Hanna, manager toxique en rédemption
De stagiaire malmenée à manager toxique, Hanna a connu la terreur avant de la faire régner. Jusqu’au jour, où elle a craqué. Quand la toxicité rencontre la rédemption. Rencontre.
Hanna a 39 ans, elle est l’archétype d’une working-girl à qui tout réussi. Belle, sûre d’elle, perchée sur des 12 centimètres d’une grande marque, elle est la perfection incarnée. À la tête d’une équipe de 10 personnes dans une grande entreprise, elle y a longtemps fait régner la terreur. Ne vous fiez pas à son beau sourire, son joli minois et sa tête d’ange. À mi-chemin entre Miranda dans Le diable s’habille en Prada et Terence dans Whiplash, derrière cette jolie femme se cachait un vrai Tyran, mais ça c’était avant. Aujourd’hui en thérapie, elle nous raconte ses années de management toxique.
« J’étais ce qu’on appelle une stagiaire acharnée, la première arrivée au bureau et la dernière à partir. Je savais me rendre utile. J’étais toujours là pour pallier les absences de certains employés, ou pour faire des tâches subalternes. »
On est en 2008, Hanna est brillante, jeune, jolie avec une ambition débordante. Elle a un plan de carrière tout tracé, elle se laisse 5 ans pour devenir senior à la tête d’un service. Sans surprise, elle y arrive et décroche son premier CDI à la fin de son stage.
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« J’ai 25 ans, je viens de finir mes études et je décroche le job de mes rêves. J’étais sur un petit nuage et je faisais la fierté des miens. Que rêver de plus ? Je savais que je devais faire mes preuves mais je ne pensais pas que j’allais autant y laisser des plumes. J’étais junior et mon manager était un vrai c****, il m’en faisait voir de toutes les couleurs. Je pleurais souvent. Il me disait qu’il était mon mentor et que pour être senior et avoir la chance d’être responsable d’équipe à mon tour, je devais en baver. »
Les mois passent et Hanna prend sur elle, mais elle est à bout. Sa famille, ses amis, tout son entourage la supplient de quitter ce job de fou. Mais c’était une opportunité incroyable pour cette jeune banlieusarde qui n’a ni réseau ni les moyens de faire la fine bouche. De jour en jour, elle voit ses capacités à encaisser grandir, et elle se dit qu’elle ne peut pas baisser les bras à la moindre contrariété.
D’employée tyrannisée…
“Un jour, mon manager décide de tous nous faire sortir dans la cour de l’entreprise. Il nous demande de nous mettre en cercle. Connaissant le personnage tyrannique, on savait que cela ne serait pas pour nous féliciter. On se regardait tous un peu en chien de faïence, on baissait le regard et puis le couperet est tombé. Il appelle le stagiaire qui était avec nous depuis à peine quinze jours, il le place au milieu du cercle et il commence sa tirade de reproches et d’insultes devant toute la boîte. En le traitant d’incompétent, de petite merde, fils à papa qui ne sait rien faire, bref une humiliation sans nom".
La suite est encore plus violente : "Une fois les reproches assénés, tout le monde devait regagner son bureau dans un silence assourdissant. Effrayant. Mais avant que je puisse entrer dans l’open space, il hurle dans le couloir « Hanna » je me retourne, il s’approche de moi et dans mon oreille me glisse « tu vois, c'est comme ça qu’on les matte ». Je me suis sentie tellement mal, j’étais complice de ce lynchage public. C’en était trop, je me souviens que ce soir-là, j’ai voulu partir. C’était décidé, j’allais poser ma dem. »
Et puis, bizarrement, elle est restée un jour de plus, une semaine, un mois, et encore un mois. Elle se sentait indispensable : “Je dois l’avouer, ça me procurait beaucoup de power, j’aimais ça”. Une année, puis une autre. “Jusqu’au jour où à ma grande surprise, alors qu’il me répétait sans cesse que j’étais nulle, incompétente et que je n’avais pas les épaules, il a appuyé ma promotion. J’ai 30 ans, je n’ai connu que cette boîte et j’allais à mon tour être manager, j’allais avoir la responsabilité de ma propre équipe”.
Malgré tout ce qu’elle s’était répété à longueur de temps sur la bienveillance, la bonne ambiance au bureau, le travail en équipe, et la good vibe qu’elle allait instaurer dans la boîte, et bien Hanna allait faire tout le contraire. Alors qu’elle avait la possibilité d’inverser la vapeur, elle va marcher sur les traces de ce “mentor tyrannique”.
… à manager tyrannique
Hanna a tout ce dont elle a toujours rêvé. Un job à responsabilité, un salaire mensuel plus que confortable. “J’étais à l’endroit même où j’ai toujours rêvé d’être, je suis passée d’un open space impersonnel à mon propre bureau. J’avais une équipe sous ma responsabilité et la reconnaissance de mes pairs. C’était incroyable”.
Et, elle est admirée par ses pairs, appréciée par son équipe. Enfin, c'est ce qu’elle croit. En réalité, elle est crainte et même détestée par certains. Hanna pense pouvoir tout mener de front avec la bonne humeur et la bienveillance qui la caractérise.
