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Est-ce que la santé mentale est rentable ?

Investir sur le bien-être de ses salariés vous semble de l’argent jeté par les fenêtres ou un “truc de start-up” ? On fait le pari qu’à la fin de cet article, votre avis aura changé.


10 min
4 janvier 2024par Yannick Merciris

“La santé mentale, c’est la maladie de l’engagé, pas la maladie du faible”, voilà comment est résumé simplement tout le paradoxe de la santé mentale par Florence Prévost, DG d’Holicare, une boite qui permet “de détecter, prévenir et prendre en charge la santé mentale des collaborateurs”. Avec des facteurs externes de plus en plus anxiogènes (guerres, environnement, économie), la santé mentale a fait un bond médiatique, mais aussi clinique.

48% des salariés seraient “en situation de détresse psychologique” (Empreinte Humaine/Opinion Way 2023). “Nier l’existence des risques psychosociaux, c’est comme rentrer son ventre à la plage l’été. Ça diminue pas ton poids réel, et ça te fait passer pour un imbécile devant les autres”, renchérit Adrien Chignard, psychologue du travail.

Si l’on regarde la définition de l’OMS, “la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social”. Le constat est clair, aucune distinction possible entre santé physique et santé mental. Mais comment réussir à faire entrer la santé mentale au sein du monde pro ? “Les chefs d’entreprises se sont longtemps demandés : “Mais en quoi la santé mentale concerne les entreprises ?”. Aujourd’hui, ils comprennent que c’est du bas de bilan”, claque Stéphane Cremades, co-fondateur d’Holicare.

“La situation d’aujourd’hui nourrit celle de demain. Si tu as quelqu’un qui dévisse, ça va forcément impacter les autres. Quand tu ne remplaces pas quelqu’un tout de suite, la charge de travail est transmise. Les chefs d’entreprises comprennent que ce n’est pas un effet de mode. C’est structurel et sociétal. Tout ce qu’on fait maintenant, ça coûtera beaucoup moins cher que demain”, promet-il.

“1 euro investi en prévention, c’est minimum 6 euros gagnés”

Car la santé mentale a un coût, c’est une évidence. Selon nos calculs, un burn-out coûte entre 20 000 et 35 000 euros par personne à l’entreprise”, compte Florence Prévost. D’où sort ce chiffre magique ? D’un simulateur interne à Holicare qui agrège “les données du marché avec les infos des entreprises”. “Il y a des gens qui restent en poste et qui ne sont plus productifs : c’est ce qu’on appelle le présentéisme. Ensuite, il y a l’arrêt de travail avec les coûts associés de maintien de salaire et puis le coût de remplacement : ‘recrutement, formation. Si on arrive à éviter cette souffrance, on a une balance coûts/investissements positive pour l’entreprise”.

Un chiffre complété par Julia Néel Biz, fondatrice de Teale, une autre solution d’accompagnement autour de la santé mentale pour les entreprises. “3000 euros, c’est le coût par an porté par l’entreprise”. Une data d’une étude Deloitte réadaptée au marché français et qui combine les effets du présentéisme, absentéisme et le turnover.

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Parler rentabilité et santé mentale, ce n’est donc pas antinomique bien au contraire. “Il y a un rapport causal entre l’un et l’autre, explique Adrien Chignard de Sens et Cohérence. Non seulement, c’est compatible mais l’un est un des déterminants de l’autre. L’absence de santé mentale va entraver la rentabilité. Travailler avec 19 de tension, une jambe dans le plâtre et de la fièvre à 40°, vous verrez que votre productivité va être amoindrie”.

“Le ROI n’est jamais négatif, constate Julia Néel Biz. En moyenne, c’est même du 1 pour 5”. Pour notre psy du travail, le ROI est encore plus fort. Un euro investi en prévention, c’est minimum 6 euros gagnés”. (Source : Centre d’expertise en gestion de la santé et de la sécurité au travail, Université Laval/ Québec).

