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Comment un ancien pilote de chasse a décidé de proner la paix economique

Savez-vous ce qu’est la “paix économique” ? Très certainement que non. Et peut-être que cela ne vous intéresse pas de prime abord. Mais à la fin de cet article, votre vision du travail, pourrait être bien bien différente. On fait le pari ?


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Je ne pensais jamais écrire un article sur la paix économique. Pourquoi ? Tout simplement parce que je n’avais jamais entendu parler de ce terme. Puis, je ne voyais pas le rapport entre le travail et la guerre (du moins pas directement). Puis j’ai fait la rencontre de Dominique Steiler. Il a fondé et dirige la chaire UNESCO pour une culture de paix économique.

Qu’est-ce que c’est ? À quoi ça sert ? Et surtout comment un ancien pilote de chasse, militaire, a décidé de tout plaquer pour ça ? Voici l’histoire de cette rencontre.

Comment un ancien pilote de chasse se met à travailler sur la paix… économique ?

Quand un militaire part à la guerre, il lutte pour quelque chose qui est la paix, il a un horizon de paix. Il sait que ça va être compliqué. Mais au loin, au loin, il y a la paix. Alors qu’aujourd'hui, dans le monde économique, quand un manager rentre dans une entreprise, tout ce qu'on lui promet, c'est d'avoir une guerre économique à outrance et qui ne fera que s'amplifier. L’idée c’est de pouvoir redonner un horizon éclairé, un horizon de paix, un horizon de joie à des gens qui rentrent dans l'entreprise. Et leur dire : on ne va pas juste vous former à la question de la guerre économique, on va tenter de vous former à comment retrouver un espace dans lequel votre travail va permettre de contribuer au bien plutôt qu'à la guerre.

C’est quoi la paix économique, ça a l’air très vague comme concept ?

Est-ce que vous savez ce que c’est que la guerre économique ? Là, les gens souvent savent, ils savent que guerre économique, c'est stress, dépression, burn out. La paix économique, c'est ce qui vient s'opposer à tout ce qui fait que notre modèle économique vient dégrader le système alors que son point de départ, c'est fournir des biens, des services et des richesses pour que la société fonctionne. Ce modèle a dérivé avec un paradigme qui est devenu très agressif. Et donc la paix économique, c'est s'opposer à ça. La paix économique va s’opposer à guerre économique.

Dans une économie mondialisée, n’est-ce pas un peu utopique comme vision ?

On a besoin d'un tissu économique qui soit fort, qui soit performant, mais il y a des intolérables dans cette guerre économique. Quand un management d'une entreprise décide de mettre en place une culture qui va dégrader les personnes au point de se suicider. Une entreprise qui décide de jeter ses déchets dans une rivière parce que ça lui coûtera moins cher que d'aller jusqu'au centre de tri. Une entreprise qui verse des dividendes par milliards et qui, dans la foulée demande une aide à l'État au moment de la Covid, tout ça, ce sont des intolérables. On a besoin d'une économie efficace. L'économie, c'est ce qui nous permet d'être en lien en fait, ce qui nous permet d'être ensemble. Et là on a une économie qui dégrade.

Ce discours est super sur le papier, mais on a l’impression qu’aujourd’hui la règle, c’est plus “si je le fais pas moi, quelqu'un le fera à ma place”

Pour moi, c’est une phrase terrible. C'est le meilleur moyen de se débiner de la situation problématique. La véritable question, c'est : “à quoi je veux contribuer ?” Je peux décider de contribuer au système existant alors que je sais qu'il se dégrade. Et du coup avoir des phrases de ce type là. Ou alors je peux faire le choix opposé. Parce que peut être que dans cet argent, il y a un intolérable. Si une entreprise doit faire des bénéfices, ça me va, il y en a besoin. Mais l'étymologie de bénéfice, c'est “faire le bien”. La question étant “Mesdames et Messieurs, dans les entreprises, dans vos bénéfices, combien y a-t-il de maléfices ?”

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Finalement, vous n’êtes pas si idéaliste que ça…

Il faut se rendre compte qu'on ne cherche pas à atteindre un idéal. Non seulement je n’y crois pas, mais j’aime bien la vie comme elle est. Elle oscille, elle a ses tensions. Il faudrait se croire Dieu pour croire qu'on va changer ça. Par contre, on peut se dire tous les jours, quand je rencontre quelqu'un, je peux décider d'agir avec un comportement qui va être de l'ordre d'une fuite, d'une agression ou d'une manipulation… ou je peux décider d'agir avec un comportement qui sera l'ordre d'une meilleure relation. Et la paix économique, elle est à cet endroit là.

On commence par quoi alors ?

Je pense que la première étape ce sont des patrons qui se disent : “mais en fait moi je veux avoir une entreprise qui soit utile à la société”.

Et ce point d'utilité va les faire réfléchir sur comment ils sont utiles le mieux possible. Ils vont commencer à transformer leur valeur. Ils vont commencer à transformer leur stratégie, ils vont commencer à transformer les objectifs. Ceux qui résistent sont ceux qui gardent en eux la croyance que si je suis dans le conflit, dans la compétition, dans l'urgence, je serai plus performant. Ce qui, d'un point de vue réalité, est totalement faux.

Et ça peut fonctionner ça ?

Il y a l’exemple de cette entreprise qui s’est appuyé sur le servant leadership. L'idée du servant leadership, c'est comment je réussis à faire passer une culture qui m'apprend que plus je grimpe dans la hiérarchie, plus je suis au service d'un nombre de personnes important et non pas plus je grimpe, plus je suis en pouvoir sur un nombre de personnes important. Et bien l'entreprise est passée de 2500 salariés en 2010 à 8500 à partir de 2017 et de 300 millions à 1,3 milliard. Et quand on demande aux dirigeants qu'est ce qui a permis cette croissance là, la réponse est assez simple. Ce qui a fait la croissance, c'est la transformation de culture.

