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Est-ce que la santé mentale est contagieuse ?

Et si nos émotions étaient aussi virales qu’une bonne grippe saisonnière ? Voilà une question que l’on se pose rarement. Et pourtant, nous sommes bien plus connectés aux autres qu’on ne pourrait le penser.


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Il est 9H. Vous arrivez au bureau et votre collègue vous parle de punaises de lit : il y a fort à parier pour que dans les 5 minutes qui suivent, vous vous mettiez à vous gratter. Ce drôle de phénomène est lié à notre “perméabilité psychique”, et cela vaut dans tous les domaines. “Nous avons cette capacité à intégrer par voie de suggestion ce que l’on nous raconte. Cela traduit notre influençabilité”, affirme le psychiatre Michel Lejoyeux, auteur de l’ouvrage En bonne santé avec Montaigne (Le Livre de Poche et Michel Laffont). En matière de santé mentale, on parle plus exactement de “contagion émotionnelle”. Le film “Je suis donc tu es” est une bonne illustration du phénomène.

Une étude publiée dans le magazine Cerveau et psycho explique même que l’humeur des autres se transfère aussi facilement que les germes. Cette “contagion émotionnelle”, selon l'expression des psychologues, se déroule en deux temps. “Tout d'abord, par mimétisme inconscient, nous copions les comportements et attitudes des autres, qu'il s'agisse de leur posture, des expressions de leurs visages ou de leurs gestes”, explique Margaux Tancrède, psychologue référente pour moka.care.

Ainsi, voir l’autre froncer les sourcils quand il est morose, nous incite à froncer les sourcils à notre tour… Un mimétisme qui pourrait reposer sur des neurones particuliers, les neurones miroirs, qui s'activent de la même façon quand nous exécutons une action et quand nous la voyons exécutée. “Puis, dans un deuxième temps, le fait de froncer les sourcils provoque en nous un sentiment de tristesse par un phénomène dit de rétroaction. Dès lors, nos émotions sont synchronisées”, poursuit la psychologue.

Négatif vs positif : qui l’emporte ?

Mais si les émotions se propagent à vitesse grand V, peut-on imaginer que les troubles mentaux sont aussi concernés ? “Non, la santé mentale en elle-même n’est pas contagieuse. En revanche, les interactions que nous vivons au quotidien peuvent avoir des impacts positifs ou négatifs sur nous”, souligne Margaux Tancrède.

Une étude allemande a ainsi démontré que lorsque l’on propose à quelqu’un de décrire son voisin avec ses défauts et ses qualités, on va davantage s’attarder sur ce qui est moins séduisant. Ce n’est donc pas un mythe : les râleurs de l’open space ont bel et bien le pouvoir de plomber l’ambiance.

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🔍 Certaines professions sont encore plus sujettes à devenir de véritables éponges émotionnelles. C’est le cas des métiers du care (RH, psychologue, infirmier, etc) pour qui la contagion émotionnelle peut se muer en fatigue compassionnelle, notamment parce que cette population est confrontée de manière répétitive à la souffrance et aux traumatismes des autres.

Toutefois, n’allez pas croire que nos deux experts nous somment de vivre reclus dans une boîte hermétique aux émotions des autres. Certes, la contagion des émotions négatives peut avoir une incidence sur la qualité du lien, la productivité des équipes, ou même l’absentéisme. Mais même les émotions dites négatives des autres peuvent avoir des bienfaits sur nous. “Faire l’expérience d’émotions négatives et les affronter peut avoir des conséquences sociales positives comme la modestie, les considérations morales, l’attention tournée vers les autres et l’empathie”, souligne Margaux Tancrède.

Et puis il ne faut pas non plus oublier que les émotions positives sont, elles aussi, contagieuses et peuvent permettre d’améliorer la qualité du travail, l’efficience ou encore les comportements prosociaux.  Nous avons tous une appétence pour le bonheur. Les émotions positives ouvrent notre répertoire de pensées-actions : elles “effacent” les émotions négatives, stimulent la résilience, permettent de réinterpréter les comportements, ou encore de faire éclore des solutions alternatives (source : Lazarus, 2003 ; Tal Ben Sahar, 2010). Il faut d’ailleurs souligner que la gestion des émotions du manager a un impact direct sur l’humeur et les performances de l’équipe, renchérit Margaux Tancrède.

Faut-il se prémunir du “mal” ?

On rêverait tous de vivre dans un monde où notre santé mentale serait constamment au sommet. Mais la réalité est que 20% de la population souffre de dépression, alors le refrain Don’t Worry Be Happy a tendance à sonner faux. Et même s’il est naturel de vouloir se protéger, le Pr Michel Lejoyeux attire notre attention sur notre penchant à ostraciser ceux qui vont mal, par peur justement de se faire contaminer.

