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La période d’essai : la supprimer ou la garder ? Deux dirigeants pèsent le pour et le contre

Dans l’Hexagone, une poignée d’entreprises ont choisi d’innover en supprimant la période d’essai. D’un point de vue légal, elles sont dans leur plein droit : la période d’essai n’est pas une obligation réglementaire. Alors, quels sont les arguments en faveur de sa suppression ? Et pourquoi l’écrasante majorité des entreprises ne sont pas prêtes à sauter le pas ?


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CONTRE la suppression de la période d’essai

  • Un temps pour apprendre à se connaître

Hakim Ben Ayed est directeur commercial d’Aymax. Ce groupe expert dans le conseil, le développement d'applications digitales et l'intégration des solutions SAP, utilise comme l’immense majorité des sociétés la période d’essai (quatre mois renouvelables). Pour lui, la période d’essai ne présente que des avantages, à commencer par la possibilité de s’apprivoiser mutuellement, entre employeur et employé. “La période d’essai est importante pour savoir si l’on aime travailler ensemble, si on apprécie l’ambiance, si on s’entend bien avec son manager. Tout cela, je ne pense pas qu’on puisse le savoir durant un process de recrutement aussi performant soit-il. Comme dans toute nouvelle relation, cela permet de se découvrir sans avoir de grand engagement”, lance-t-il.

  • Une mesure équilibrée

Pour Hakim Ben Ayed, la période d’essai présente aussi l’avantage de pouvoir se séparer facilement d’un point de vue légal, et cela vaut tant pour l’employeur que le candidat qui n’aura pas de préavis à effectuer, contrairement à s’il était directement employé en CDI sans période d’essai. À savoir que si la rupture vient de l’employeur, le salarié touchera des indemnités de chômage.

Par contre, l’inverse n’est pas vrai, bien qu’en général, salarié et employeur parviennent à se mettre d’accord pour que le collaborateur puisse percevoir ses droits au chômage (sauf s’il part rejoindre une nouvelle aventure bien entendu). “Dans certains territoires, comme la Tunisie où nous opérons, rompre la période d’essai est encore plus facile qu’en France, cela peut se faire dans l’heure. Je trouve que le dispositif hexagonal est plus protecteur et me semble être très adapté”, estime-t-il, ajoutant ne pas être prêt à s’en passer, y voyant une mesure très équilibrée.

POUR la suppression de la période d’essai

  • Ne pas précariser inutilement

Co-fondateur de l’ESN nouvelle génération Shodo, Jonathan Salmona est l’un des partisans de la suppression de la période d’essai. Pour lui, il ne s’agit pas d’un argument marketing visant à recruter plus facilement, mais d’une mesure sociale. “En période d’essai, on ne peut pas louer ou acheter un appartement, on ressent un certain stress à l’idée que tout puisse s’arrêter subitement. Or, nous avons les moyens de ne pas précariser les gens inutilement. C’est selon nous l’une des mesures qui redonne du sens au salariat”, affirme-t-il.

Le fondateur estime aussi que la période d’essai ne doit pas être une variable d’ajustement, comme cela peut être le cas dans certains secteurs comme celui des startups dont l’économie est fragile (dans ce secteur, on entend couramment qu’une période d’essai sur deux est rompue). Pour autant, Jonathan Salmona ne se veut pas donneur de leçons : il a conscience que ses candidats évoluent sur un marché de plein emploi, avec la possibilité d’augmenter leurs revenus en changeant régulièrement de job.

  • Laisser venir… plutôt que chasser

L’un des arguments majeurs en faveur de la période d’essai est que celle-ci permet de parer aux erreurs de recrutement, au manque de “fit” qui peut se produire d’un côté ou de l’autre. Là encore, Jonathan Salmona estime avoir la parade : le recrutement inbound. Autrement dit, Shodo ne “chasse” pas les candidats de manière proactive, mais les laisse venir d’eux-mêmes.

Par quel tour de magie ? “Nous documentons énormément notre culture, nos innovations sociales. Nous avons un manifeste très costaud de plusieurs pages, nous expliquons pourquoi nous avons ouvert l’actionnariat à nos salarié.e.s, pourquoi nous avons mis en place le congé menstruel, etc”, explique le cofondateur. De cette manière, Shodo s’assure que les candidats qui postulent sont “raccords” avec la culture de l’entreprise, ce qui permet ainsi de se passer de cette phase de découverte normalement dévolue à la période d’essai.

  • Prendre toute la responsabilité de ses recrutements

Pour Jonathan Salmona, supprimer la période d’essai, c’est enfin prendre la pleine responsabilité de ses erreurs de recrutement, et ne pas les faire peser sur les candidats qui pour certains ont quitté un emploi stable pour rejoindre l’entreprise. Jonathan Salmona voit dans les erreurs de recrutement (qui en réalité sont peu nombreuses) une invitation à s’améliorer sans cesse en termes de marque employeur ou d’évaluation des compétences techniques.

Dans tous les cas, “si l’employeur constate par la suite que la jeune recrue n’est pas nécessairement au niveau, il demeure possible de la former, qu’il s’agisse de muscler ses compétences techniques, ou d’ajuster sa posture relationnelle, affirme-t-il.

Enfin, à ceux qui opposent le manque de liberté que suppose la suppression de la période d’essai, l’entrepreneur répond qu’il existe toujours un moyen de se séparer si la mayonnaise ne prend pas : la rupture conventionnelle, qui permet à l’employé de toucher des allocations au chômage. “Et puis, en deux ans, personne ne m’a demandé de période d’essai. Au final, je suis pas vent debout contre la période d’essai. Je souhaite simplement démontrer que dans mon secteur en particulier, on peut faire sans”, conclut-il.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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