Dans les écrits sur la Paix économique, il y a cette phrase : “le profit n'est pas une fin en soi, mais une contrainte nécessaire au développement futur”. Pouvez-vous l’expliquer ?

Une fois, un monsieur m’a dit “La paix économique ? Wow, that’s not good for business”. Comme si paix semblait vouloir dire “pas de profit”. Autrement dit, le profit est associé à la guerre, à une situation agressive. Dans la réalité de la vie, on sait très bien qu'un système qui est très collaboratif va être complètement profitable et va être complètement performant, alors qu'un système qui est sur un mode agressif peut être performant à très court terme mais va se dégrader très rapidement.

On dit que l’argent est le nerf de la guerre, peut-il devenir le nerf de la paix ?

Est-ce que l'argent peut être le nerf de la paix? Ou est-ce que l'argent restera le nerf de la guerre? Je ne sais pas si ça changera, mais ça n'a pas toujours été le cas. Le modèle économique qu'on a mis en place depuis 200 ans a fait que c'est devenu le cas. Au départ, c’était “j'ai faim, mais je peux te faire un fauteuil en échange”. C'est ça le point de départ.

Moi, je pense que ça pourrait rebouger. Alors, je n'ai pas d'avis et je n'ai pas de conseil particulier là dessus. Mais on voit bien qu'il y a des systèmes qui se mettent en place sur des modalités d'échange, sur des modalités d'économie solidaire, d'économie circulaire.

Il y a un vieux dicton qui dit “l'argent est un bon serviteur, mais un mauvais maître”. On a créé une économie qui a fait de l'argent son maître

Cela signifie qu’on doit changer des choses. On démarre par quoi ?

On peut commencer par faire des choix très différents. Je connais une entreprise qui a décidé de partager par tiers : un tiers pour rémunérer le capital, un tiers pour les investissements et un tiers réparti selon les 250 salariés. Tout le monde à niveau égal, sans distinction de hiérarchie Là, on a une entreprise qui dit “je suis pérenne, je fonctionne, je fais du résultat, j'ai un bénéfice qui se dégage de ce résultat. Mon bénéfice je fais en faire un vrai bienfait. Je vais le partager dans tout ce qui m'est nécessaire”.

  1. L'actionnaire a besoin d'être rémunéré, sinon il s'en va et il a investi.
  2. J'ai besoin d'investir si je veux développer mon entreprise.
  3. Le travail a besoin d'être rémunéré.

Un jour, je faisais une conférence dans un lieu patronal. Et l'un des responsables vient me voir et me dit : “j'aime bien ce que vous racontez, mais quand même, dans l'entreprise, on partage : chacun à un salaire”. Sauf que le salaire ce n’est pas un partage, c’est une rétribution du travail accompli.

Et il continue : “mais vous savez bien qu'avant de partager, il faut accepter que le gâteau grossisse”.

Je ne suis pas du tout d’accord. Si j'ai un petit quignon de pain, je peux déjà décider de vous en donner un bout. En faisant ça, j’ai créé un lien, qui va être sacrément fort et qui va nous permettre d’être plus efficace. En revanche, si j’attends que le gâteau grossisse et grossisse et qu’à la fin je vous donne la petite cerise sur le gâteau, on va créer un décalage. Et c’est ce décalage important qui génère des tensions. Le pari de la paix économique, c’est aussi comprendre comment on faire une répartition équitable. Donc oui, l'argent pour moi peut devenir le nerf de la paix si on le remet à sa place.

Paradoxalement, la paix, c’est aussi savoir s’affronter. Pourquoi ?

Une des compétences majeures de la paix, c'est la capacité de confrontation. Si je veux la paix, alors je dois être sacrément puissant pour être face à celui qui m'agresse. La paix nécessite d'être capable de faire face à la violence sans violence. Ça, c’est un challenge de dingue. Et cette compétence qu'il y a derrière, c'est ma capacité de confrontation.

Au boulot, ça donne quoi ?

Pouvoir rester dans une réunion dans laquelle un collègue me met en cause publiquement, voire m'humilie par une petite blague, pouvoir rester, lui dire : “la façon dont tu me parles n'est pas possible, mais je partirai pas, je vais rester là”. Ça c'est la paix. C'est rester dans la confrontation. C'est accepter que le conflit va me permettre de faire naître quelque chose de différent.

L'inverse de ça, c'est la fuite. Il y a plein de manières de fuir.

  • Je peux fuir, en disant : “oui, t'as raison”. Alors qu'en fait, à l'intérieur, je me dis “tu vas voir quand on sortira dans le couloir”.
  • Je peux fuir en claquant la porte mais ce n’est toujours pas satisfaisant. Je n’ai rien confronté, rien résolu.
  • Ou je peux me sentir beaucoup plus costaud et faire une contre attaque en direct devant tout le monde. Mais dans tous ces cas là, c'est totalement insatisfaisant, totalement inefficace.

Par contre, si je reste pendant que l’autre m’agresse, que je prends pas l'agression et que je dis : “si tu veux qu'on avance ensemble, il va falloir arrêter parce que je ne bougerai pas parce qu'il faut qu'on règle le problème”. Là, il y a la puissance de la paix.

Yannick Merciris

Head of Editorial The Daily Swile

Journaliste qui aime autant les mots que le ballon rond. Vu que je gère mieux le premier que le second, j’ai décidé […]

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