des relations : “si le modèle qui marche le mieux est le sur-mesure, cela veut dire que le manager devra être bon avec chacun de ses managés et différent avec chacun de ses managés. On arrive à un niveau de complexité extrêmement fort. Si on fait un parallèle avec un “management à la papa”, c’était des règles définies et les managés s’adaptaient. Il n’y avait qu’une seule façon de fonctionner”.
C’est pourquoi notre expert fait le pari de miser sur le QE (Quotient émotionnel) et beaucoup moins le QI : “il faut aujourd’hui être centré sur la relation et non pas sur le résultat, c’est tout le sujet de l’intelligence émotionnelle. On n’a plus besoin des managers pour organiser, contrôler, planifier ni même pour prévoir, parce que les outils existants le font déjà à la place des managers”.
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Un bon manager est-il un manager invisible ?
Dès lors, ce constat doit vous faire poser la même question que moi : a-t-on encore besoin de managers ? “On en a besoin sur toute la dimension relationnelle avec les managés”, clame Nicolas Lepercq. “C’est-à-dire la capacité à comprendre quels sont les leviers qui vont permettre à un managé de bien travailler. Ça mobilise alors d’autres compétences que des compétences intellectuelles (organisation, calcul, mesure)”.
Cette révolution du savoir-faire faire vient avec son lot de skills : “les compétences qui vont devenir centrales pour les managers seront relationnelles et émotionnelles. “Pourquoi X fonctionne comme ça ? Sur quel bouton j’appuie pour qu’il soit motivé, engagé ? Comment je lui fais un feedback ? On passe dans l’univers du mentorat”.
L’ego du manager est-il voué à disparaitre ? Un bon manager est-il invisible puisqu’il met en valeur les compétences des autres ? “Le manager ne doit pas disparaitre parce qu’il fait partie de l’équipe. Il ne doit ni s’effacer ni prendre trop de place”, juge-t-il.
Comment réapprendre à manager en 2024, 2025… 2030 ?
Si on est à peu près d’accord pour dire que manager est un métier, cela signifie qu’on peut l’apprendre. Mais existe-t-il une part de prédispositions ? Partons-nous tous sur la même ligne de départ ? ”L’intelligence émotionnelle, ce sont des aptitudes qui se cultivent, se développent, mais pour lesquelles on peut avoir des prédispositions”, précise le docteur en management.
Il complète : “comme pour beaucoup de choses, nous ne sommes pas tous égaux sur certaines compétences : certaines courent ou nagent plus vite que d’autres par exemple. On peut avoir une bonne vue, une meilleure oreille, calculer plus ou moins vite… Et bien certains ont une plus grande capacité à se mettre à la place de l’autre”.
Aïe ! Vous l’aurez compris, certains auront plus de chance de décrocher la médaille que d’autres. Et bien, pas vraiment. Nicolas Lepercq soutient que manager repose plus sur du travail que du talent : “mais cette prédisposition n’empêche pas de travailler. Et parfois, il vaut mieux avoir quelqu’un avec moins de talent mais qui travaille, plutôt que quelqu’un de très talentueux qui ne le cultive pas. Pour être manager, il faut probablement avoir des prédispositions, mais ça reste des compétences que l’on peut développer : le fameux quotient émotionnel”. Les besogneux prendront la place des talentueux (un peu fainéants).
Manager, c’est un art, artisanat ou une science ?
Difficile de s’y retrouver tant la fonction semble complexe. Pour Nicolas Lepercq, il ne faut pas choisir : “Manager, c’est un mélange des trois”.
- Manager, c’est un art parce que “la créativité associée à la capacité de répondre à des situations relationnelles ou spécifiques imposent cette forme d’innovation. On ne peut pas copier/coller les relations”.
- Manager, c’est un artisanat aussi, “car apprendre à faire un feedback par exemple, c’est s’entraîner à communiquer de façon pertinente. À la fois en étant clair sur ce qu’on veut dire, et en même temps positif pour que l’interlocuteur puisse en retirer quelque chose”.
- Manager, c’est une science “parce qu'on peut s’inspirer de méthodes, de modélisations qui permettent d’avoir des données quantitatives qui expliquent ‘qu’en ayant tel type de pratique, la probabilité que ça se passe mieux est supérieure dans tel type de contexte’”.
Manager, le métier le plus dur du monde ?
Au bout de l’entretien et de mes recherches, je me dis que manager, ça a l'air d'être un métier vraiment très difficile. Peut-être le plus dur du monde (j’exagère un peu car je bénis les médecins… et Thomas Pesquet).
Notre Doc se veut rassurant : “Je ne crois pas que ce soit le métier le plus dur du monde. C’est un métier complexe parce qu'il y a beaucoup de variables techniques et pratiques. Il est surtout beaucoup plus complexes qu’avant car les exigences des managés ont progressé. Il doit prouver sa légitimité beaucoup plus régulièrement, sinon il ne sert à rien”.
J’ai une ultime question : est-ce que ça vaut le coup de devenir manager ? Le portrait semble comporter beaucoup de risques et de contraintes pour quelles récompenses à la fin ? Et c’est là, où Nicolas Lepercq me claque un ultime argument imparable : “à partir du moment où l’on peut mesurer le plaisir au travail, la capacité des gens à se réaliser et que tu es conscient que c’est ton management qui le permet, alors manager, ça peut être le plus beau métier du monde”. La clé pour trouver le sens au travail est dans les mains du manager.