De collaborateur engagé à workaholic : où se trouve vraiment la limite ?
Entre un salarié très investi dans son boulot et un travailleur carrément addict, la frontière est souvent floue. Alors, qu’est-ce qui différencie réellement un collaborateur engagé d’un workaholic ?
L’engagement. Voilà un mot qui fait rêver tous les DRH de France et de Navarre. Mais on a souvent bien du mal à définir cette notion. Récemment, la vision de l’engagement au sein des entreprises a évolué : un salarié engagé n’est pas celui qui bat des records de présentéisme. Le collaborateur engagé est plutôt un coureur de fond, capable d’accélérer quand cela est nécessaire, mais conscient qu’il doit gérer son effort pour tenir sur la durée. “Surtout, c’est un salarié qui prend du plaisir à évoluer dans son entreprise”, analyse Sophie Morin, psychologue du travail.
8 à 12% de la population serait addict au travail
La capacité à jauger son effort, gérer ses priorités et demeurer dans le plaisir : voilà déjà quelques éléments qui différencient le travailleur engagé du workaholic. À l'inverse, le workaholic travaille le plus souvent de manière compulsive, comme une personne souffrant de boulimie et ne trouvant donc pas de réelle satisfaction.
D’après cette revue de la littérature publiée par l’INRS, le workaholic témoigne d’un “besoin de travailler qui est devenu si fort qu’il pourrait constituer un danger pour sa santé, son bien-être personnel et ses relations interpersonnelles”. Le travail déborde et prend la place n°1 dans la pyramide des priorités de l’individu, ce qui fait que son identité est totalement intriquée à son job, et donc que la perte de celui-ci peut être difficile à surmonter. À ce jour, on estime que 8 à 12% de la population serait addict au travail : un phénomène loin d’être anecdotique.
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Quand le plaisir n’est plus là… plus rien ne va !
Et dans la vraie vie, comment ça se passe ? Amélie a 35 ans et occupe le poste de consultante en stratégie. Passionnée par son emploi, elle n’hésite pas à faire des heures sup’, à rogner ses temps de pause, tout en se donnant à fond chaque heure passée au bureau. “J’aime tellement mon job que cela ne me dérange pas de reporter un truc perso, même si j’apprécie le temps passé avec mes amis”, raconte-t-elle. Amélie se définit comme très engagée mais pas addict au travail.
La nuance selon notre jeune active ? “Je ne me sens pas dépendante au travail”. Il est vrai que la notion d’addiction est au cœur de la définition du workaholisme. “C’est-à-dire que tout comme un accro au tabac va ressentir un manque quand il ne fume pas, l’addict au travail va éprouver des émotions négatives (comme la culpabilité) lorsqu’il ne travaille pas”, explique Sophie Morin.
Mais si elle ne se sent pas addict au travail, Amélie n’en demeure pas moins surinvestie dans son job. La jeune femme l’explique à la fois par sa personnalité très perfectionniste, mais aussi les problèmes structurels rencontrés par son entreprise. “J’ai toujours regardé les choses non pas sous l’angle de ce que l’on me demandait de faire, mais la manière dont je pouvais me rendre utile”, raconte-t-elle.
Le hic, c’est que son entreprise est à ce jour chambardée par une transition mal gérée, et Amélie ne supporte pas le travail mal fait. Résultat : la jeune femme n’hésite pas à prêter main forte à un collègue en difficultés, à éteindre les incendies partout où ils se propagent. “J’ai toujours été comme ça : à la fac, j’étais du genre à anticiper l’oubli de l’un de mes camarades en lui rappelant une info importante”, se souvient Amélie. Or, le sentiment d’être contraint par son environnement à en faire toujours plus, tout comme une personnalité perfectionniste, sont des facteurs de risques de sombrer dans le workaholisme.
- Une personnalité perfectionniste, impulsive, hyperinvestie, qui a du mal à déléguer, à s’absenter.
- Un environnement de travail avec de la pression, des changements, du stress.
- Une situation personnelle particulière (pas de conjoint, de passion, etc).
Des conséquences inéluctables ?
