À quoi ressemblera le métier d’agriculteur en 2050 ?
En France, 10 000 agriculteurs cessent leur activité chaque année, soit un par heure. Pour autant, l’agriculture fait partie de ces métiers dits “essentiels” dont on ne peut imaginer la disparition tant qu’il y aura de la vie sur Terre. Mais alors, à quoi pourrait ressembler le quotidien dans le pré à l’horizon 2050 ?
Parce que le futur s’enracine dans le passé, commençons par faire un point sur les tendances à l'œuvre. Dans les années 1970, la France comptait plus d’1,6 million d’exploitations. En 2024, on n’en dénombre plus que 380 000. Dans le même temps, la surface agricole utile des fermes a augmenté, passant de 19 à 70 hectares sur la même période. Le topo est donc clair : moins d’agriculteurs et des fermes toujours plus vastes.
La tendance des exploitations taille XXL essaime
Et ce changement de taille ne va pas sans poser de multiples défis : la concentration des exploitations engendre un épuisement des sols et une augmentation de la contrainte climatique. À l’heure actuelle, la question n’est plus de savoir comment produire plus, mais plutôt comment parvenir à conserver les mêmes rendements, sachant qu’ils sont parvenus à leur maximum.
“C’est aussi un enjeu financier. En devenant plus grandes, les exploitations coûtent aussi plus cher (terrains, bâtiments, matériel, cheptel…). Or, cela pose la question de la transmissibilité des exploitations”, s’inquiète Maxime Pawlak, co-fondateur d’Eloi, une société à mission qui œuvre justement en faveur de la transmissibilité des fermes à une nouvelle génération d’agriculteurs. Actuellement, une exploitation sur deux est à transmettre dans les 10 ans.
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Sauf qu’en France, “Small is beautiful”
Pour éviter la financiarisation du secteur, soit une agriculture détenue par de grandes firmes agroalimentaires, il s’agit donc de défendre un modèle plus familial. C’est en tout cas le futur désirable que nous souhaitons défendre dans cette prospective. “Il n’y aura pas un seul modèle de fermes demain. Avec des fermes devenues plus grandes, co-existera une seconde voie, de fermes restées à taille humaine et souvent autosuffisantes”, poursuit Maxime Pawlak.
Typiquement, il peut s’agir d’une exploitation laitière dans laquelle les bêtes sont nourries 100% à l’herbe et les vêlages groupés pour optimiser le travail des exploitants. Une approche en mode “zéro importation”, plus compatible avec la biodiversité, souvent défendue par les nouveaux porteurs de projets.
“Il s’agit typiquement d’une jeune génération fraîchement diplômée d’une école d’ingénieur agronomes, issue ou non du sérail (à l’heure actuelle, 60% des repreneurs de fermes sont issus d’une famille d’agriculteurs, ndlr), et qui a envie de développer de nouvelles pratiques”, souligne Elie Toupart, spécialisée dans le recrutement des profils agricoles pour le cabinet Inspire RH.
Quand la technologie fait germer de nouvelles perspectives
Mais alors, comment pourrait travailler cet agriculteur nouvelle génération, flanqué de diplômes ? Sera-t-il davantage technophile ? Une chose est certaine, le secteur agricole connaît de grandes avancées, comme nous l’explique Thibaut Lucas, co-fondateur de Picsellia, une start-up spécialisée dans le domaine de l'IA et de la vision par ordinateur.
Il nous raconte travailler actuellement sur des applications d’aide à la décision, y compris pour les petites parcelles grâce à la micro-robotique. L’objectif ? “Tirer le maximum d’une exploitation avec les ressources à disposition : où et quand arroser, quelle intervention prévoir pour le désherbage etc, le tout en essayant de limiter au maximum les entrants. Par exemple, il existe des machines qui arrivent à se débarrasser des espèces invasives en les brûlant au laser”, nous explique-t-il. Et pour plus d’efficience, il existe même des caméras qui permettent de surveiller que les robots ne détruisent pas d’autres parcelles en récoltant dans les champs (cela s’appelle le “crop safety”). On n’arrête pas le progrès !
Vers une agriculture de bureau ?
Bien sûr, ces machines ont un coût plus difficilement amortissable pour une petite exploitation. Mais les agriculteurs travaillent depuis longtemps sur un mode coopératif et n’hésitent pas à mutualiser les ressources. On voit aussi de plus en plus d’entreprises spécialisées qui prennent en charge les moissons par exemple.
L’agriculteur version 2050 n’aurait-il donc plus qu’une fonction de management et logistique de l’activité ? C’est déjà en partie vrai. “Je connais de jeunes agriculteurs qui sont dans leur bureau la plupart du temps”, témoigne Elie Toupart. Triste vision pour celles et ceux qui croient encore à la poétique des champs ? “Il ne faut pas le voir ainsi, car l’agriculture est un métier à forte pénibilité. Avec l’arrivée de la technologie, cela ouvre aussi des perspectives pour plus d’inclusion, notamment les profils porteurs de handicap”, poursuit la spécialiste du recrutement.
Autre point et non des moindres : “L’agriculture est une profession avec des marges faibles. La technologie pourrait justement résoudre une partie de l’équation, car une machine peut travailler 24H sur 24H. Toutefois, que les choses soient claires : il faudra toujours des humains sur les exploitations pour injecter leurs connaissances à ces robots”, affirme Thibaut Lucas.
2050 : vers des activités en jachère
L’autre point positif, c’est que grâce à la technologie, l’agriculteur pourrait dégager du temps pour d’autres activités (ce qui est d’ailleurs déjà le cas pour certains exploitants, nous confirme Elie Toupart). L’agriculteur pourrait ouvrir un tiers-lieux sur son exploitation en mêlant coworking et travail à la ferme, développer l’agro-tourisme (chambres d’hôtes, activités pédagogiques pour les enfants), ou encore jouir de davantage de latitude pour transformer lui-même ses produits et les vendre en direct dans sa boutique, pour éviter les intermédiaires.
La ferme deviendrait ainsi un lieu de vie pluriel, possiblement un refuge pour les urbains en mal de terre. “Certaines fermes opèrent déjà ce type d’initiatives, comme des boutiques en direct. Mais elles souffrent d’un défaut de communication”, regrette Elie Toupart. L’agriculteur version 2050 devra donc être un as des réseaux sociaux, ou tout du moins s’entourer d’une équipe de communicants spécialisés.
Le consommateur aura-t-il le dernier mot ?
Mais si l’on ne veut pas voir les moissonneuses batteuses géantes rouler sur ce doux rêve, encore faut-il que les consommateurs soient également au rendez-vous. “Avec l’inflation, on voit malheureusement que les consommateurs reportent le plus souvent leurs achats sur une agriculture intensive, souvent issue de l’étranger. De plus, l’achat “bio”,“local” ou “soutien aux revenus des agriculteurs” ont tendance à se cannibaliser”, regrette le co-fondateur d’Eloi.
Pour le co-fondateur de Picsellia, cela vient encore confirmer la nécessité d’apporter de la technologie, y compris dans les plus petites exploitations, pour permettre à l’agriculteur de baisser ses coûts et demeurer compétitif. Vaste défi dans lequel les consommateurs seront aux premières loges à travers leurs actes d’achat pour rétribuer plus justement une profession essentielle à nos vies. Dans un monde dans lequel les ressources sont de plus en plus limitées, cela aurait du sens non ?