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“On a délaissé le sujet de la mort en entreprise” : Sarah Dumont alerte sur la mauvaise gestion du deuil au travail

La mort demeure un sujet tabou, y compris dans le cadre de l’entreprise où 80 % des salarié‧es estiment ne pas avoir bénéficié d’un vrai soutien au moment d’un deuil. Sarah Dumont, fondatrice de l’organisme de formation Happy End, alerte sur l’urgence de mieux prendre en charge les salarié‧es endeuillé‧es, pour le bien des individus, mais aussi du collectif de travail.


5 min
14 novembre 2023par Léa François

La mort n’épargne aucun aspect de notre vie : quand elle survient, elle bouleverse tout notre quotidien, y compris notre travail. En France, 1 actif sur 2 a été confronté à un deuil dans le cadre professionnel, 39% des salariés ressentent des difficultés de maintien dans l'emploi et 11% vont même quitter leur job suite à un deuil, selon l’association Empreintes. Des chiffres qui attestent d’une réelle problématique : la question de la mort au travail est encore trop mal prise charge, conduisant à des souffrances individuelles. Sarah Dumont, fondatrice de Happy End, un organisme de formation qui accompagne notamment les entreprises pour mieux gérer le deuil en milieu professionnel, alerte sur l’urgence d’une prise de conscience sociétale.

Le deuil, une épreuve qui transforme l’être humain, mais aussi le salarié

Si l’impact du deuil au niveau psychologique semble évident, on n’a pas forcément en tête que cette épreuve peut également avoir des conséquences directes sur la santé physique de l’employé : “On va avoir des problèmes de sommeil, des problèmes articulaires, des pertes de concentration et de mémoire [...] on peut avoir des problèmes de surdité qui apparaissent soudainement [...] l’endeuillé, le salarié qui va revenir à son poste n’aura pas les mêmes capacités qu’avant” alerte Sarah Dumont.

À ces problématiques de santé physique et mentale s’ajoute de nombreuses démarches administratives à gérer qui conduisent parfois à la réorganisation de toute une vie, par exemple lorsqu’on devient parent solo. Un bouleversement qui affecte tous les pans de la vie du salarié et qui doit impérativement être pris en compte par l’employeur, pour éviter d’ajouter une souffrance supplémentaire au salarié. Et l’on peut dire que pour l’instant, les entreprises ne sont pas au rendez-vous : selon l’association Empreintes, 80 % des salarié‧es estiment le soutien des ressources humaines inadapté, inutile ou inexistant en cas de deuil, et 63 % déclarent ne pas avoir reçu de soutien de la part des RH.

Que prévoit la loi en cas de deuil et est-ce suffisant ?

Aujourd’hui, en France, on a droit à 3 jours de congés si l’on perd un proche (conjoint, père, mère, beau-père, belle-mère, sœur ou frère), une durée qui peut s’étendre de 12 à 14 jours en cas du décès d’un enfant, rappelle le site du Service Public. “Ce qui est proposé aujourd’hui n’est pas suffisant d’un point de vue légal, argumente Sarah Dumont, et c’est ce qui explique qu’aujourd’hui, suite au décès d’un proche, un salarié va prendre en moyenne 34 jours d’arrêt maladie”.

Des indemnités journalières qui ont un coût : 700 millions d’euros par an. La mauvaise gestion du deuil en entreprise a donc des conséquences individuelles, sur le bien-être et la santé de l’employé, mais également collectives : les maladies déclenchées ou aggravées par l’expérience du deuil, l’absentéisme, les démissions ou encore les ruptures conventionnelles sont autant de facteurs qui auront un impact sur les finances de l’entreprise, la productivité des salarié‧es et l’organisation du travail des équipes.

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Comment améliorer la prise en charge du deuil au travail ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 50% des employeurs n’ont rien prévu pour le décès d’un collaborateur, et 58% pour le décès d’une personne proche d’un collaborateur. Pour Sarah Dumont, cette absence d’accompagnement doit être corrigée : “Mettre en place un entretien de retour à l’emploi pour un salarié lors de son retour au travail me semble hyper important [...] c’est à travers cet entretien qu’on va pouvoir, en tant que managers ou ressources humaines, comprendre si le salarié peut toujours maintenir sa charge de travail, ou s’il faut l’adapter, voire la dispatcher au sein de l’équipe, ou même recruter pour compenser. C’est ce qui va permettre de ne pas mettre l’équipe en difficulté et de pouvoir s’assurer de la même productivité au fil des mois” analyse-t-elle. Les managers, dont 1 sur 3 a déjà été confronté à un collaborateur en deuil dans son équipe, doivent aussi être en mesure de mieux prendre en compte ces cas de figure.

Chez Happy End, l’idée est de lever le tabou sur la mort, en général et en entreprise, et d’en faire tout à la fois un sujet de conversation et d’étude. Cet organisme de formation certifié Qualiopi “aide l’entreprise à mettre en place son propre protocole d’accompagnement du deuil, à écrire une procédure interne en cas du deuil d’un salarié, et lui donne des outils pour bien réagir” nous explique Sarah Dumont.

💡 À retenir : les chiffres clés du deuil en entreprise :
  • 1 salarié sur 2 a été confronté à un deuil dans le cadre professionnel
  • 1 manager sur 3 a eu un collaborateur en deuil dans son équipe
  • 34 jours d’arrêt de travail par an en moyenne lié à un deuil
  • 700 millions d’euros par an, c’est le montant du coût de ces indemnités journalières
  • 11% des salariés quittent leur emploi suite à un deuil

Outre l’exemple de l’entretien de retour à l’emploi, d’autres solutions peuvent être mises en place au travail pour mieux accompagner les salarié‧es endeuillé‧es. Après 3 années de travail avec le Credoc (Centre De Recherche Pour L'étude Et L'observation Des Conditions De Vie), l’association Empreintes a élaboré à ce titre un guide sur le deuil à destination des entreprises, après avoir déjà conçu un livre blanc avec 10 propositions concrètes telles que l’idée de créer un comité deuil, de désigner un binôme d’intervention ou encore de créer un référent deuil formé à ces enjeux.

L’association formule également des requêtes à destination des pouvoirs publics, notamment par rapport aux contours du congé deuil, en demandant d’élargir le cercle des proches en incluant la famille recomposée et élargie, et d’allonger la durée de ce congé. Autant de pistes soutenues dans une proposition de loi déposée en mars 2022 et à laquelle l’association Empreintes a collaboré.

Léa François

Journaliste

Journaliste qui écrit avec ses tripes, pour porter la parole de celleux qui ne l’ont pas toujours. A postulé ici le lendemain […]

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