Chaque soir, Amélie rentre toujours plus fatiguée du travail. En ce moment, elle est même en arrêt à cause de fortes douleurs musculaires. “Je sens que je suis à la limite de l’engagement et que j’ai de plus en plus de difficultés à décrocher”, rapporte la jeune femme. Son signal d’alerte ? Elle ne ressent plus d’enthousiasme le soir à aller promener son chien, lui qui est pourtant sa priorité n°1.
En plus d’être lucide sur son état physique et mental, Amélie peut aussi compter sur son conjoint qui agit auprès d’elle comme un garde-fou. “C’est quelqu’un qui est à l’opposé de moi, qui n’est pas très engagé au travail. Du coup, il m’aide à prendre du recul”, confie Amélie qui ajoute se questionner actuellement sur la viabilité de rester dans son job à plus long terme.
Une lucidité salvatrice selon Sophie Morin qui insiste sur l’importance de l’entourage et la capacité à gérer ses priorités de vie pour ne pas sombrer dans l’addiction au travail. Car lorsque l’engrenage est en route, le cercle vicieux est souvent dur à enrayer. “L’addict au travail va être plongé dans un environnement tellement stressant que pour compenser cette impression de non maîtrise, il va travailler toujours plus ce qui va lui donner l’illusion de reprendre le contrôle”, affirme la psychologue.
À la clef, une liste peu réjouissante d’effets secondaires. En s’acharnant au travail, le workaholic risque de souffrir :
- d'anxiété
- de commettre des erreurs et de voir baisser sa productivité (ce qui prouve d’ailleurs que l’addiction au travail n’est pas un cadeau pour l’entreprise)
- d’éprouver des troubles somatiques (insomnies, douleurs musculo-squelettiques…)
- de prendre du poids, d’augmenter sa consommation d’alcool et de tabac
- de souffrir de conflits familiaux
Ça existe des workaholic heureux ?
Tout cela expose naturellement les workaholic au burnout. Pour autant, tous les addicts au travail ne vont pas se “cramer”. Ils sont juste davantage exposés car ils cumulent les facteurs de risques. En effet, même si le travail peut finir par être dénué de plaisir chez les workaholic, nous avons tous un jour ou l’autre rencontré un addict au boulot heureux. Un acharné de travail capable d’abattre 70H de boulot par semaine tout en dormant comme un bébé et en gardant le sourire. Sophie Morin pense donc plutôt à un continuum en trois étapes :
- Le travailleur enthousiaste et engagé : il partage la même satisfaction et implication qu’un addict au travail, mais ne se sent pas contraint par celui-ci. Il est capable de débrancher parce qu’il est protégé par des facteurs personnels (personnalité, situation familiale, passions, etc). Son job n’est pas sa priorité.
- Le workaholic enthousiaste : il est également impliqué, satisfait par son travail, mais il en fait toujours plus dans son job parce que sa personnalité ou son environnement de travail le contraignent. Toutefois, il arrive à équilibrer sa vie selon sa balance personnelle. Il est donc lui-aussi dans le plaisir malgré une charge de travail beaucoup plus importante que la normale.
- Le workaholic au bord du burnout : il partage les mêmes caractéristiques que le profil précédent, à la différence près qu’à un moment, il bascule à cause d’une désorganisation au travail (changement de manager, perte de soutien, évolution structurelle de l’entreprise…). Une désorganisation qui va le pousser à faire plus, sans pour autant avoir en contrepartie la satisfaction du travail bien fait. Il peut aussi s’agir de personnes qui n'ont pas de plaisir parce qu'elles sont tellement perfectionnistes qu'elles sont rarement satisfaites.
Pour se prémunir du burnout, les workaholics doivent donc prêter attention à leurs facteurs de risques et tenter de garder une forme de lucidité quant à leur rapport au travail. De la même façon, les entreprises doivent bien comprendre qu’une personne qui cumule les heures au bureau n’est pas nécessairement la plus productive et engagée. Satisfaction au travail, sens et reconnaissance : voici le triptyque magique pour éviter de se consumer !