Le poids du secret : La plus grande souffrance des RH ?
Parce qu’elle est tenue à une obligation de confidentialité, la profession de DRH fait vivre un véritable ascenseur émotionnel à ses représentants. D’un côté, il faut taire les plans stratégiques de la Direction. De l’autre, être une oreille attentive pour les salarié.e.s. Une posture d’équilibriste dans laquelle certains DRH atteignent parfois leurs limites, victimes de leurs qualités.
Et si le poids du secret était le plus lourd fardeau des DRH ? Certes, la profession n’est pas tenue au secret professionnel comme peuvent l’être un médecin ou un avocat. Cependant, il existe bien une obligation de confidentialité, à la fois légale, morale et déontologique. “Il n’y a pas de sanction pénale possible, mais l’obligation de confidentialité figure souvent dans une clause du contrat de travail. Cela concerne notamment tout le traitement des données”, explique Caroline Diard.
Mais pour cette ex-DRH, désormais enseignante à la Toulouse Business School, ce n’est certainement pas la partie la plus compliquée du métier. “Ce qui l’est plus, c’est tout l’aspect humain qui tourne autour du secret, et la nécessité d’inspirer confiance tant du côté des salarié‧e‧s que de la Direction”, ajoute-t-elle.
Le département RH, la Suisse de l’entreprise ?
Car le DRH est à cheval entre deux mondes. Par sa position, il recueille non seulement les confidences des salariés (quand ils lui font confiance), tout en étant au courant des mouvements stratégiques qui peuvent se profiler dans l’entreprise (plan de licenciement, fusion-acquisition etc). Sans oublier que le DRH interagit avec les partenaires sociaux, histoire de complexifier le millefeuille. Et pour couronner le tout, le DRH ne peut pas non plus se confier au reste de son équipe. La double - triple - quadruple peine !
“On est vraiment pris entre le marteau et l’enclume. À la fois, c’est positif, c’est ce qui rend le métier si intéressant, mais de l’autre côté, cela peut créer beaucoup de solitude”, confie Léna Basile, DRH à temps partagé dans des PME après avoir exercé 15 ans dans l’univers des grandes entreprises. Pour pouvoir se dépatouiller de ces injonctions paradoxales, le DRH est donc en permanence sur le fil, dans une posture d’équilibriste. “C’est pour cela que nous devons arborer une posture de neutralité, sinon c’est impossible”, poursuit Léna Basile.
Taire ou ne pas taire : là est la question
Appliquer cette neutralité ne se fait pas sans dommages collatéraux. Caroline Diard se souvient ainsi avoir dû exécuter - non sans maux de tête - un plan de licenciement : “j’avais la liste des personnes qui allaient partir, et dedans figurait une personne avec laquelle j’avais des relations presque amicales. C’était très difficile de la croiser chaque jour et de faire comme si de rien n’était, alors que je savais ce qui l’attendait”, nous confie-t-elle.
Savoir quelle info lâcher ou non, ce qui va être utile ou absolument pas aidant, ce qui est dangereux au niveau juridique ou humain : tel est le défi quotidien des DRH qui doivent sans cesse peser les bénéfices-risques. “Parfois, je me suis exposée en partageant certaines informations « sensibles » avec des managers car j’estimais qu’il fallait les embarquer dans un projet de transformation. Mais il est important de rester prudents et de respecter les règles pour ne pas risquer le délit d’entrave.”, se souvient Léna Basile.
Et puis, d’autres fois, mieux vaut garder l’information pour soi : Caroline Diard se souvient ainsi d’une période où son entreprise avait été auditée en vue d’une revente, pour qu’au final, la cession ne se fasse pas. Les salarié.e.s auraient été inquiétés inutilement si l’information avait fuité.
Confessions intimes
L’annonce d’une maladie, d’un divorce, un surendettement, des difficultés dans un projet immobilier ou même à concevoir un enfant… un DRH est un peu comme un prêtre, il peut recevoir tout type de confidences de la part des salarié.e.s. Dans certains cas, il n’est pas impuissant : au-delà d’écouter, il dispose de leviers d’action concrets. Par exemple, il peut proposer un plan d’aménagement du temps de travail pour libérer un salarié et lui permettre d’accompagner son proche.
Mais que faire dans un cas extrême qui sort du contexte du travail, avec un danger direct pour la vie du salarié ? Prenons le cas d’une femme qui confie être battue par son mari : faut-il à tout prix respecter sa volonté de garder cette information confidentielle ? “Dans ce cas, on ne peut pas aller porter plainte à sa place, mais notre devoir est de la convaincre d’aller discuter avec une assistante sociale ou la psychologue du travail, ou encore de parler à une association”, illustre Caroline Diard.
Et dans le cas du harcèlement au travail ? Impossible de fermer les yeux. “Nous devons répondre à une obligation de sécurité du collaborateur”, explique Léna Basile. Il faut alors essayer de démêler la situation : parfois, il s’agit simplement d’une mauvaise communication, auquel cas la situation peut se gérer en interne sans trop de remous. D’autre fois, le harcèlement est délibéré, et le DRH ne peut pas rester seul face à la situation. Il doit “processer” la situation : mise en place d’une cellule psychologique, d’un comité éthique, appel à un cabinet extérieur pour mener l’enquête…
“Mettre de l’affect dans mon métier a été mon point fort et mon point faible”
“Ce qui est compliqué dans ce métier, c’est que si on le choisit, c’est parce qu’on a de l’empathie. Mais forcément, on va être impacté”, affirme Caroline Diard. C’est d’ailleurs ce qui, à titre personnel, lui a fait quitter la profession pour se tourner vers l’enseignement. Et d’ajouter : “Mettre de l’affect dans mon métier a été mon point fort et mon point faible. J’ai beaucoup pris sur moi. Et au final, il y a eu un prix à payer”.
La capacité à prendre du recul et être en distance émotionnelle avec les difficultés rencontrées au quotidien par les salarié.e.s est effectivement indispensable si l’on veut tenir à long terme. “On peut vite basculer si l’on devient une éponge. C’est pour cela qu’il faut rester très factuel et solliciter une aide extérieure quand ça devient ingérable”, alerte Léna Basile. “Il faut aussi savoir faire la différence entre notre posture dans le métier, et qui nous sommes en tant qu’individu”, argue-t-elle, bien qu’elle nous explique avoir déjà refusé de faire des choses contraires à son éthique personnelle.
Par exemple, elle n’a pas voulu habiller un licenciement voulu par la Direction. “Personne n’est obligé de tout accepter. Le fait d’être bienveillant et juste humain n’est pas inscrit dans le code du travail. C’est une question de valeurs”, affirme la DRH à temps partagé.
L’ère du care : un soulagement pour les DRH
Car non, les DRH ne sont pas des machines. Parfois, ils ne peuvent pas tout ingérer. Heureusement, le métier évolue : semaine de 4 jours, congé menstruel, congés illimités, transparence des salaires, congé proche aidant… “Derrière la question du secret, il y a aujourd’hui un vrai rôle à jouer pour les DRH dans l’accompagnement de la vie personnelle des salarié.e.s”, se réjouit Caroline Diard.
Quant à Léna Basile, elle insiste sur la pluralité du métier. En sus de son activité de DRH à temps partagé, elle accompagne les entreprises dans la mise en place de dispositifs de fidélisation des talents : “C’est l’essence même de mon métier et ce pourquoi j’estime que le rôle de DRH est aussi riche : orienter la bonne personne au bon endroit et lui permettre de grandir aux côtés de son organisation pour créer de la valeur”.
De quoi permettre aux DRH d’être mieux dans leurs baskets ?