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La fin de l’extra mile ou la nouvelle ère de l’engagement : quand le management devient pluriel

Avant, l’engagement, c’était l’extra mile. La capacité d’un salarié à faire plus pour montrer sa valeur ajouté.


8 min

Cet article est issu de l'ancien blog de Swile.

Il y a une dizaine d’années, on entendait déjà parler “d’engagement” au sein des entreprises. D’ailleurs, ne vous hasardez pas à dire à un chercheur que la notion est nouvelle, il vous rira au nez. Car cela fait plusieurs décennies que les spécialistes du travail planchent sur la question. Toutefois, ne flairez-vous pas comme un air de (re)nouveau au sein des entreprises quant à l’appropriation de ce terme si convoité, voire galvaudé ? Car si autrefois, l’engagement s’apparentait à un effort supplémentaire du côté de l’employeur, il se trouve désormais aux fondements de toute collaboration durable entre un salarié et une entreprise. D’extra mile, l’engagement s’est mué en pilier de la relation. On vous explique ici pourquoi et comment faire pour raviver la flamme.

"Les jeunes générations n’ont plus peur du chômage"

Mon père a travaillé avec loyauté pendant 25 ans au sein de la même entreprise. Pourtant, il s’est fait lourder à l’aube de ses 50 ans comme un vieux chiffon”. Voilà le genre de témoignage que vous pouvez aujourd’hui trouver au sein de la génération Y ou Z, et qui explique certainement une partie de l’équation. Car permettez-nous d’attaquer directement le sujet : l'engagement est devenu absolument vital pour les entreprises dans la rétention de leurs talents.

Fini le temps où le salarié devait "faire plus pour gagner plus". Aujourd'hui l'engagement est autre et son sens aussi. Pourquoi ? “Car les jeunes générations n’ont plus peur du chômage. Le CDI n’est clairement pas pour elles le Saint Graal puisqu’elles ont bien eu la preuve que ce n’était pas un gage absolu de sécurité”, s’aventure Philippe Guittet, coach “provocateur” en développement personnel et professionnel, co-fondateur de Talent Management. D’ailleurs, la quête de sécurité est-elle un véritable moteur pour ces générations ? Aussi hybride qu’un SUV japonais, la réponse est loin d’être tranchée et dépend du carburant de chacun.

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“La notion d’engagement est plus relative chez les jeunes générations”

Comme le dit la (nouvelle) formule consacrée : les jeunes générations ont tendance à consommer l’entreprise comme elles switchent d’Insta à Deezer. Du haut de sa cinquantaine et sans vouloir faire “le vieux”, Philippe Guittet estime que le sentiment d’engagement est plus relatif chez les jeunes générations. Tout simplement car “cette population est, selon moi, muée par un sentiment de rapidité et d’urgence”. Alors qu’autrefois, Catherine la comptable attendait sagement pendant 5 à 6 ans sa promotion, Manon s'impatientera au bout de 6 à 9 mois si son entreprise ne lui permet pas d’évoluer.

Et il est fort possible qu’elle lui claque la porte au nez en moins de deux ! Un constat que l’on retrouve dans le baromètre de l’engagement de Swile, puisque les résultats ont montré que plus d’un tiers des - 35 ans ont une probabilité élevée de changer d’employeur dans les 12 prochains mois, soit le double des plus de 55 ans. Michel, si tu nous écoutes…

Une réalité que l’on observe notamment dans l’univers des startups ou scale ups où les choses bougent très vite et les talents s’ennuient rapidement si le job ne correspond pas à ce qu’ils avaient imaginé (à moins qu’ils ne soient tenus par des BSPCE, et encore…). Et que dire des ex-travailleurs de la restauration, aviation, hôtellerie, du BTP ou encore de l’aviation qui, après la pandémie, ont décidé de se réinventer ailleurs ?

