Job crafting : la clé de l’épanouissement au travail ?
C’est un constat brutal. Selon une enquête Gallup “State of the Global Workplace”, la majorité des salariés dans le monde sont désengagés […]
C’est un constat brutal. Selon une enquête Gallup “State of the Global Workplace”, la majorité des salariés dans le monde sont désengagés au travail (ce qu’on appelle le quiet quitting, ou démission silencieuse en français), et 44% d’entre eux déclarent subir du stress au travail. Dans le même temps, la moitié des salariés en poste déclarent être dans une démarche de recherche passive ou active d’emploi. Sans doute pour trouver enfin l’épanouissement qu’il leur manque ?
Et s’il était possible de faire autrement ? C’est en tout cas ce que propose le concept de job crafting, théorisé par les chercheuses en psychologie Amy Wrzesniewski et Jane E. Dutton en 2001. Cette démarche consiste pour les salariés à “modeler” leur emploi (en anglais, le verbe to craft signifie notamment “réaliser, confectionner”) en fonction de leurs besoins. Il s’appuie sur trois composantes principales, que nous décrirons plus bas. Le job crafting permet ainsi aux employés de façonner activement les frontières physiques, relationnelles et cognitives de leur travail. Et, in fine, d’y trouver un plus grand épanouissement.
À l’heure où les entreprises exigent de plus en plus de leurs salariés qu’ils se montrent proactifs, le job crafting connaît un succès croissant. Mais en quoi consiste-t-il exactement ? Comment peut-on explorer (et tirer profit) de cette démarche, pour en faire un vecteur d’épanouissement au travail ? Voici ce qu’il faut savoir.
Qu'est-ce que le job crafting ?
Le job crafting consiste donc à transformer son poste pour le faire correspondre, autant que possible, à ses envies et à ses besoins. Il s’agit, en quelque sorte, de s’approprier son travail pour augmenter sa motivation. Plusieurs études ont démontré le bien-fondé de cette démarche, qui permet d’améliorer de manière significative l’engagement des salariés et le sens que ceux-ci retirent de leur travail.
Il existe trois leviers pour faire du job crafting, chacun étant sous-tendu par un mécanisme motivationnel spécifique :
- Les tâches (sens au travail) : il s’agit ici d’ajouter de nouvelles tâches (ou d’en supprimer certaines), de changer la manière dont on les réalise, ou encore d’étendre la portée de ses missions. Mais aussi de réorganiser son emploi du temps, en y incorporant par exemple plus de flexibilité. En somme : personnaliser autant que possible sa fiche de poste.
- Les relations sociales (besoin de connexion) : l’objectif pour les collaborateurs est de créer de nouvelles relations avec leurs collègues ou bien de changer la nature de celles-ci. Par exemple, en incorporant une dimension plus collaborative dans leur travail, ou encore en endossant un rôle de mentor. La dimension sociale du job crafting ne se limite pas aux interactions entre collègues : les échanges avec les clients (le cas échéant), les fournisseurs ou les managers comptent tout autant.
- Les perceptions (image positive de soi) : il s’agit de redonner du sens à certaines tâches, par exemple en les séparant en plusieurs catégories, ou d’envisager son job de manière différente. De manière globale, changer ses perceptions revient à remettre ses tâches quotidiennes en perspective, en réalisant quelques changements au besoin. Un commis de cuisine pourra, à titre d’exemple, envisager ses tâches comme un ouvrage nécessaire à un ensemble plus grand, à savoir la réalisation d’un plat. Cette remise en perspective permet de dépasser la sensation qu’ont certains salariés de n’être que des rouages dans une organisation du travail de plus en plus divisée.
Le job crafting se distingue par son approche bottom-up, c’est-à-dire qu’il est initié par l'employé. En cela, il diffère du job design, qui consiste pour les entreprises à allouer à chaque poste des tâches et des fonctions particulières. Ce modèle, qui fait reposer sur les managers la responsabilité d’aider les salariés à trouver l’épanouissement, connaît certaines lacunes. De son côté, l’approche du job crafting a pour particularité de laisser les rênes aux salariés, en leur donnant les moyens de devenir des “intrapreneurs”.
Par ailleurs, lorsque les ressources de l’entreprise sont limitées ou les possibilités de promotions restreintes, le job crafting peut également offrir aux salariés un moyen de renforcer leur motivation malgré tout, et d’augmenter leur performance.
Pourquoi pratiquer le job crafting en entreprise ?
Bonne nouvelle : dans la majorité des cas, les salariés ont suffisamment de latitude pour (re)définir et s’approprier leur emploi. Les études menées sur le job crafting montrent en effet que la plupart des métiers peuvent être adaptés aux besoins des individus, avec une amplitude qui varie bien sûr selon les postes.
Évidemment, le but n’est pas de se créer un job idéal et sans aucun défaut (on le rappelle : celui-ci n’existe pas !). Mais le job crafting permet de retrouver du sens au travail et de se libérer de schémas de pensée délétères, qui peuvent à terme engendrer de l’immobilisme, voire une certaine fatalité. Par ailleurs, cette démarche est un bon moyen pour les salariés gagnés par la lassitude de vérifier s’il est temps de changer de poste ou d’entreprise. Si le job crafting ne permet pas de retrouver de la satisfaction au travail, c’est le signe qu’un changement plus profond est nécessaire.
