Et si vous vous formiez aux premiers secours en santé mentale ?
La santé mentale, on en parle ? Oui, de plus en plus. Mais il reste encore de nombreux tabous à lever pour ne laisser personne seul face à son désarroi. En France, l’association Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM) propose justement à tout-un-chacun de devenir “secouriste” afin de repérer les signaux de détresse et apporter le soutien nécessaire.
La maladie mentale et les troubles psychiques touchent près d'1/5 de la population, soit 13 millions de Français (source : OMS). Alors, forcément, vous avez un jour croisé la route de collègues ou collaborateurs en grande souffrance psychique. Peut-être même était-ce vous ? “Pourtant, le sujet de la santé mentale demeure extrêmement tabou en entreprise. Certes, on en parle plus, mais le travailleur demeure assujetti à une obligation de performance. Alors, personne n’a envie de se montrer vulnérable sur son lieu de travail, de se sentir jugé”, lance Michael Bardonnet, responsable de PSSM France et formateur.
L’un de ses chevaux de bataille est justement de faire comprendre que la santé mentale est une question de santé tout court, et qu’il est urgent de s’éloigner des discours stigmatisants qui enferment chaque jour davantage les personnes en souffrance, exhortées à faire preuve de “volonté pour s’en sortir” quand bien même, elles n’ont pas les ressources pour le faire. À la clé ? Une aggravation de leurs symptômes pouvant les conduire jusqu’au point de rupture. “En France, les gens se font soigner quand ils ne peuvent plus aller au travail”, regrette notre interlocuteur.
Une idée venue tout droit d’Australie
Si, dans l’Hexagone, se former aux premiers secours en santé mentale semble relativement nouveau, il faut savoir que l’association PSSM existe depuis 2017 et a déjà permis de former près de 70 000 personnes. Surtout, ce programme est né en Australie en 2000, et a depuis essaimé sur tous les continents !
Pour la petite histoire, il a été initié par Betty Kitchener. Éducatrice ayant souffert de troubles dépressifs, elle a littéralement été mise au placard au travail. Alors qu’elle aurait aimé qu’on lui tende la main, elle a par la suite mis en place ce programme régulièrement revisité et faisant l’objet d'un consensus scientifique international. C’est d’ailleurs pourquoi il est soutenu par les pouvoirs publics.
L’Australie, c’est justement le pays dans lequel Carole Smets, Directrice Santé et Sécurité du Groupe Pernod Ricard (19 000 collaborateurs), a découvert l’initiative alors qu’elle faisait un tour du monde des usines du groupe : “au même titre qu’on affiche les personnes formées aux premiers secours en santé physique, il y avait la liste de celles formées aux secours en santé mentale”. Alors que la santé mentale des collaborateurs a été impactée par l’isolement engendré par la pandémie de Covid, l’entreprise décide de prendre des actions pour accompagner les collaborateurs. “J’ai voulu tester la formation et j’ai été vraiment convaincue. Ce qui est formidable, c’est de pouvoir apporter une aide de proximité”, poursuit-elle, nous expliquant vouloir la rendre accessible à tous les collaborateurs sur la base du volontariat.
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De l’apprentie-psychologie, tu ne feras point
Devenir secouriste en santé mentale ne signifie pas devenir psy. En aucun cas, le secouriste va poser un diagnostic sur une personne. N’allez pas non plus imaginer qu’il s’agit d’une thérapie ou d’un groupe de parole comme dans une série américaine (“bonjour, je m’appelle Jordan, et je suis alcoolique”).
L’objectif premier de la formation est de déstigmatiser la souffrance psychologique, et de prodiguer des outils d’action. Selon la situation, le secouriste va intervenir lui-même s’il se sent capable ou se faire aider par quelqu’un d’autre. Et bien sûr, s’il y a un danger imminent, il va appeler les secours.
Ne pas éviter les problèmes des autres, verbaliser l’indicible, voilà ce que Carole a pu apprendre durant cette formation : “Je suis désormais plus à l’aise pour aborder le sujet de la santé mentale. J’ai appris par exemple qu’il ne fallait pas hésiter à évoquer le suicide avec une personne dont on soupçonne des tendances suicidaires. On ne va pas l’inciter à passer à l’action en faisant cela, contrairement à ce que j’imaginais. Au contraire, on va lui tendre la main. C’est aussi plus facile pour une personne qui a été en arrêt de revenir au bureau sachant que certains collaborateurs sont armés pour parler du sujet”.
Tous fragiles ? 3 signaux à observer
En devenant secouriste, on commence par comprendre que la santé mentale est un continuum : “Tout au long de notre vie, nous allons passer d’une bonne santé mentale à une santé fragile parce que nous pouvons vivre des deuils, des séparations, etc”, affirme Michael Bardonnet.
À l’inverse, nos rencontres, projets, activités sportives ou artistiques sont autant de facteurs de protection. Nous avons tous le droit d’être tristes ou anxieux, mais la formation aux premiers secours de santé mentale vise justement à repérer quand cet état dépasse un certain niveau pour devenir pathologique et menacer la santé de la personne. Pour cela, la formation invite à observer trois critères.
- L’intensité de la souffrance. Cette souffrance peut être observée via différents signaux.
- La durée de la souffrance. On s’inquiète quand plusieurs de ces signes ou symptômes dépressifs perdurent plus de 15 jours. Ils doivent se produire tous les jours et une majeure partie de la journée, devenant l’état principal de la personne.
- L’impact sur la vie quotidienne. Il est important d’observer comment ces symptômes retentissent sur la vie de tous les jours. Oublis, perte de concentration, humeur irritable, impossibilité de mener les activités quotidiennes (travail, sport, soin des enfants, etc).
Tous responsables ?
Avec un taux parmi les plus élevés d’Europe, la France enregistre un suicide chaque heure, soit trois fois plus de morts que sur les routes. Or, en se formant aux premiers secours en santé mentale, chacun peut contribuer à prendre soin de l’autre au travail, dans son foyer, ou dans son cercle amical.
Quelques mots suffisent parfois à tout changer. “En se formant, on participe à un mouvement, on prend la décision d’agir « les petits ruisseaux font les grandes rivières ». Chacun peut prendre part, c’est l’esprit de notre communication globale sur la santé sécurité « Be the One to care ». Mieux vaut tendre la main que détourner le regard ”, conclut Carole Smets.