Dans un contexte professionnel, la hiérarchie va avoir tendance à exclure consciemment ou inconsciemment les sujets négatifs pour ne pas qu’ils entraînent le reste du collectif. Mais il est essentiel de différencier la plainte, de la souffrance d’une personne qui va vraiment mal, insiste le Pr Lejoyeux, également auteur de l’ouvrage “Les quatre saisons de la bonne humeur” (JC Lattès).

Un point de vue partagé par Margaux Tancrède qui distingue les personnes qui se plaignent ou critiquent sans cesse de celles qui souffrent en silence. Bien sûr, on ne peut pas considérer que les représentants du premier profil soient en pleine forme, mais ceux qui sont les plus en danger sont souvent ceux qu’on entend le moins.

Dans le cas du burnout, le déni est justement un élément clef. “Beaucoup de personnes portent un masque social en entreprise et vont relâcher leurs émotions le soir venu avec leurs proches, ce qui peut créer un effet cocotte minute”, pointe la psychologue.

🔍  Les 3 critères à surveiller pour détecter une personne en souffrance réelle :
  1. La perte d’envie
  2. La culpabilité et la perte d’estime de soi
  3. La perte d’énergie

Ces signes sont évocateurs d’une souffrance mentale et il est essentiel de protéger ces individus et de ne surtout pas les exclure. Il faut savoir que le cumul de ces trois items multiplie par 10 le risque de suicides”, martèle le Pr Lejoyeux.

Quels outils pour gérer la contagion émotionnelle ?

1. Développer une culture médicale chez les managers

Selon le Pr Lejoyeux, tous les managers devraient savoir ce qui relève d’une protection particulière (trouble psychique) d’une gestion disciplinaire (râleries, critiques). Sur le continent nord-américain, le management intègre désormais un volet autour de la santé mentale afin que les managers soient en mesure de détecter l’urgence et ce qui relève de la pathologie.

En outre, le développement de formations comme les Premiers Secours en Santé Mentale , ou encore le développement de solutions d’accompagnement comme moka.care, est une excellente nouvelle. Le rôle du manager est alors de repérer puis d’encourager le collaborateur à aller consulter les professionnels compétents comme un médecin du travail ou un psychiatre.

2. Privilégier la congruence

Selon Montaigne, dont le Pr Lejoyeux a écumé les ouvrages, le sentiment de cohérence vis-à-vis de ses valeurs et objectifs est essentiel. Un manager qui afficherait un optimisme débordant alors que la situation de l’entreprise serait catastrophique n’aurait aucune cohérence. “L’émotion qui nous fait du bien est authentique, gare donc à ne pas appliquer des techniques toutes faites”, souligne-t-il, ajoutant qu’il est essentiel de comprendre “qu’aucun modèle unique ne peut s’appliquer à tous les salariés”.

3. Apprendre à réguler ses propres émotions

De son côté, Margaux Tancrède nous invite à travailler sur le développement de notre intelligence émotionnelle afin d’être plus à l’écoute de nos propres besoins et ceux des autres. La psychologue insiste sur l’importance d’éviter de porter un masque social qui pèse sur notre énergie mentale, pour tenter d’être plus en phase avec qui nous sommes. Elle propose ainsi le travail du [DESC](https://hyfen.fr/communication-et-methode-desc/#:~:text=La définition de la méthode,erreur réalisée par un collaborateur.) (décrire, exprimer, spécifier, conclure) pour apprendre à mieux communiquer autour de nos émotions.

4. Revenir au corps

La méthode TIPI peut aussi s’avérer intéressante. Elle nous propose de fermer les yeux et d’explorer les sensations physiques que nous éprouvons lorsque nous vivons une émotion forte. Tête qui tourne, estomac noué, cœur qui bat la chamade : tout cela nous renseigne sur ce que nous vivons. Ce retour au corps, via le sport, la cohérence cardiaque et la méditation, est une ressource que chacun d’entre nous peut activer et mettre en place comme une forme d’hygiène émotionnelle qui prévient l’apparition du stress chronique et améliore nos capacités de concentration. Il est d’ailleurs intéressant de travailler ces points, y compris quand ça va bien ! Cela permet d’affronter avec plus de facilités les aléas de la vie.

Dans tous les cas, il est important de trouver sa propre méthode. Malgré le phénomène de contagion émotionnelle, gardons en tête que nous sommes chacun responsables de nos propres émotions”, conclut-elle.

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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