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Du CV de “diplômes” au CV de “compétences” : assiste-t-on à une gamification du parcours professionnel ?

Si autrefois, la formation était positionnée en bonne place sur le CV, de plus en plus de candidats optent pour un “CV à l’anglaise”, basé sur les compétences. Mais les diplômes ont-ils vraiment dit leur dernier mot ? La bataille est lancée !


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Bienvenue dans l’ère des compétences ! Depuis plusieurs années, le marché du travail valorise de plus en plus les compétences au détriment du simple diplôme. Et ça se voit sur le CV.

Quand les compétences priment sur les diplômes

Léopoldine Collineau, recruteuse dans l’entreprise de cybersécurité I-TRACING, nous le confirme :  “Les diplômes ne garantissent pas systématiquement le niveau réel d’une personne. De plus, le coût des formations peut être un facteur d’exclusion socio-économique. Il existe des parcours d’apprentissage alternatifs et moins conventionnels. L’accessibilité croissante à l’information et aux ressources gratuites a transformé l’apprentissage et la montée en compétences”, estime-t-elle.

En outre, les certifications et badges permettent de valider ces compétences, qu’elles aient été acquises après un diplôme ou par autoformation. La recruteuse nous explique que la formation continue est particulièrement pertinente dans le domaine de la cybersécurité où les employés doivent en permanence être à jour au niveau technique. “De plus, avec l’IA, on est de plus en plus sur un matching entre les compétences d’un candidat et les attendus pour un poste”, précise Vincent Binétruy, Directeur France du Top Employers Institute.

Même son de cloche du côté d’Hugo Chabrouty, Lead Talent Acquisition Freelance & Cofounder chez Serebro : “Dans la tech surtout, les recruteurs vont plutôt regarder l’adéquation entre les compétences et les expériences du candidat, plutôt que son diplôme”. Cela est d’autant plus vrai que des écoles comme 42 misent sur des profils atypiques en reconversion, quel qu’ait été leur parcours antérieur. Seule la réussite du test d’entrée - et donc de leurs compétences - valide leur inscription. Pour notre interviewé, le passage au CV en mode “compétences” est aussi intriqué à un phénomène générationnel chez les recruteurs.

Les badges et certifications : vers une gamification du parcours professionnel ?

Outre cette ère des compétences, l’idée d’un CV qui fonctionne comme un jeu vidéo où l’on débloque des compétences et accumule des badges peut sembler séduisante. Les badges et certifications s’imposent comme de nouvelles unités de mesure des compétences, particulièrement dans les secteurs techniques où l’expérience pratique prime sur le cursus académique. Des plateformes comme RootMe, qui permettent aux étudiants en cybersécurité de se challenger via des exercices techniques et d’obtenir des points, sont devenues des références.

Ces plateformes sont un moyen ludique de se former et un indicateur compréhensible pour les recruteurs. Les enseignants eux-mêmes recommandent ces outils aux étudiants pour se démarquer sur le marché du travail ”, explique Léopoldine Collineau.

À savoir que certaines certifications sont inscrites sur la blockchain, tandis qu’il existe aussi un système d’open badge permettant une validation des compétences par les pairs. Certaines collectivités, comme la Normandie ou la ville de Paris, ont mis en place des dispositifs de reconnaissance de compétences via des validations par des pairs. Ce modèle, qui repose sur l’expérience terrain, est particulièrement utile pour les métiers très opérationnels.

Cependant, l’accumulation de certifications pose aussi la question de leur légitimité. Toutes les certifications ne se valent pas, et certaines entreprises les utilisent davantage comme un levier de rétention salariale qu’un réel indicateur de compétences.

L’essor de l’évaluation par l’IA

L’intelligence artificielle (IA) révolutionne également les méthodes de recrutement en mettant l’accent sur les compétences. Les entreprises s’appuient de plus en plus sur des outils d’évaluation personnalisés qui évaluent les candidats non plus sur leur parcours académique, mais sur leurs compétences réelles, directement mobilisables.