Selon les derniers chiffres de la DARES, en juillet 2021, le taux de démission chez les salariés français en CDI est près de 20% plus élevé que le chiffre de 2019 (pré-Covid). Et la situation est similaire chez les salariés en CDD puisqu’ils étaient 25% plus nombreux à demander une rupture anticipée sur cette période. Si les commentateurs n’osent pas vraiment employer le terme de Grande Démission en France, le grabuge est bel et bien là !

“Il ne suffit pas de bien payer son salarié pour l’engager”

Mais maintenant que le constat est posé du côté des travailleurs, que se passe-t-il dans la tête des employeurs ? Pour Philippe Guittet, deux options s’offrent à eux : consommer de la main d'œuvre et enregistrer un fort turnover (ce qui est clairement dommageable pour la performance de l’entreprise), ou alors se plier en quatre pour garder leurs talents. Et donc, pour les engager. Et cette affaire est loin d’être aisée ! “Car un salarié peut être motivé par son travail, et désengagé par son employeur”, avance le psychologue Pierre Eric Sutter, dirigeant de mars-lab. 

Si nous n’allons pas décortiquer cette fois-ci les 5 piliers de l’engagement (on vous renvoie à notre article pour ça), rappelons que pour retenir un talent au long-cours, il est essentiel de répondre à ses besoins afin d’activer non pas seulement sa motivation extrinsèque (comme de l’argent, des bonus ou des baby foot), mais aussi et surtout sa motivation intrinsèque (la responsabilité, l’autonomie, l’impression de s’identifier au contenu du travail car il fait sens, l’expression des compétences, la connaissance des résultats…).

Pourtant, certains employeurs se trompent encore en pensant qu’il suffit de bien payer leurs salariés pour les engager, observe Pierre-Eric Sutter.

Certes, l’argent est un élément central du contrat de travail, il peut même être primordial dans certains jobs (les sales par exemple), mais pour d’autres employés, il peut au contraire être insultant de résumer la gratification au travail par ce seul prisme.

Pour prendre un peu de hauteur de vue, notre expert remonte aux origines du “gage”, terme juridique qui définissait autrefois le salaire en contrepartie de l’allocation de la force de travail de l’employé. “Sauf que durant l’ère industrielle, les travailleurs pouvaient se volatiliser d’une semaine à l’autre. C’est comme ça qu’est né le contrat de travail, par nécessité de s’assurer de l’engagement du salarié sur la durée”, rappelle Pierre-Eric Sutter.

Sauf que, pour l’employeur, il ne suffit pas d’avoir un salarié qui effectue ses heures. L’engagement, c’est donc bien plus que du présentéisme, même si certaines entreprises ont mis parfois du temps à le comprendre ! Aux fondements de l’engagement se trouve le contrat psychologique, soit les attentes réciproques et tacites des salariés et employeurs qui peuvent toucher à différents thèmes comme la rétribution symbolique, les valeurs de l’entreprise, les modalités d’organisation du travail etc. 

“Le manager doit être à l’écoute des signaux faibles”

Pour Philippe Guittet, il est aujourd’hui primordial de sans cesse renouveler ce contrat psychologique pour engager au maximum les salariés et leur donner envie de donner ce supplément d’âme (même si l’on est en droit de s’interroger sur leur légitimité à le faire comme le soulignait la philosophe Fanny Lederlin.

Car les attentes des travailleurs sont mouvantes. “Il y a fort à parier pour qu’un vingtenaire célibataire et citadin ne nourisse pas les mêmes attentes qu’un sénior qui souhaite s’installer à la campagne”, affirme de son côté Pierre-Eric Sutter.

Pour Philippe Guittet, renouveler sans cesse le contrat psychologique est intriqué avec la nécessité de reconquérir ses propres talents. Personnellement, avant, je séduisais les candidats pour qu’ils travaillent chez moi. Mais une fois que c’était signé, je pensais que c’était acquis, comme les couples d’autrefois qui pouvaient rester ensemble malgré une certaine insatisfaction. Aujourd’hui, je dois trouver de nouveaux moyens pour renouveler la flamme chez les salariés”, affirme-t-il.

