Quelle est la différence entre le but et l’objectif ? Ou l’anecdote du porte-avion
Quel est le rapport entre un avion de chasse qui atterit sur un porte-avion… et un fichier Excel avec des chiffres en bas de colonnes ? A priori aucun, et pourtant, les deux sont tout aussi difficile à atteindre. Mais heureusement, il y a une solution très facile pour y arriver : oublier. Je vous explique tout.
Pourriez-vous me dire la différence entre un but et un objectif ? Dans le langage courant, les deux mots semblent assez similaires. Même les dictionnaires se renvoient la balle. Pour l’un, “le but est un point visé, un objectif”. Pour l’autre, “l’objectif est un but, une cible que l’on doit attendre”. Pourtant, les deux peuvent se différencier, et quand on parle boulot, l’un doit être la conséquence de l’autre. Sinon ça ne marche pas. Vous êtes encore plus perdu qu’avant ? Pas de panique, tout va s’éclaircir à la fin de l’article (promis).
Pour comprendre la différence entre le but et l’objectif, il faut comprendre comment atterrit un avion de chasse sur un porte-avion. Oui, oui, vous avez bien lu, on va parler de porte-avion (d’ailleurs on dit apponter et non atterrir, pour info). J’ai donc rencontré un ancien pilote de chasse pour qu’il m’explique tout ça. “Savoir faire atterrir un avion m’a servi pour montrer aux dirigeants comment la performance peut être gérée différemment”, clame Dominique Steiler, aujourd’hui dirigent de la Chaire UNESCO pour une paix économique.
Première règle : tout oublier
”Quand on se pose sur un porte-avion, il y a un but. Le but, c'est d'aller se poser. La première chose que vous apprend l'officier d’envol, c’est : surtout si tu veux l'atteindre, il va falloir l'oublier”, démarre-t-il. Très étrange. Comment oublier son but pourrait permettre de l’atteindre ?
“Quand on s'approche du porte-avion, il commence à grossir très très vite. Ça bouge dans tous les sens, ça tangue, ça roule, ça avance… La zone d’imapct est de 25 à 40 mètres. Par rapport à une piste classique qui fait 3 000 mètres et qui ne bouge pas, ça fait une sacrée différence”, explique-t-il au noob que je suis. “Comme il bouge beaucoup, si je focalise sur lui, il y a de fortes chances que je ne sois pas assez attentif à ce que je suis réellement en train de faire”. Et donc, de rater** (en l’occurrence, là, on parle de mourir et pas de ne pas avoir une prime de fin d’année).
Super, mais dans la vie des gens normaux (donc des gens qui ne pilotent pas), ça donne quoi ? “Si on me dit : ‘Il faut que tu fasses tel chiffre d'affaires dans telle période et que je focalise sur mon chiffre d'affaires, je risque de rater toutes les actions que j'ai réellement à mener”, alerte-t-il. À quoi fait-il allusion ? “Saluer les gens, remercier une équipe pour son travail, etc”. En gros, du bon management. Et entamer à la place du mauvais management : piloter à la performance.
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L’erreur que font (presque) toutes les entreprises…
“Le piège pour les entreprises, c’est de gérer la performance en pilotant aux indicateurs et de ne plus regarder la réalité”, assène Dominique Steiler. Les indicateurs, ce sont les fameux objectifs (vous vous rappelez, ceux du début d’article). Il faut comprendre que “indicateurs”, “objectifs” et “KPI” sont une seule et même chose.
“Pour pouvoir atteindre un but, j'ai besoin de définir des objectifs. Les objectifs, c'est ce qui va me permettre de contrôler, de maîtriser, de voir que mes actions vont dans le bon sens. Dans l'avion, c’est ma vitesse, ma pente, ma puissance moteur. J'ai tout un ensemble d'indicateurs dont un qui me dit si j’ai le bon angle ou pas”, complète-t-il.
Jusque-là, c’est assez clair. Et c’est justement la comparaison entre les objectifs du pilote, et ceux du travailleur lambda que toute la métaphore prend son sens. “Tout ça, ce sont des indicateurs qui permettent de savoir si ce qui est fait, est bien fait”. Seul problème, si on commence à focaliser sur ces indicateurs, on perd de vue le but.
Pour une entreprise, les objectifs, ce sont généralement des KPI : des trucs avec plein de chiffres qui rassurent (un Excel par exemple). Et comme les “indicateurs/KPI” ont toujours un train de retard sur la réalité, on risque de se cracher (au propre comme au figuré). Exemple, si le pilote regarde son altimètre au lieu de regarder la réelle altitude de son avion, l’écart entre les deux infos peut être fatal. “Si on court après les objectifs (donc les indicateurs, ndlr), on va amplifier les erreurs et on va rater l’appontage, voire pire”. Ces indicateurs ne servent pas à rien, ils sont là pour guider, mais attention à ne pas piloter par eux, mais bien à travers eux.
La recette du succès est simple comme bonjour
Bon, tout ça, c’est bien mignon, mais à la base, on était venu pour atteindre un but, et pas juste pour “ne pas mourir”. Et vous avez raison. Et pour réussir, la recette est atrocement simple : “fais bien ce qu'on t'a appris à faire”. “Il faut se rendre compte que toute performance est une conséquence d'un acte bien fait. Tu verras que si tu fais bien ce que tu as appris à faire, alors tes indicateurs vont passer au vert. C'est donc une conséquence. Les KPI vont bouger en conséquence des actes bien faits, et non en fonction de leur contrôle”, lâche notre ancien pilote. Brutalement efficace. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises pilotent aux indicateurs… avec les non-résultats que cela implique.
Prenons l’exemple de cette boite de recouvrement qui a voulu améliorer sa performance en pilotant aux indicateurs. Avant ça, malgré l’apparente difficulté de ce métier, et du lien avec les “clients”, les salariés y trouvaient du sens. Leur but (et non objectif, vous avez compris maintenant) étant de trouver une solution pour que chaque parti soit gagnant.
Un jour l’entreprise se dit : “tiens, et si on devenait plus efficace et qu’on mettait des objectifs”. Un changement de management intervient dans l’entreprise. ”Tous les lundis matin, on recevait un tableau Excel avec les cinq jours de la semaine en bas de chaque colonne avec le chiffre qu'on devait recouvrer dans la journée. On se déplaçait quasiment plus, on faisait tout au téléphone et toutes les 3-4 h, notre manager venait voir si le chiffre progresse”, se souvient Dominique Steiler, qui a accompagné cette boite.
“Ça, c'est un pilotage aux indicateurs”, appuie-t-il. Un pilotage aux seuls KPI. Et la conséquence de ça, c’est quoi ? Des gens qui disent “ça n'a plus aucun sens”, que ça n’est “pas leur métier”, qu’ils sont “sous pression et sous contrôle”. “Le système s'est complètement inversé. Le focus est porté sur l’objet (l’argent) et non le lien (la relation avec le client)”, conclut notre expert. Un exemple concret d’un pilotage au but… au pilotage par les objectifs. Et ça n’a pas bien marché.
Que faut-il retenir de la différence entre le but et l’objectif ?
Ce qu’il faut tenter de comprendre et retenir, c’est que pour atteindre un but (chiffre d’affaires par exemple), on doit passer par des objectifs (des KPI), mais sans être pilotés par eux (ne pas fixer le fichier Excel). Et le meilleur moyen de l’atteindre, ce but, c’est tout simplement de “bien faire ce qu’on sait faire”. En gros, tout un article pour dire qu’il faut bien bosser… Je vous ai pas menti, je vous avais dit que tout deviendrait très simple à la fin de l’article…