Être “bien”… pour “bien” faire

Une bonne santé mentale, c’est aussi pour mieux produire. Nul besoin d’être un mécène et Adrien Chignard le rappelle parfaitement : “enchanter le travail, c’est du bullshit managérial. La raison d’être d’une entreprise, c’est de produire de la valeur. Et pour ça, il faut qu’elle ait des salariés en bonne santé pour produire de la valeur. Se priver d’investissement sur la santé mentale, c’est construire une usine en pensant que la maintenance ne sert à rien. À partir du moment où tu es dans le déni du risque, tu prends des risques”, et d’empiler: “une bonne santé mentale, c’est savoir bien gérer sa charge mentale. Et la charge mentale, c’est quoi ? La faculté à intégrer l’info, la traiter et y répondre correctement; En gros, ce qui te permet de bosser. Un niveau de stress faible, c’est moins accidentogène, c’est moins générateur d’erreurs. La santé mentale, c’est un déterminant de la création de valeur”.

Les acteurs qui touchent à la santé mentale sont de plus en plus nombreux : Moka.care, Holivia, Teale, Stimulus. “On a tout intérêt à prendre la parole le plus possible sur le sujet”, complète Stéphane Cremades qui cite ses concurrents de lui-même. ”On a gagné deux ou trois décennies de maturité sur le sujet pendant la crise du Covid, même si on a encore du retard sur le sujet en France”, ajoute Julia Néel Biz de Teale. “Si tu commences à toucher au bilan financier des entreprises, et que tu expliques que tu n’es pas un “benefits”, mais bien un investissement rentable, ça change tout”, le CEO de Holicare.

Comment “calculer” la santé mentale ?

On l’a bien compris, si la santé mentale est “rentable”, elle en devient un business. Selon Isabelle Durand-Zaleski, professeure de médecine, docteure en économie, le coût direct et indirect des maladies psychiatriques en France à 163 milliards d’euros en 2023”, soit une augmentation de 50% en dix ans. Les boites s’y engouffrent. Holicare propose donc une solution pour les entreprises avec la promesse d’évaluer sa santé mentale en 7 minutes.

Est-ce suffisant et surtout est-ce fiable ? “C’est un pré-diagnostic et pas un diagnostic. Le diagnostic est posé par le psy !, rappelle immédiatement son co-fondateur. “On ne fait pas le tour de la santé mentale de quelqu’un en 7 minutes, mais on ne l’a fait pas non plus en 7h”, ajuste Clément Duret, médecin du travail et membre du conseil scientifique qui a mis en place ce questionnaire de 64 questions. “Un questionnaire ne fait pas diagnostic ! Quelqu’un peut biaiser volontairement ou non un questionnaire. L’idée, c‘est de fixer les grandes zones symptomatiques : anxiété, dépression, épuisement. Et on ajouté les ressources, c’est à dire ce que nous avons pour faire face à une situation”.

“Ça fait partie de notre mission et de démocratiser la santé mentale, avec deux objectifs très clairs : aller mieux et construire des organisations plus saines et performantes”. Car le secret de la santé mentale, c’est avant tout la prévention : “C’est beaucoup plus facile de rattraper quelqu’un qui tombe de la 1ère marche de l’escalier que d’aller le chercher tout en bas”, raconte la co-fondatrice de Teale en paraphrasant l’un des médecins avec lequel elle travaille.

Une nouvelle approche “digitalisée et humaine”, mais plaquée sur un conseil scientifique solide pour les deux entités que sont Holicare et Teale. “Si ce n’est pas mesuré, c’est du vent, ça n’existe pas. On mesure l’état de la santé mentale sur plusieurs paramètres : stress, anxiété, sentiments dépressifs et les trois composantes de l’épuisement personnel, relationnel et professionnel, explique Stéphane Cremades, entouré de sa cohorte médicale Philippe Souchois, Christophe Cutarella (psychiatre référent du burn-out) et Jean Denizeau (directeur de recherche à l’Institut du Cerveau).

“Dans un monde idéal on a le temps face au patient, mais dans le monde réel, ce n’est pas vraiment le cas. Ce pré-entretien fait gagner du temps et permet d’orienter plus justement”, précise Clément Duret, notre doc du travail.