Mais la réalité est tout autre. “Je ne savais pas faire autrement. Plus ils me craignaient, plus je pensais faire du bon boulot. C’était grisant même d’avoir le sentiment d’être à l’origine du succès de l’entreprise. Mes collaborateurs me répondaient au doigt et à l’œil. J’avais l’impression qu’on était une team mais en vrai, j’étais la seule à la barre et je dois avouer que ça me faisait du bien. Mes supérieurs ne faisaient que louer mes compétences de chef d’équipe. Et j’étais l’exemple même de la réussite pour les miens. J’étais à l’apogée de ma carrière”.
Jusqu’au jour où…
“Un jour je suis contactée par la DRH de ma boite qui me dit « On a un souci, deux membres de ton équipe sont en arrêt et t’accusent de harcèlement moral ». La claque. Je me suis effondrée. J’avais l’impression d’être une petite fille dans le bureau de la dirlo qui allait convoquer mes parents pour leur dire « votre fille est toxique ». Je me sentais nulle”.
“Je voulais absolument comprendre. Qui ? Pourquoi ?”. Elle savait qu’elle était exigeante, intransigeante et assez ferme, mais de là à incarner la manager toxique… “Je me pensais pro alors qu’en réalité, j’étais néfaste”.
Hanna se rend rapidement compte qu’elle a installé tout sauf un climat safe au sein de son équipe. “Je n’ai fait que reproduire tout ce que j’avais connu jusqu'à présent. Tout ce que je détestais dans la culture de l’entreprise, désormais, je l’incarnais. De « harcelée » je devenais à mon tour « harceleuse ». J’étais toxique, cause de stress et d’angoisse dans mon équipe”
La douloureuse prise de conscience
Elle demande à s’entretenir avec ses collègues qui l’accusent. “Je me souviens être là à écouter leurs reproches. J’avais l’impression d’entendre une histoire qui n’était pas la mienne. Mais il fallait se rendre à l’évidence, c’était bien moi cette manager tyrannique. Ils me reprochaient les sms, mails et appels en dehors des heures de boulot et le week-end. Pour moi, il n’y avait rien de grave à cela, j’avais toujours connu ça moi aussi en tant que junior. Les plaintes fusaient : « vous êtes antipathique, changeante, humiliante. Vous n’avez jamais un mot gentil ou reconnaissant, on travaille littéralement dans la peur. La journée est rythmée par votre humeur. » Des mots tellement durs à entendre”.
Hanna passe des semaines à se sentir mal et fini par craquer : “j’ai fait un burn out, mon monde s’effondrait à ce moment-là parce que je n’ai pas su faire autrement. J’avais cette petite phrase sans cesse dans ma tête qui me rongeait « rend toi à l’évidence, tu es toxique ». Mes supérieurs me faisaient remarquer que je n’étais plus « à mon boulot » comme si plus j'étais dure avec mon équipe, plus j’étais efficace, comme si ma façon de manager ne pouvait passer que par l’humiliation. Je ne savais pas faire autrement et donc je m’éloignais de qui j’étais”.
Peu à peu Hanna prend conscience que le problème vient d’elle, et d’elle seulement. “J’ai peu à peu sombré. Avant de décider de m’arrêter et de me faire aider”.
Le changement d’Hanna
Aujourd’hui Hanna a changé de vie. Elle travaille avec une psy qui lui a fait prendre conscience de sa mauvaise méthode de management et d’encadrement. “J’ai fini par quitter mon poste que je pensais être le job de mes rêves, j’ai quitté la capitale, divisé mon salaire par trois, j’ai tout bonnement changé de vie. Il y a des évènements qui bouleversent l’existence. Pour Hanna c’est d’avoir quitté ce job de “fou”. “Comme si j’avais besoin de ça pour réellement construire ma vie” rembobine-t-elle.
Hanna n’a jamais voulu avoir d’enfant pendant la période où elle était responsable d’équipe. “J’ai longtemps repoussé le moment, j’avais une réticence à l’idée de m’absenter trop longtemps de mon travail. Comme si sans moi rien ne pouvait fonctionner normalement. Avec le recul, je me dis que j’avais un sérieux problème de distance quand même”. Hanna va se recentrer sur ses priorités, prendre le temps de découvrir ce qu’elle désire vraiment. Elle devient maman d’un petit bonhomme qui la comble de bonheur. “Mon fils m’a juste permis de remettre les choses en place, de me concentrer sur l’essentiel”.
“Je me sens utile et beaucoup plus épanouie qu’avant”
Naturellement, après cet heureux évènement, tout devient plus clair. “Je me suis lancée dans le coaching en entreprise. Je suis à mon compte. J’aide les jeunes entrepreneurs à se lancer. Ce n’est pas facile tous les jours, mais je me sens utile et beaucoup plus épanouie qu’avant”. Hanna ne renie rien de ce qu’elle a été, comme si tout ce qui lui est arrivé avait une raison d’arriver.
“Je ne saurais dire si c’est le dirigeant qui m’a formé qui a fait de moi ce manager toxique ou si je le portais en moi, mais une chose est certaine, je me suis détestée dans cet uniforme de responsable sûre d’elle et autoritaire”. Mais ça, c’est du passé maintenant.