Congé paternité / second parent : ils sont allés plus loin que le cadre légal
Deux ans après l’allongement du congé paternité/second parent, certaines boites ont décidé d’aller encore plus loin…
Le “nouveau” congé paternité / second parent fête déjà ses deux ans. Depuis le 1er Juillet 2021, il est passé à 28 jours, dont 7 obligatoires. À ce jour, il n’existe pas encore d’étude complète pour en tirer un 1er bilan précis. Une étude de la CEREQ indique cependant que nous sommes passés d’une prise de 10 à 20 jours en moyenne et que la prise est très liée à la rémunération (avec moins de congé paternité pris parmi les salaires les plus bas et les plus hauts).
Mais certaines entreprises ont décidé d’aller bien plus loin que le cadre légal et proposent désormais à leurs équipes des modalités bien plus avantageuses. Pour contre-balancer une croyance que les dispositifs extra-légaux sont réservées aux grands groupes, j’ai décidé d’interviewer les dirigeants d’une petite structure (25 salariés) et d’une grande (1 000 salariés). Anne Thays, DGA de Mobidys & Laurent de la Clergerie, PDG fondateur de LDLC proposent respectivement un congé paternité / second parent de 10 semaines et de 20 semaines, rémunérés à 100%. Pourquoi ces choix ? Quels sont les bénéfices attendus ? Quelle organisation est déployée pour pallier aux absences ?…
Un congé paternité pour impacter sur l’égalité Femme / Homme
À la question de la motivation de proposer un congé paternité plus long, les réponses fusent, sans appel. “Nous souhaitions lutter contre la discrimination des femmes à l’embauche. Proposer un congé paternité plus long permet de supprimer ce biais”, déclare Anne Thays, DGA de Mobidys. Et pour aller plus loin, la start-up a déployé également un accord de télétravail permettant une grande liberté d’organisation, ainsi qu’une prise en charge financière des places en crèches.
Cette volonté est partagée par Laurent de la Clergerie, PDG fondateur de LDLC et pionnier en France de la semaine de 4 jours. “Je voulais absolument déployer une action forte en terme d’égalité Femme / Homme, en complément de la semaine de 4 jours (NDRL : pas de perte de salaire pour les femmes passant à 80% de temps de travail). Et à mon sens, une des réponses est d’impliquer les hommes dans leur paternité. Les 28 jours de congé paternité sont peu pris actuellement. Mais lorsqu’on a la possibilité de prendre 4 mois et demi (20 semaines), on n’hésite pas, on y va !”.
Anne complète : “avec cette décision, nous souhaitions évidement offrir un nouveau droit aux futurs papas de l’entreprise mais également impacter sur la société en général”. Ce que confirme Laurent. “Un congé paternité allongé est une bonne mesure pour l’enfant, l’égalité, et tout simplement pour la société dans son ensemble”.
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Un congé paternité plus long et indemnisé à 100% : une évidence
La volonté étant là, les deux dirigeants s’interrogent sur les modalités pratiques en terme de durée et d’indemnisation. Pour cette dernière, la question ne se pose finalement pas : la prise à charge totale du salaire est un pré-requis. “Il n’y avait pas de question de petites économies, cela ne pouvait être autrement”, déclare Anne Thays. De son côté, Laurent indique : “Cela devait être ainsi. Je me suis dit« on y va, on paye ! ». On fera le bilan dans un an mais on ne changera pas les modalités d’indemnisation, ni de durée d’ailleurs”.
Et d’ailleurs, quid de la durée ? Pour Anne, “nous souhaitions apporter une réponse claire et simple. Et pour nous, il s’agissait de s’aligner sur la durée du congé maternité”. Laurent, de son côté, a d’abord cherché l’inspiration à l’étranger. “J’ai regardé ce qui se faisait dans le monde, notamment le modèle canadien avec un an de congé partagé entre les deux parents. Le modèle n’est pas déclinable en France. Je me suis alors demandé jusqu’où je pouvais aller. Je me suis rendu compte qu’à la fin du congé maternité, on donne son enfant à garder alors qu’il n’a que 2 mois et demi. C’est si petit ! Je voulais un congé paternité suffisamment incitatif pour que les nouveaux pères ne se posent même pas la question d’y aller ou pas !”.
Des décisions applaudies en interne
Ces décisions sont fortes et représentent un grand changement. Comment les équipes ont-elles réagi ? Il y a-t-il eu des réticences ? “Lors du premier « bébé Mobidys », nous avons mené un travail de réflexion sur l’organisation du travail en général. Ce congé paternité allongé est une extension de notre politique parentalité. Quand nous l’avons déployé en Juin 2022, il a été perçu comme une suite logique, en phase avec notre politique RSE globale (NDRL : Mobydis sera bientôt certifié B-Corp)”.