Au final, Holicare révèle que le coût est de 0,96€/salarié/mois pour avoir le baromètre de la santé mentale de l’organisation et du collaborateur, sans compter les parcours de soins possibles (entre 1500 et 4000 euros par parcours). Côté Teale, on parle d’un chiffre variable de “quelques euros/mois/entreprise” pour accéder à la cartographe de sa santé mentale et une “redirection vers un programme de contenus (+1000) pour travailler sur les points de vulnérabilité” sur une base de thérapie et de coaching digital.

🔍 3 piliers pour inclure la santé mentale en entreprise (par Julia Néel Biz, Teale)
  1. Avoir une politique à l’échelle de l’entreprise : inclure le leadership, le manager et les collaborateurs.
  2. Avoir une politique de prévention : ne pas être dans la curation et dans la gestion de crise pour agir.
  3. Utiliser la data pour personnaliser. On a tous une santé mentale, oui, mais on a tous une santé mentale différente. Si on propose le même dispositif à tout le monde, on passe à côté.

Est-ce que vous “allez voir quelqu’un” ?

Tous ces chiffres sont bien beaux, mais comment faire changer les mentalités, puisque c’est là que le bât blesse. “Personne ne nie la dangerosité du métier de poser du goudron sur la route, car vous sentez les émanations à des dizaines de mètres. Sur la santé psychique, c’est moins évident. Quand on enlève, le risque physique évident, ça laisse à voir les problèmes liés à la santé psychique, constate le médecin du travail.

D’ailleurs si je vous demandais la dernière fois que vous avez été chez le dentiste ? Votre réponse viendrait sans problème, sans tabou. Si je vous demandais à quand remonte votre dernière visite chez le psy, le malaise sera grand. Vous me trouveriez peut-être intrusif. Pourquoi un tel différentiel pour deux praticiens ? Le psy(chiatre) est perçu comme un médecin qui n’est pas comme les autres”, rappelle le médecin du travail. “Il y a cette peur de la santé mentale, parce qu’on le voit par le spectre de la folie. On a tous une santé mentale. Les gens savent à peu près ce que c’est que l’anxiété ou la dépression, mais on reste sur l’idée de fragilité. Alors oui, à l’instant T, on l’est, c’est une vérité, mais ça ne fait pas de la personne une personne fragile à part entière. Le psychologue, ça peut tous nous concerner. Il y a toujours un moment de notre vie où on peut aller moins bien (rupture, deuil, etc)”.

Même chez les psy eux-mêmes, la question se pose : “chez moi j’en ai ! Parce que les RPS (risques psycho-sociaux) sont consubstantiels au travail”, explique Adrien Chignard.

La santé mentale, c’est la loi !

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs”. Ce n’est pas une citation d’un psy, ni d’un DRH, mais bel et bien de l’État. Depuis 2017, c’est inscrit dans le Code du travail. Donc les entreprises ne peuvent plus faire l’économie de la santé mentale. “Au-delà des enjeux légaux et économiques, il y aussi des enjeux éthiques ou moraux : l’entreprise vit au milieu d’une société qui bénéficie collectivement des apports sociaux sur la santé mentale. Les chefs d’entreprise ont très bien compris ça”, précise le psy du travail.

Si l’entreprise ne fait pas toujours partie des coupables ou des responsables, elle fait toujours partie des solutions parce que le travail, c’est la deuxième activité dans notre vie après le sommeil ! Premier truc qu’on fait : dormir, deuxième truc : bosser ! Donc si on peut contribuer, à notre juste mesure, à la perpétuation d’une bonne santé mentale, ça permet de mieux travailler et de mieux faire société”.

La santé mentale, un truc de riches ? Le raccourci peut-être fait très rapidement. Les priorités des uns sont-elles vraiment d’être bien au travail, l’urgence n’est-elle pas ailleurs ? “Ce n’est pas un problème de riches ou de pauvres, c’est un problème qui est en lien avec l’état d’avancé des conditions de travail d’un pays. Si tu te développes, cela signifie une tiertiarisation de l’économie et donc nécessairement, on va utiliser des outils qui vont mentaliser le travail. Le développement futur des “pays pauvres” impliquera nécessairement des problématiques de santé mentale”, conclut notre psy.

Yannick Merciris

Head of Editorial The Daily Swile

Journaliste qui aime autant les mots que le ballon rond. Vu que je gère mieux le premier que le second, j’ai décidé […]

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