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À 59 ans, il a mis 23 mois à retrouver un job : voici sa méthode

Comment retrouver un job quand on est mis à la porte à 57 ans du jour au lendemain ? Jacques a vécu l’enfer, la honte puis a décidé de rebondir. Spoiler : il s’en est sorti et est très heureux aujourd’hui. Voici comment il a réussi cette révolution.


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“Ça a été très violent, à l’américaine. Mon monde s’est écroulé”. En décembre 2020, Jacques, directeur commercial, apprend par mail qu’il est convoqué pour un entretien préalable à un licenciement. En 10 jours, l’affaire est réglée. À 57 ans, il devient un senior au chômage et ne se doute pas un seul instant du calvaire qu’il va vivre… mais aussi de la nouvelle vie qui va s’offrir à lui. Un parcours qui semble hors normes, mais qui touche beaucoup plus de personne qu’on ne le croit.

”C’est comme une histoire d’amour. Vous vous faites larguer sans comprendre le pourquoi du comment. C’était un boulot passion, j’étais amoureux de cette boite. Ça a duré 19 ans”. C’est par ces mots que Jacques décrit le mieux la fracture qui l’éloigne de son ancien job. Un changement de direction qui le pousse dehors et le voilà sur la touche, à quelques encablures de la retraite.

“J’étais le seul revenu de la famille

Lui, le pilier financier de la famille, doit désormais rebondir. “J’étais le seul revenu de la famille, ça met une couche de plus au stress et à la catastrophe qui arrive”, rembobine-t-il. Ancien pratiquant d’arts martiaux, il compare ça à un match de boxe : “C’est comme prendre un KO, vous prenez un coup qui fait très mal”.

Physiquement, Jacques est marqué. “Je me suis rendu compte que je n'étais pas capable de rebosser tout de suite. J’ai pris un très grand coup sur la tête". Mais rapidement, il s'adapte : "Je pars du principe que la vie me donne un temps d’arrêt obligatoire. Donc j’ai deux options : se morfondre, mais ce n’est pas mon tempérament. Soit : prendre ce temps pour suivre une formation. À cette époque, je suis persuadé que ça va aller très vite, et que dans quelques mois, j’aurais retrouvé quelque chose. Je ne m’imagine pas le parcours que je vais devoir subir”.

Le ghosting, nouveau partenaire de vie de Jacques

En parallèle des nombreux CV qu’il envoie, il suit une formation en digital marketing. “Cette formation, c'est mon échappatoire, car je sais que je vais remettre mon cerveau en marche”, se souvient-il. Jacques, qui suit aussi une autre formation pour perfectionner son anglais, découvre alors un nouveau mot : le ghosting : “Je n’ai pas de réponse”.

Ces candidatures restent lettres mortes. “Les consultants commencent à me faire comprendre que je ne suis pas dans le créneau âge que les gens recherchent”. Évidemment, il n’a pas le droit de le dire officiellement, mais en creusant, Jacques comprend que sa pièce d’identité joue contre lui.

Senior : bonjour les clichés

“Aujourd’hui quand une entreprise recherche un directeur commercial ou des ventes, elle recherche quelqu’un qui est dans la quarantaine”, explique-t-il. “ Il y a énormément de préjugés sur l’âge. Pourquoi les consultants iraient s’embêter à “vendre” le profil d’un senior ? Pourquoi aller prendre le risque ? Ce n'est pas ce qu'on leur demande”.

Même topo du côté dirigeant : “Il s’imagine plein de choses. Très souvent, il a mon âge d’ailleurs, mais il se dit : “Non, je ne vais pas prendre un type qui a 55-58 ans parce que ça se trouve, il vient chez moi pour se planquer et attendre la retraite. Si ça se trouve, il va tomber malade. Si ça se trouve, il va bosser 5h par jour parce qu’à la 6e heure, il va s’endormir… Ce sont des préjugés fous, alors que le dirigeant a le même âge”. Jamais, il n’avait ressenti le fait d’être senior avant cette épreuve.

On paie sa carte d’identité !”

Une discrimination de la date de naissance qui ne touche pas que les vieux d’ailleurs. “Juniors/Seniors, c’est le même combat, alerte-t-il. En France, on est dans une bulle. Un jeune n’a pas d’expérience donc je ne le prends pas. Un vieux en a trop, donc je ne le prends pas. Je prends juste le cœur d’âge. On paie sa carte d’identité ! C’est dramatique, on ne peut pas se battre. Contre une carte d’identité, vous êtes un fantôme. Vous passez la frontière en Allemagne, ça ne se produit pas. En Suède et en Finlande non plus. En revanche, en Suisse, vous avez ce souci. Chaque pays a ses préjugés, c’est dramatique”.

Pour lui, le bât blesse même au niveau des aides gouvernementales : “Il n’y a rien en France, et c’est très dommage, peste-t-il. Prolonger jusqu’à 65 ans, il n’y a pas de problème, je comprends. Mais il y a des gens sur le carreau après 55 ans, que deviennent ces gens-là ? Il faudrait un système incitatif pour l’embauche des seniors”.

