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Pour ou contre la transparence des salaires : deux dirigeants nous parlent cash

Beaucoup aimerait connaitre le salaire de leur collègue, mais seriez-vous prêt à révéler le vôtre ? Alors pour ou contre… la transparence des salaires ?


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Alors que l’argent demeure un sujet tabou - et plus particulièrement dans l’Hexagone - quelques entreprises pionnières ont fait le pari de la transparence absolue : permettre à chaque employé de consulter le salaire de son collègue. Deux entrepreneurs nous livrent leur point de vue sur cette question épineuse, dont l’un de ses premiers partisans.

Gilles Satgé est le patron de Lucca, une entreprise qui embauche près de 400 collaborateurs et a mis en place dès sa création un système de transparence absolue des salaires : tout le monde peut consulter le salaire de tout le monde grâce à un logiciel interne. De son côté, Jean de Rauglaudre a fondé la jeune startup Collective qui emploie une trentaine de personnes à l’heure actuelle. Il est à ce jour opposé à la transparence salariale nominative.

Pourquoi la transparence des salaires est une bonne / mauvaise idée selon vous ?

Gilles Satgé : C’est une bonne idée, tout simplement car la transparence, c’est très simple : il n’y a pas besoin de cacher les choses !

Jean de Rauglaudre : La transparence n’est pas une mauvaise idée, mais relève selon moi d’un sujet complexe qui peut être vécu de manière violente par les salariés, notamment dans un pays comme la France où l’argent est encore tabou. C’est une problématique qu’il faut traiter en amont, quand on décide des salaires. De plus, ce n’est pas une revendication de nos salariés pour le moment.

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Les Français sont-ils prêts pour la transparence des salaires ?

Gilles Satgé : Je crois qu’il faut bien distinguer le monde des start-ups, scale-ups et le vrai monde. Dans l’univers des start-ups, c’est facile : les employés sont tous des clones d’un point de vue socio-culturel, de plus il s’agit souvent de jeunes sans expérience professionnelle préalable. De ce fait, les écarts de rémunération de salaire ne sont pas monstrueux. Donc la transparence n’a en général pas de conséquences négatives. En revanche, dans une société classique, c’est différent. Par exemple, un employé qui occuperait un poste depuis plus de trente ans, avec une augmentation de salaire due à son ancienneté, pourrait avoir un salaire plus élevé qu’un jeune plus performant. Et cela pourrait créer une forme de tension.

Jean de Rauglaudre : La transparence des salaires est un sujet très sensible qui nécessite une forme d’éducation. Je crois donc qu’avant de travailler sa communication sur la transparence des salaires, une entreprise doit traiter le sujet à la source. En effet, s’il existe un tabou, c’est parce que les gens ne sont pas toujours payés de manière équitable. Si une entreprise est capable d’appliquer la pleine transparence des salaires, c’est qu’elle a fait un travail conséquent au préalable.

Ce rapport si complexe à l’argent fait-il de la transparence un vrai “nid à emmerdes”, notamment pour les managers ?

Gilles Satgé : La transparence, c’est ennuyeux lorsque l’on a un collaborateur très revendicatif que l’on pourrait calmer simplement en lui donnant une augmentation symbolique de 500 à 1000 euros par an par rapport à son collègue.  Avec la transparence, on ne peut pas acheter la paix sociale à coup de petites primes. Mais je pense qu’à terme, c’est un avantage. D’un point de vue managérial, cela permet aussi de lutter contre l’asymétrie informationnelle qui peut se créer entre le manager (qui connaît les salaires de toute l’équipe), et les collaborateurs. Dans ce cas-là, l’absence de transparence peut être mal vécue.

“Même des petits écarts symboliques ont en réalité une grande importance pour les collaborateurs”

La transparence des salaires est-elle plus facile à mettre en place dès le démarrage d’une entreprise ?