Et ces considérations sont clairement davantage de l’ordre psychologique. Pour notre spécialiste des ressources humaines, il est absolument indispensable de prendre le pouls des équipes de manière quotidienne, et non pas d’attendre un point hebdomadaire, car tant de choses peuvent se passer dans l’esprit des collaborateurs en quelques jours, surtout lorsque ceux-ci travaillent à distance et que la caméra ne permet pas de se rendre compte des signaux faibles.

Ce sont justement ces signaux faibles qui doivent être au cœur de l’attention des managers et dirigeants : des éléments de langage (passer du “salut” au “bonjour”, des retards aussi infimes soient-ils, un changement de tenue etc). Philippe Guittet recommande ainsi de pratiquer l’écoute active, sous peine que la tumeur ne grossisse en secret et finisse par exploser. “Parfois, les problèmes sont d’ordre personnel et n’impliquent pas la compagnie. Mais parfois aussi, il y a une vraie insatisfaction au travail. L’employeur ne peut pas toujours y répondre, mais il est essentiel qu’il écoute. Autrement, le manager ne devient finalement qu’une sorte de client à satisfaire, sans autre lien. Et encore une fois, c’est encore plus vrai à distance”, souligne-t-il. 

Même son de cloche du côté de Pierre-Eric Sutter. Pour lui, le désengagement - le vilain jumeau de l’engagement - provient de différents facteurs : par exemple, l'ambiguïté ou les conflits de rôles (manque de coordination du manager au sein des équipes), insuffisance des ressources (demander un travail sans fournir les outils nécessaires), la contrainte organisationnelle (ne pas permettre à un jeune parent de pouvoir trouver la juste balance vie pro/perso), le micro-management (surcharge affective et cognitive), ou encore la perception politique (des revirements inexpliqués, comme ce qui s’est produit lors des confinements où le télétravail est devenu la norme alors que le management n’avait jamais eu confiance en ses équipes auparavant). 

“Des petits arrangements auprès de ses équipes”

Ainsi, le manager et dirigeant ne doivent jamais oublier que chaque collaborateur est unique et ne possède pas le même système de valeur : certains vont vouloir faire avancer leur carrière, d’autres vont être très sensibles à l’impact environnemental et sociétal de leur travail, quand les troisièmes vont prêter attention au cadre de travail.

Le problème, c’est que les entreprises veulent tout standardiser, comme elles le font aujourd’hui avec les clients. Je l’ai vécu il y a de nombreuses années chez France Télécom avec la mutualisation des services de RH. Mais cela ne fonctionne pas pour tout, loin de là”, note-t-il. Il conseille à l’inverse de pratiquer le slack management, ou autrement dit, de laisser du mou et de la latitude au manager de proximité pour qu’il puisse pratiquer des petits arrangements auprès de ses équipes afin de coller au maximum à leurs attentes. 

Alors, si l’on devait retenir un seul et unique message : puisque l’engagement est désormais un pilier de l’entreprise, plus que jamais, les qualités d’écoute et la relation humaine doivent être au centre de tout. Managers, dirigeants, n’hésitez pas à interroger vos collaborateurs sur leurs centres d’intérêts, leurs modes de fonctionnement en dehors du travail.

Comprendre leurs aspirations, contraintes et priorités vous aidera à mieux cerner leurs attentes et renouveler leurs/vos voeux. “Si vous vous intéressez -vraiment- à l’autre, si vous vous engagez, il va le ressentir et s’engager à son tour”, conclut Philippe Guittet. Simple, basique. Alors, qu’on se le dise : sans sincérité, point de réel engagement. Et pas même de cerise sur le gâteau. 

Paulina Jonquères d’Oriola

Journaliste

Journaliste et experte Future of work (ça claque non ?), je mitonne des articles pour la crème de la crème des médias […]

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