“Les préjugés sont nos premiers concurrents et notre plus grande faiblesse. Sur le handicap, la couleur de peau, etc, c'est la même chose. Ce sont des discriminations et en France, l’âge en fait partie. On n’a pas compris que la richesse d’une entreprise ce ne sont pas ses produits, la richesse d’une boite, c’est son personnel.

“La honte est plus que présente, c’est votre principal vêtement”

Au bout d’un an de chômage, en plus de l’aspect financier, Jacques doit aussi jongler avec un autre sentiment qui l’envahit : la honte. À partir de la première année de chômage, la honte est plus que présente, c’est votre principal vêtement. Vous savez, le statut de directeur, vous l’avez oublié, ça fait des mois que vous l’avez perdu. Même si vous êtes la même personne, vous avez le sentiment de perdre vos compétences, les unes après les autres. Vous avez l’impression que ce que vous avez fait dans le passé, ce n’est pas vous qui le faisiez”.

Il est confronté au même ballet : Entretien avec le consultant, profil présenté à l’entreprise, mais pas d’entretien avec le dirigeant. Jacques n’en voit pas le bout, alors il tente un pari. Celui de devenir… stagiaire.

Jacques tombe sur un établissement de formation professionnel (4 mois de cours théorique + 4 mois de stage en entreprise). En clair, Jacques veut rentrer par la fenêtre, comme il aime le dire. Quand les portes sont fermées, il faut passer par la fenêtre. Je n’ai plus rien à perdre, c’est mon dernier coup".

Sa femme lui dit “fonce”, ses amis lui disent : “tu es fou”. “Mais en rentrant dans la boite, j’étais heureux d’avoir trouvé un stage. Je n’avais plus aucun challenge dans la vie. Au moins j’avais ça”, se remémore-t-il.

De directeur à stagiaire, c’est quoi le problème ?

Le feu directeur est devenu stagiaire, mais comment intégrer un homme de 58 ans tout en conservant une certaine prestance ? On propose à Jacques d’être présenté comme un “consultant extérieur”. Par rapport aux clients, oui, mais par rapport aux collègues, c’est non. Jacques veut de la transparence. Jacques n’a pas honte de son statut, bien au contraire, c’est une renaissance. Jacques “s’éclate dans ce stage”, évoque une “intégration géniale” et loue l’ouverture d’esprit du dirigeant de la société Mauler, qui lui offre cette opportunité qu’il n’osait plus espérer.

Cela se passe si bien que ce qui devait arriver, arriva. “Fin octobre 2022, mon dirigeant me demande une stratégie commerciale pour développer la boite sur les 5 ans qui viennent. Je l’écris, je lui présente, et il me dit : “Je souhaite que vous la preniez en mains”. Jacques va troquer son costume de stagiaire pour celui de salarié… 2 ans après.

À n’importe quel prix ? Pas vraiment. Oui, j’ai fait un sacrifice financier, mais je suis tombé sur un dirigeant intelligent qui m’a proposé un timing financier pour les prochains mois. D'ici à deux ans, je pourrais retrouver ce que je gagnais avant”.

Pourquoi manager quand on peut coacher ?

Aujourd’hui, Jacques a changé. De job, d’état d’esprit, mais aussi de perspective. “J’ai envie de transmettre, et c’est pour ça que ce poste me va bien. J’ai perdu la direction commerciale, donc le management, mais je m’en fiche parce que je les coache. C’est différent, et ça m’intéresse beaucoup plus. Je coache les gens pour les aider, c’est fantastique”. Comme quoi, il n’y a pas d’âge pour changer.

Jacques a même raconté son histoire sur Linkedin. Un post qui a suscité plus de 1000 commentaires. “Ce n’est pas moi qui intéresse les gens, c’est le sujet. On doit en parler !”, dit-il très humblement, mais sûr de sa nouvelle force, de son nouveau rôle. “Quand je relis mon histoire, oui, elle est complètement folle. J’ai eu une bonne étoile qui m’a poussé vers cette formation et ce stage. Quand on est en situation de chômage, on n’a plus toutes ses capacités intellectuelles. Si ce témoignage peut aider des personnes “dans la merde”, si ça peut leur donner des idées, c’était ça mon idée de départ. Il faut libérer la parole”.

Et de conclure, par cette pirouette footballistique. “On sort de la Coupe du monde. Connaissez-vous l’âge moyen des joueurs de l’équipe de France ? 26 ans. Didier Deschamps en a 54. Si vous transposez ça dans le monde du travail, on va dire “c’est un vieux qui gère des jeunes, donc ça ne marchera pas. Qui osera dire que Deschamps n’est pas l’un des meilleurs sélectionneurs du monde ? Il y a des métiers où l’âge est une richesse, mais malheureusement, dans le monde du business, beaucoup de personnes ne l’ont pas encore compris”. Comme dirait un certain Kylian Mbappé, “tu me parles pas d’âge”.

Yannick Merciris

Head of Editorial The Daily Swile

Journaliste qui aime autant les mots que le ballon rond. Vu que je gère mieux le premier que le second, j’ai décidé […]

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