Pourquoi passons-nous autant de notre temps (libre) à regarder des séries… sur des gens qui bossent ?
Que celui qui n’a jamais été spoilé sur sa série préf’ au bureau me jette la première télécommande ! Discussion phare de la machine à café, la série peut-elle nous mettre à l’écart du groupe ? Et pourquoi passons-nous autant de notre temps (libre) à regarder des séries… sur des gens qui bossent ?
“Dans les années 80, on parlait aussi de Dallas à la machine à café !”, lâche d’emblée Benoît Lagane, journaliste spécialisée dans les séries TV. Pour lui, l’engouement actuel autour des séries est surtout une question médiatique plus que populaire. Car les séries ont toujours fasciné dans les foyers.
Risque-t-on d’être mis à l’écart si on ne regarde pas de séries ? “Je ne pense pas, rétorque-t-il. La question m’amuse, car on pose la question aujourd'hui parce que les observateurs s’y intéressent. Mais cette question, on aurait pu la poser il y a 20, 30 ou 40 ans. Car il y a 40 ans, une série était encore plus un sujet commun qu’aujourd’hui”.
Magnétoscope, l’ancêtre de Netflix
On a tendance à l’oublier, mais si aujourd’hui, nous slalomons entre Netflix, MyCanal, Prime Vidéo, Disney +, HBO, Paramount + (je continue ?), l’offre n’était pas aussi florissante quand les écrans étaient encore cathodiques. Ainsi, les 15 saisons (et 357 épisodes) de Dallas ont été bien plus emblématiques que bon nombre de séries actuelles. Pourquoi ? Parce que l’offre était rare et éphémère. Que de la télé et aucun moyen de rattraper son retard (sauf par la magie du magnétoscope).
C’est bien mignon tout ça, mais cela ne nous éclaire toujours pas sur l’omniprésence dans nos discussions de ces feuilletons à rallonge. Peut-on être écarté du groupe si on n’a pas la ref ? “Ce qui est compliqué aujourd’hui, c’est qu’on a tous une série qui peut nous concerner. On va pouvoir échanger sur le dernier épisode de Game of Thrones par exemple, mais si on n’est pas fan de ce genre-là… on va rapidement parler de la série que nous, nous regardons. Et on va créer un autre canal de conversation”, poursuit le journaliste qui officie sur France Inter et Télématin.
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La question de la qualité des séries, et de leur montée en gamme significative, joue peut-être un rôle dans la popularité de celles-ci : “peut-être qu’on n'osait pas parler de Dallas dans tel type d’entreprises, exemple CSP+, et qu’on préférait parler de cinéma. Mais dans la majorité des lieux de travail, avec des milieux assez divers et populaire, avoir vu Dallas, X-Files, etc, c’était un sujet de conversation”, rappelle Benoît Lagane.
Le boulot : terreau fertile pour produire des séries
À y regarder de plus près, ce qui parait étonnant, c’est la typologie des séries que nous regardons. Pour beaucoup, elles sont relatives… au travail. Pourquoi, une fois sorti du taf, continue-t-on à regarder des gens qui bossent ? “Ça parle de nous, même si le métier en question n’est pas le nôtre. Ça parle de notre quotidien. La vie professionnelle, c'est l’un des endroits où l’on passe le plus de temps”, explique notre spécialiste. “Le travail est ce qui nous unit pour la grande partie d’entre nous, et surtout, on regarde ça… pendant qu’on travaille, enfin, durant notre vie active”. Doit-on le rappeler, mais nous passons la plus grande partie de notre temps éveillé au boulot.
En plus de jouer avec nos émotions et notre réalité quotidienne, le monde du travail est un formidable ingrédient scénaristique. “Une série qui parle d’un milieu pro permet de mettre au même endroit ce qu’on met dans Friends et dans Malcolm par exemple. D’une part la structure amicale et de l’autre une structure familiale. Dans une série pro, on peut mettre les deux”, analyse le spécialiste.
Se joint aussi l’universalité des thématiques abordées. Le travail devient donc une simple coquille. “Dans une série médicale sur le monde hospitalier, tous les persos sont liés par le boulot. Les typologies des métiers sont différentes (médecins, infirmières, etc), mais si on enlève l’enveloppe pro, on aura une histoire d’amour naissante entre deux personnes, un ainé qui fait valeur de mentor, etc”, détaille Benoît Lagane. “On accole au monde pro des choses très universelles, et c’est pour ça que le public adhère. Tout ça, c'est de la matière à fiction géniale !”, s’extasie notre expert. Comme si l’écart entre la vie pro et perso était gommé.
Quel est le métier le plus “sériephile” ?
Si autant de séries campent le quotidien des médecins, des policiers ou des avocats, ce n’est clairement pas un hasard. “Le genre policier est le plus sériephile par son antériorité, mais aussi par la dimension de l’enquête, de l’aventure qu’il crée. Pour les avocats et les médecins, on est sur des “cas” qui doivent avancer : le conflit est automatique. On n’a pas besoin de s’intéresser au métier en lui-même pour se plonger dedans”, décrit-il avant de corriger : “c’est le plus facile, on va dire”.
Car pour notre pro des séries TV, “il n’y a pas un métier plus sériephile qu’un autre”. “Quand on écrit une fiction, on base sa série sur une arène avec des personnages. N’importe quel univers pro peut-être source de conflits pour que ça crée une série”, décrypte Benoït Lagane. “Dans une vie de bureau, exemple un cabinet d’assurance ou une agence immobilière, a priori, on ne voit pas le suspense. C’est là où la comédie est forte, car elle peut tout inventer, et The Office le fait très bien”.
The Office est LA série qui vient en tête automatiquement pour parler de cette routine tournée en dérision. C’est aussi une vision d’un monde du travail un brin anxiogène : “une série comme The Office est cathartique, elle fait un bien fou. La comédie peut traiter n’importe quel univers professionnel ! Elle pourra se permettre d’être fantaisiste et pas forcément réaliste”. Et donc de nous réconcilier (pour peu qu’on soit fâché) avec cet univers impitoyaaaable.
(Au fait, pour ceux qui voudraient absolument regarder Dallas, c’est dispo sur Apple TV+ - je l’avais oubliée celle-là).