Jean de Rauglaudre : La transparence se construit pas à pas. Chez Collective, on a commencé avec la transparence sur notre chiffre d’affaires, nos marges, notre liquidité. On a communiqué sur notre levée de fonds. Nous nous voyons évoluer peu à peu vers une transparence des grilles de salaire, mais pour l’heure, cela me semble prématuré. La transparence nominative des salaires représente à mes yeux la dernière étape du processus.

Gilles Satgé : Je pense au contraire que plus on attend, plus c’est difficile de mettre en place la transparence des salaires ! Chez Lucca, nous avons démarré à quatre, on ne se cachait rien. Au départ, la transparence n’était donc pas vraiment réfléchie, mais un état de fait. Donc mon conseil, c'est de sauter le pas le plus rapidement possible, car les écarts de salaire vont ensuite crescendo quand on développe une entreprise. Même des petits écarts symboliques ont en réalité une grande importance pour les collaborateurs.

Justement, la transparence des salaires est-elle un outil efficace pour lutter contre les écarts de salaire ?

Gilles Satgé : Chez Lucca, la transparence des salaires a effectivement un impact. De manière générale, elle contribue à réduire les écarts puisque cela met une grosse pression sur les plus hauts salaires. En tant que dirigeant, mon salaire est mesuré notamment car cela permet de contenir les salaires du top management. Chez nous, l’écart maximal est de 4 ou 5 entre le plus petit et le plus haut salaire. Toutefois, je n’essaie pas nécessairement de réduire le multiple, mais avant tout de coller au marché.

Jean de Rauglaudre : Chez Collective, on veille à recruter les gens au bon niveau de rémunération. Nous regardons le marché, mais aussi l’impact et la rémunération antérieure qu’ont eu nos candidats dans leurs précédentes expériences. Notre écart salarial est de 2, et le salaire médian de l’entreprise est de 60K, ce qui est d’ailleurs mon propre salaire. Nous avons donc finalement peu d’écarts, mais je crois que la transparence se construit au fur et à mesure, d’abord au niveau de l’entreprise avant d’aller à l'échelon individuel.

“On a observé que les femmes négocient davantage que les hommes, certainement en lien avec la transparence qui permet d’équilibrer les salaires”

Et en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, quelle est l’incidence ?

Gilles Satgé : Ce qui est certain, c’est que le fait de rendre les salaires transparents permet de mettre à jour d’éventuelles inégalités salariales ! Et donc ensuite d’agir dessus. Chez Lucca, on a observé que les femmes négocient davantage que les hommes, certainement en lien avec la transparence qui permet d’équilibrer les salaires.

Jean de Rauglaudre : Encore une fois, la question n’est selon moi pas la transparence mais l’existence ou non d’une inégalité aux origines. En tant que fondateurs, même si les salaires ne sont pas transparents dans notre entreprise, nous nous assurons que les hommes et les femmes soient traités de manière égale à poste équivalent.

Sans transparence, il faut donc compter sur la bienveillance des patrons…

Jean de Rauglaudre :  Effectivement, mon système ne fonctionne que si je pratique des rémunérations justes.

Finalement, est-ce que la méthode de la grille de rémunération publique est une bonne réponse pour s’initier à la transparence, avant de verser vers la transparence nominative ?

Jean de Rauglaudre : Effectivement, nous nous voyons d’abord avancer vers une transparence dans la grille des salaires, avant d’arriver in fine sur une transparence nominative. Vous l’aurez compris, je ne suis pas opposé à la transparence des salaires, mais je pense qu’il y a certaines étapes à suivre au préalable pour y arriver.

Gilles Satgé : Je pense plutôt qu’à partir d’une certaine taille d’entreprise, la transparence des salaires nominative perd de sa pertinence au profit de la publication d’une grille de salaire connue de tous. Car il suffit alors de connaître les qualifications et le poste d’un employé pour connaître sa rémunération. La grille fait finalement office de transparence voilée !

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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