L’analyse est la même pour Laurent qui a déjà largement préparé le terrain de la qualité de vie et du bien-être avec la semaine de 4 jours. “Chez nous, la culture sur le sujet est très présente et intégrée. Et cela change tout ! On n’entend jamais le fameux « Tu pars à 17h, tu as pris ton aprem » chez LDLC. Il n’y a pas non plus de sentiment d’auto-censure”. Chaque année, Laurent annonce une grande nouveauté en matière de qualité de vie. “Les équipes attendent « la nouvelle mesure du patron ». Elles ne savaient pas où j’allais les amener cette année mais dès l’annonce, les retours ont été positivement unanimes !”.
Les bénéfices attendus : bien être des salarié.e.s et une marque employeur forte
Les deux dirigeants s’accordent également sur les bénéfices de ce congé paternité plus long. L’impact est positif aussi bien en interne qu’en externe.
“Le bien-être de nos équipes est une de nos priorités stratégiques. Nous souhaitons que nos salarié.e.s se sentent bien, soient performants et fidèles” déclare la DGA de Mobidys. Laurent de la Clergerie confirme : “Lors de nos 1eres semaines de parents, nous sommes épuisés. 28 jours pour les papas, ce n’est pas suffisant. Avec 20 semaines de congé paternité, nous allons récupérer un collaborateur reposé, efficace et reconnaissant. Son engagement va aussi être bien plus fort. C’est une démarche positive, tout le monde est gagnant”.
Anne et Laurent savent également que cette mesure va leur permettre de muscler leur marque employeur. Anne Thays le confirme. “Aujourd’hui, les conditions de travail sont centrales de la part d’un candidat lors d’un entretien de recrutement. Nous sommes une entreprise qui grandit. Nous avons envie d’attirer des talents”.
Et quelle organisation pour palier aux absences ?
La gestion de l’absence et la déstabilisation potentielle de l’équipe durant ces longs congés paternité sont souvent des freins évoqués par des dirigeants et DRH. Que ce soit 10 semaines chez Mobidys ou 20 semaines chez LDLC, comment les deux dirigeants s’organisent ?
“Cette question est la même que pour les congés maternité des femmes… C’est une représentation ! Il y a 7 ou 8 mois de grossesse pour s’organiser ! Soyons pragmatiques, il faut y arriver, point”, s’enthousiasme Anne Thays. “Chez Mobidys, certains collaborateurs seront remplacés par des CDD ou des freelances. Nous allons aussi nous ré-organiser en interne pour prioriser et répartir les missions. C’est de la responsabilité des entreprises !”.
Au sein de LDLC, les collaborateurs futurs papas auront le choix sur les modalités de prise de leur 20 semaines de congé paternité. Soit en un seul bloc, soit découpé en 3 parties maximum de chacune 4 semaines minimum. “Je voulais laisser de la souplesse. Dès l’annonce de cette mesure, j’ai eu 3 prises de congé paternité et les 3 futurs papas souhaitent les découper en 3 blocs. Il y a une véritable culture de la co-responsabilité chez nous, ils ne veulent pas trop déstabiliser les équipes. Donc à ce jour, il n’y a pas besoin de remplacer. L’organisation mise en place avec la semaine de 4 jours a créé une capacité d’adaptation forte. Mais j’ai besoin d’un recul sur un an pour en dresser un 1er bilan clair”.
Le futur souhaitable du congé paternité au niveau légal : aller plus loin !
Pour conclure nos échanges, j’ai eu envie de connaitre les avis de nos deux dirigeants sur l’évolution légale du congé paternité en France. Selon Anne Thays “il s’agit d’aligner la durée du congé paternité sur celle du congé maternité, c’est une évidence. Ce que nous faisons chez Mobydis, avec 10 semaines, est un minimum. C’est à la fois ce dont on envie les jeunes parents mais c’est aussi ce dont a besoin un bébé. La première année avec un bébé, c’est un bouleversement pour les parents. Il y a surement encore d’autres pistes à explorer”.
Laurent souhaite lui que le cadre réglementaire évolue vers “20 semaines et mieux indemnisées. Le système actuel est quand même aberrant. La durée du congé maternité est plus courte pour le 1er enfant (10 semaines) alors que c’est justement là où c’est le plus stressant ! Le congé paternité doit être aligné sur la durée du congé maternité pour créer de véritables égalités. Et l’indemnisation est à revoir. Aujourd’hui, elle tourne autour de 70% et c’est un véritable frein pour les bas salaires qui eux, devraient être indemnisés à 100%”.
En l’attente d’un nouveau cadre légal plus avantageux, ces deux initiatives inspirantes doivent permettre à d’autres dirigeants d’aller plus loin également. Lors de l’annonce du nouveau congé paternité chez LDLC sur Linkedin, le post de Laurent de la Clergerie a réalisé plus d’1 million de vues, avec des milliers de commentaires aussi bien d’hommes que de femmes. ”C’est mon 2eme ou 3eme post réalisant autant de vues ce qui montre bien que c’est une vraie attente et que nous sommes face à un changement sociétal profond”. Et de conclure : “depuis l’annonce en interne, j’ai un de mes collaborateurs qui m’a dit « J’ai deux enfants et je n’en voulais pas d’autres. Mais avec de telles conditions, je vais finalement y réfléchir !”. De quoi peut-être relancer la natalité en France…