“On a le droit de tout rater sauf ses vacances”. Se met-on trop de pression à réussir ses vacances ?
On les attend tous les ans, souvent avec impatience, et on a la pression de les réussir (ou en tout cas de ne surtout pas les rater). Elles ? Ce sont les vacances estivales. Et à y regarder de plus près, les vacances, c’est du travail. Alors pourquoi ont-elles une place si importante dans nos vies ? Réponse avec Bertrand Réau, sociologue des vacances (oui ça existe).
Pourquoi les vacances d’été ont une place si importante dans nos vies ? Alors que finalement ça représente 5% de l’année…
Les vacances, c’est peut-être 20 jours… mais il y a toute l’étape préparatoire et les sujets de discussions qui vont avec. Et puis il y a bien sûr l’après. On raconte ce que l’on a fait et ce qu’on fera l’année prochaine. Les vacances, c’est tout ça finalement. Le temps de vacances, c’est tout cet univers.
Ce qui est intéressant c’est la dimension symbolique du départ en vacances. Il faut souligner l’écart entre l’aspect sociétal et la dimension réelle, pratique, physique. Si on pense les vacances d’un point de vue symbolique, l’important est de marquer son temps de vacances par un départ. Il y a une question de statut social derrière : les vacances c’est montrer et dire ce qu’on a fait.
Est-ce que c’est du travail de préparer les vacances ? Et surtout, est-ce qu’il faut être “performant” en vacances ?
Il y avait une pub qui disait : “on a le droit de tout rater sauf ces vacances”. Il y a donc une injonction à réussir ses vacances qui s’impose. Face à ces injonctions, il y a souvent des qui pro quo. D’ailleurs, on parle souvent de projet de vacances, c’est un mot qui est repris à l’idéologie du travail. Tout le monde n’est pas armé de la même manière, n’a pas les mêmes ressources pour préparer et organiser des vacances.
On voit toujours les inégalités de départ en vacances avec les 40% de non-partants, mais derrière ça, il y a des pratiques et des usages très différents. On parle de l’inégalité économique des vacances, mais on néglige l’inégalité culturelle des vacances. Il y a aussi un savoir-faire : on apprend à partir en vacances. On ne voyage pas tous de la même manière et ça se transmet souvent au sein des familles.
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Est-ce qu’on peut faire le parallèle avec les carrières pros ? Médecin, fils de médecin. Prof, fils de prof, etc ?
Que ce soit pour le travail ou les vacances, il y a une socialisation qui se fait. Evidemment, il y a plus de travaux sur la façon qu’on a de travailler et de transférer les normes, les valeurs, les pratiques. J’ai mené un certain nombre de travaux sur les trajectoires de vacances, on voit bien que les vacances que l’on a pu avoir pendant l’enfance ont un lien avec vos vacances adultes. Par exemple, vous pouvez prendre en grippe les vacances collectives que vous avez connues parce que ça renvoie à un statut social que vous n’avez plus ou au contraire revenir à ces vacances collectives mais sous une version plus luxueuse parce que ça correspond à votre nouveau statut social.
Du camping au Club Med, c‘est ça ?
Par exemple, ça pourrait être des choses comme ça. En général, il y a un lien fort entre les ressources économiques acquises et le type de vacances. Il existe des chefs d’entreprise qui vont vouloir faire du camping, mais ils le feront dans des conditions différentes qu’ils l’ont fait quand ils étaient fils d’ouvrier. Il y a un lien entre CSP et les vacances, mais il n’est pas automatique, ni déterministe immédiatement.
Selon une étude, les Français estiment ne pas avoir assez de vraies vacances ? On a besoin de combien de vacances vraiment ?
Il y a surtout une variété des conditions de travail, et donc les usages sociaux du temps “hors travail” sont différents. Il ne faut pas dissocier les deux. Par exemple, les cadres et les professions intellectuelles ont moins de temps libre au quotidien que les ouvriers… mais ils ont plus de temps de vacances que les ouvriers. Le temps n’est pas vécu pareil. C’est très difficile de considérer un temps qui serait idéal pour tous.
Le travail est en pleine mutation, est-ce que l’on doit aussi repenser notre façon de “prendre des vacances” ? On est obligé de partir en juillet-août tout le temps ?
J’avais écrit un papier qui s’appelle : “pour une politique globale du temps libre” dans lequel je donne 10 propositions. Une des propositions est de repenser l’articulation des calendriers. Par rapport à la gestion des flux touristiques, pour la possibilité de travailler différemment et de réfléchir à une articulation qui ne soit pas aussi massive. Pendant un mois, presque tout est arrêté, tout le monde est concentré, tout coûte plus cher… et où la nature prend cher aussi. Le calendrier scolaire que l’on a aujourd’hui, et qui influence largement les vacances d’été date du début du XXe siècle.
Faut-il raccourcir les vacances d’été ?
Il faut se donner les moyens de comprendre les usages du temps, et pas uniquement de se dire : qui part ? qui ne part pas ? mais aussi de regarder comment on part, dans quelles conditions. Pour le moment, il n’y a pas de volonté des politiques publiques de le savoir. En revanche, c’est aussi réfléchir à l’articulation des calendriers professionnels et scolaires pour pouvoir répondre à tous ces enjeux.
“Est-ce que le travail est entrecoupé de vacances ou est-ce que les vacances sont entrecoupées de travail ?”
Tout dépend de comment vous vivez votre travail. Si vous vivez votre travail comme quelque chose d’enthousiasmant et de réjouissant, les vacances c’est presque le moment où vous allez vous ennuyer. À l’inverse si le travail est une pénibilité croissante, l’aspiration aux avances est encore plus forte. C’est une soupape de sécurité : psychologique et physique.