Vincent Binétruy explique : “Grâce à l’IA, un même poste peut donner lieu à des évaluations différentes selon le profil du candidat. L’assessment (évaluation) est alors adapté à ses expériences et compétences. Par exemple, pour un développeur, cela peut être un test technique gamifié ou une étude de cas”.

Cette approche rend le recrutement plus objectif et permet d’identifier les talents de manière plus efficace. C’est particulièrement vrai dans les secteurs en tension comme la tech et l’ingénierie, où l’approche traditionnelle par diplôme est de moins en moins pertinente.

Minute papillon, le CV par diplômes is not dead

Ceci étant dit, il n’est pas si certain que les effets d’annonce reflètent l'entièreté de la situation. Gare au CV washing ! “Il y a une évolution réelle du CV ces dernières années, mais comme souvent, elle donne lieu à des positions dogmatiques, voire extrêmes. On parle beaucoup du passage aux compétences, mais dans certains secteurs, le diplôme reste central. En finance, en Droit ou en médecine, le prestige d’une formation est encore un marqueur fort de légitimité”, relève Vincent Binétruy. Sans compter que quand un CEO est nommé, on retrouve encore les traces de l’école qu’il a fréquentée (Polytechnique, par exemple), quand bien même les années ont passé.

De son propre aveu, Hugo Chaboutry constate lui-aussi que ce qui se vérifie chez les profils de développeurs, n’est pas vrai partout. “Dans les grands groupes notamment, les profils grandes écoles demeurent plébiscités”, affirme-t-il. Et d’ajouter : “Les badges sont en réalité souvent plus probants pour des profils type “en reconversion” ou “insertion”, mais n’ont pas trop de valeur sur les postes à haut niveau”.

C’est aussi le cas dans les grands cabinets de conseil qui emploient des hordes de jeunes consultants diplômés des meilleures écoles, s’assurant du même coup la puissance d’un réseau. Dans un ouvrage passionnant, Jean-Laurent Cassely et Monique Dagnaud évoquaient justement une nouvelle classe sociologique : “la génération surdiplômée”, venant transcender les origines de chacun.

Et puis, ces diplômés qui ont trimé pour entrer dans de grandes écoles ont tout intérêt à les garder en bonne place sur leur CV. “Je pense notamment aux profils issus de la diversité qui voient de nombreuses portes s’ouvrir grâce à ces diplômes”, renchérit Vincent Binétruy. Finalement, chaque acteur, diplômé ou non, a intérêt à faire valoir son propre capital, qu’il soit éducatif, social ou issu du terrain etc (coucou Bourdieu).

Vers un CV hybride ?

Et si finalement, la vérité se trouvait à la confluence des idées ? Le CV tel qu’on le connaît n’est pas mort, mais il évolue vers un modèle hybride. L’accumulation de compétences et de certifications offre aux candidats de nouveaux moyens de valorisation, et l’essor de l’IA dans le recrutement accentue cette transition.

Cependant, plusieurs défis restent à relever : comment distinguer les certifications réellement pertinentes ? Comment s’assurer qu’un badge est un véritable gage de compétence et non un simple élément cosmétique ?

La gamification du CV semble davantage liée aux nouvelles méthodes d’apprentissage qu’au format du CV lui-même. Si le diplôme perd de son exclusivité, il n’est pas encore totalement remplacé. L’avenir réside donc dans un équilibre entre compétences, certifications et formations académiques, où chaque élément viendra enrichir la crédibilité du candidat.

En somme, nous n’en sommes peut-être pas encore au stade où le CV ressemble à un jeu vidéo, mais il devient de plus en plus interactif, personnalisé et axé sur la preuve par la compétence. Un changement de paradigme à accompagner avec une évolution des mentalités et des outils de recrutement.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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