conseils

No zob in job : que dit la loi sur les relations amoureuses au travail ?

Parce que nous y passons une grande partie de notre temps, une part non négligeable de nos relations se nouent au travail. Mais tout est-il permis en matière d’amour au bureau ?


4 min

Que se passe-t-il quand Jérôme, le directeur commercial, tombe amoureux de Céline, sa subalterne ? Sur le papier, rien n’empêche qui que ce soit de roucouler au bureau. “En droit français, il n’existe pas vraiment de disposition qui régisse ou réglemente les relations amoureuses”, observe Elise Fabing, avocate en droit du travail.

La vie privée, c’est sacré !

En principe, ces relations relèvent de la vie privée et ne concernent pas l’employeur, qui est tenu d’adopter une posture d’indifférence. En clair, que Sophie s’acoquine avec Sophie, ce ne sont pas les affaires de l’entreprise ! Ce droit à la vie privée est protégé par plusieurs textes, tels que l’article 9 du Code civil, la Charte des droits fondamentaux de l’UE, et les dispositions internationales (DUDH, CESDH).

De plus, l’article L. 1121-1 du Code du travail précise que “nul ne peut apporter aux droits des personnes des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché”. En matière d’embauche aussi, l’article L. 1221-6 interdit de poser des questions qui n'ont pas de lien direct avec les aptitudes professionnelles du candidat, excluant ainsi toute interférence avec la vie privée.

Quand l’amour devient un problème…

Maintenant que nous avons énoncé le principe général… il y a un mais ! “La notion de loyauté envers l’entreprise entre en conflit avec la protection de la vie privée et peut être invoquée dans certains cas de licenciements pour faute grave”, nous explique l’avocate.

En soi, l’existence d’une relation amoureuse ne peut pas justifier un licenciement, mais elle peut constituer une “faute grave” quand celle-ci a été dissimulée alors qu’elle a des conséquences pour l’entreprise. Typiquement, il peut s’agir d’un conflit d'intérêt ou de favoritisme. Dans ce cas, la relation crée un préjudice pour l’entreprise ou constitue un manquement aux obligations contractuelles du salarié.

Ainsi, chaque situation s’apprécie au cas par cas. Par exemple, la Cour de cassation a rappelé que le licenciement d’une salariée, en raison d’une relation intime avec un supérieur, était abusif en l’absence de preuve de trouble ou de préjudice pour l’entreprise (Cass. Soc., 30 mars 1982). De plus, des soupçons ou une simple perte de confiance ne peuvent constituer des motifs suffisants pour un licenciement (Cass. Soc., 29 mai 2001).

La rédaction vous conseille

Conflit d’intérêts et obligation de loyauté

Cependant, si un salarié occupant des fonctions stratégiques (ex. cadre dirigeant) dissimule une relation amoureuse susceptible de créer un conflit d’intérêts ou de porter atteinte à la crédibilité de l’entreprise, la jurisprudence peut alors nuancer ce principe. Dans l’arrêt du 29 mai 2024, la Cour de cassation a infligé une sanction à un cadre dirigeant qui avait dissimulé sa relation avec une représentante du personnel. “Cet arrêt, perçu comme une incursion dans la vie privée, marque une potentielle évolution en créant une tension entre le respect de la vie privée et l’obligation de loyauté”.

Dans ce type de situation, il appartient à l’employeur de prouver l’existence d’un préjudice concret. L’obligation de loyauté exige que le salarié prenne des mesures pour ne pas compromettre l’entreprise, mais ne justifie pas une ingérence systématique.

🔍 Le cas particulier des contextes hiérarchiques Les relations amoureuses dans des contextes hiérarchiques sont particulièrement sensibles. L’employeur a le devoir de prévenir tout abus de pouvoir ou harcèlement. Une relation consentie ne doit pas dégénérer en une situation d'emprise. L’employeur peut alors enquêter ou prendre des mesures pour assurer un environnement de travail sain, tant que ces actions sont justifiées et proportionnées.

Des « love policies » en entreprise ?

À l’étranger, certaines entreprises vont beaucoup plus loin en mettant en place des “love policies” ou “love contracts” pour prévenir tout risque de favoritisme ou de plaintes pour harcèlement sexuel. C’est d’ailleurs le type de politique qui prévalait durant un certain temps pour des métiers comme Miss France ou hôtesse de l’air. Mais désormais, ces pratiques sont devenues désuètes et chacun est libre d’aimer à sa guise.

Par exemple, le Conseil d’État a invalidé un règlement d’entreprise interdisant à des employés de la même famille de travailler ensemble, soulignant l’atteinte disproportionnée à la vie privée (CE, 9 décembre 1994).

Pour conclure…

Le droit du travail français protège fermement la vie privée des salariés, y compris dans le cadre de relations amoureuses. Cependant, des obligations de loyauté et des considérations de conflit d’intérêts peuvent justifier des exceptions, surtout pour les cadres dirigeants. En l’absence de retentissement professionnel, l’existence d’une relation amoureuse ne peut, en général, fonder une sanction disciplinaire. Cela crée un équilibre délicat entre la préservation de la vie privée et la protection des intérêts de l’entreprise, qui est régulièrement redéfini par la jurisprudence.

En somme, aimez qui vous voudrez, sans jamais nuire aux intérêts de l’entreprise !

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

La newsletter qui va vous faire aimer parler boulot.

Chaque semaine dans votre boite mail.

Pourquoi ces informations ? Swile traite ces informations afin de vous envoyer sa newsletter. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien présent dans chacun de nos emails. Pour en savoir plus sur la gestion de vos données personnelles et pour exercer vos droits, vous pouvez consulter notre politique de confidentialité