société

Flemme au boulot : quand les séries rendent cool les tire-au-flanc

La flemme… Si elle touche tout le monde, elle n’est pas toujours bien vue. Elle est pourtant glorifiée par de nombreuses séries télévisées centrées sur le monde du travail et portées par des (anti)héros d’une oisiveté inégalable. Mais pourquoi ces séries fonctionnent-elles si bien ? Surtout, n’auraient-elles pas un impact sur notre santé mentale et notre vision (trop) normée du travail ? Analyse.


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"Si on travaille pour gagner sa vie, pourquoi se tuer au travail", disait Sergio Leone. Cette phrase aurait également pu être prononcée par Jeff Winger, Jim Halpert, April Ludgate, Garrett McNeill, Maurice Moss et Roy Trenneman, ou Hitchcock et Scully. Vous ne les reconnaissez pas ? Il s’agit des héros des séries Community, The Office, Parks and Recreation, Superstore, The IT Crowds et Brooklyn Nine-Nine. Des héros sympathiques mais oisifs, avec du cœur mais sans réelle ambition, qui ont en commun d’incarner la flemme. Qu’ils soient flics, vendeurs ou employés municipaux, ils ont tous un (sacré) poil dans la main, évitant au maximum de se tuer à la tâche. Leur fainéantise fait d’eux des personnages attachants qu’on adore détester. Mais pourquoi les aime-t-on autant, malgré tout le mépris qu’ils pourraient inspirer s’ils existaient vraiment ? 

Des personnages au potentiel comique 

Le héros paresseux est, depuis les années 2000, un stéréotype très répandu dans les sitcoms."Ce sont des séries comiques de courte durée mettant en scène, pour celles qui traitent du monde professionnel, des personnages qui n'ont pas toujours envie d'être où ils sont (au travail). Les traits de caractère des héros sont souvent poussés à l'extrême pour favoriser le rire", explique Mélanie Bourdaa, chercheuse à l’université Bordeaux Montaigne spécialisée en séries télévisées. "La paresse est un moyen de créer de l’humour", s’accorde Benoît Lagane, critique de séries et journaliste culturel à Télématin, sur France 2, et à France Inter. Gabriel, véritable fan de The Office, le confirme : "J’ai regardé la série au moins trois fois et, à chaque fois, ça me fait autant rire. Ils enchaînent les bêtises et font tout ce qu’on n’oserait pas faire en vrai".

Mais pourquoi la flemme au travail fait-elle forcément rire ? "On peine à dramatiser ce type de comportements", observe Barbara Dupont, chercheuse à l'UCL Louvain/IHECS et spécialiste des séries télévisées. "C’est compliqué de rendre ça autre chose que drôle, parce que ce n’est pas valorisé dans notre société", ajoute-t-elle. 

S’ils sont aussi drôles, c’est en effet parce que les héros incarnent des figures opposées à celles que l’on voit habituellement dans les séries sur le monde du travail (à savoir, des acharnés du boulot, qui donneraient tout pour leur carrière). "Si l’on parle du monde médical, Scrubs, par rapport à Grey’s Anatomy ou à Urgences, va nous faire rire parce qu’au fond, les personnages sont un peu des branques…", souligne Benoît Lagane. Autre exemple : dans The Office, Parks and Recreation ou Superstore, les personnages ressentent de la haine ou de l'indifférence (voire rien du tout) envers leurs patrons et leurs collègues, supportent à peine la vie de bureau, ne comprennent pas grand-chose à ce qu’ils font, n’ont aucune ambition et enchaînent les échecs et les bêtises. Chaque jour, ils tuent le temps comme ils peuvent jusqu'à 17 heures (ou la mort), tout en croyant mériter mieux.

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Des situations (plus ou moins) parlantes, qui permettent l’identification

Les héros de ce type de sitcoms semblent surtout différents de nous et de la façon dont nous sommes supposés agir, vivre et appréhender nos journées au bureau. "Ce qui va nous faire rire, c’est le décalage entre ce que l’on vit au travail et ce que l’on peut voir dans ces séries", assure Benoît Lagane. Différents… mais pas tant que ça, au fond. Si la flemme est caricaturée, elle n’est pas (si) loin de la réalité. "Ce que l’on trouve drôle, c’est d’observer tous ces petits travers que l’on voit sur nous-mêmes ou sur certains de nos collègues", poursuit le spécialiste. 

Il reste donc facile de s’identifier ou d’identifier quelqu’un que l’on connaît à ces personnages. Même si, dans ces fictions, le secteur est différent et tout est exagéré : les cas de figure, les traits de caractères, les discussions et simplement les endroits. L’open space ou la machine à café peuvent avoir un goût de déjà vu. "Ça marche parce que, sociologiquement, ça touche beaucoup d’entre nous. Tout le monde peut s’y retrouver", déclare le critique de séries. Il est vrai, avouons-le, que l’on a déjà tous eu affaire aux ragots à la pause-café, au collègue qui ne fait jamais rien et à celui qui parle trop fort, au désespoir et à la flemme quand notre patron nous met sur un dossier le vendredi à 16 heures… 

La dédramatisation pour se libérer des injonctions liées au travail

Mais pourquoi caricaturer la flemme au bureau ? "Ces séries dédramatisent le travail et toutes les situations compliquées qu’il peut engendrer", révèle Benoît Lagane. Dans une société capitaliste qui nous pousse à toujours en faire plus, qui valorise l’effort, "c’est plus simple d’en rire que d’en parler vraiment". 

En revanche, si l’humour est de mise, "on ne se moque pas forcément", nuance l’expert. Selon Barbara Dupont, il s’agit plutôt d’une sorte d’échappatoire, de mise à distance, de libération et de déculpabilisation vis-à-vis de toutes les injonctions liées au travail. "Cela a un effet soupape. D’une part, on se dit que l’on aimerait bien être à leur place et, d’autre part, on se rend compte que l’on n’est pas le seul à n’avoir pas toujours envie de bosser", considère-t-elle. Un plaisir coupable, comme le reconnaît Benoît Lagane : "Ces héros, on peut parfois les adorer, parfois les détester, mais ils nous font du bien. Au fond, toutes ces séries sont très cathartiques". 

Joséphine de Rubercy

Journaliste

J’adore les gens et comprendre ce qu’il y a dans leur tête. J’aurais pu être psy mais je suis beaucoup trop hyperactive. […]

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