De manière générale, le job crafting permet d’augmenter la motivation et le sens au travail, en conférant aux salariés un contrôle accru sur leurs missions. Il répond au besoin croissant des individus d'être autonomes et d’avoir la possibilité de se réinventer au travail. Parmi ses multiples bénéfices, on peut noter :
- Le développement d’une identité professionnelle positive, notamment par l’expression de ses compétences ;
- Le renforcement des relations humaines au travail ;
- L’amélioration de l'engagement, la satisfaction, la créativité et la performance des collaborateurs.
Selon une étude menée en 2020 par la MIT Sloan School of Management, 92 % des participants s’étant essayé au job crafting ont observé en quelques mois une diminution de leur niveau de stress de 29 %, ainsi qu’une augmentation de leur sentiment de satisfaction personnelle.
Il est important de noter qu’une culture d'entreprise qui valorise l'autonomie et l'initiative individuelle est propice au job crafting. C’est par exemple le cas de Google, qui a mis en place des exercices de job crafting pour certaines de ses équipes. Résultat : les participants étaient considérés plus épanouis et plus performants par leurs managers, à peine six semaines après la mise en place du processus.
Comment mettre en place le job crafting ?
Si tous les secteurs d’activité et tous les métiers ne le permettent pas, il est de plus en plus facile d’adapter son travail à ses désirs et ses besoins. Les possibilités de “modeler” son emploi n’ont jamais été aussi importantes : profitons-en !
Voici, à cet égard, quelques pistes à explorer :
Du côté des employeurs
- Donner de l’autonomie aux salariés pour leur permettre de redéfinir leurs tâches s’ils le souhaitent ;
- Encourager les interactions sociales positives et la collaboration entre équipes ;
- Aider les collaborateurs à percevoir leur contribution et leur impact sur l'organisation ;
- Former les managers au soutien des pratiques de job crafting ;
- Privilégier une culture d’entreprise ouverte et innovante, mais aussi basée sur la confiance entre managers et collaborateurs ;
- Mettre en place une démarche progressive, qui se compose des étapes suivantes : diagnostic, expérimentation, déploiement.
Du côté des employés
- Lister ses tâches et les classer en 3 catégories : à garder, à déléguer, à remodeler ;
- Réfléchir aux tâches qu'on aimerait ajouter à sa fiche de poste ;
- Identifier ses relations clés et réfléchir à la façon dont on peut les enrichir et/ou les améliorer ;
- De même, identifier ses compétences phares et réfléchir à la meilleure façon de remodeler ses missions autour de celles-ci ;
- Revoir sa façon de penser son poste et son rôle (remise en perspective) ;
- Discuter avec son manager de la manière dont on peut évoluer dans son poste (identification des possibilités et des limites).
Quels sont les enjeux et limites du job crafting ?
Réimaginer son emploi et redonner du sens à ses missions quotidiennes. Utopique, le job crafting ? Il est certain que tous les salariés ne peuvent pas bénéficier pleinement de cette démarche. Cependant, il existe toujours une marge de manœuvre, même faible.
Jane Dutton et Amy Wrzesniewski, qui sont à l’origine du concept de job crafting, ont commencé par observer les agents d'entretien d'un grand hôpital du Midwest. Elles ont découvert que ces derniers “façonnaient” leur propre travail pour retrouver un peu d’autonomie dans un cadre très restrictif. Pour donner plus de sens à leur travail, ces agents d’entretien prenaient en charge des tâches supplémentaires pour aider les patients et leurs familles. Au lieu de percevoir leur emploi comme un simple gagne-pain, ils préféraient se considérer comme faisant partie d’un système de santé plus global, dans lequel leur travail leur offrait la possibilité d’aider les patients à se rétablir.
On voit donc que le job crafting n’est pas uniquement réservé aux cadres qui jouissent d’une certaine autonomie. Cependant, il connaît bien certaines limites, qu’il est important de prendre en compte :
Un concept qui n’est pas adapté à tous les emplois
C’est une évidence : certains salariés sont plus à même de “façonner” leur emploi que d’autres. Pour prendre un exemple un peu caricatural, il y a un monde entre un ouvrier à la chaîne et un cadre supérieur… Pour autant, le concept de job crafting part du principe que tous les employés disposent d’un minimum de latitude pour redéfinir leurs tâches. Reste à voir comment ces derniers peuvent la mettre à profit.
La nécessité d’un environnement de travail bienveillant
Sans un management ouvert d’esprit et bienveillant, le job crafting est beaucoup plus difficile à mettre en place. Cette démarche nécessite en effet un certain lâcher prise du côté des managers, qui doivent apprendre à faire confiance aux personnes qu’ils encadrent. Cela passe par accepter que celles-ci disposent de plus d’autonomie et de pouvoir.
L’importance de la régulation
Le job crafting doit s’effectuer dans un cadre délimité : en l’absence de toute régulation, en effet, se pose un risque de confusion des rôles. De même, des règles sont nécessaires pour parvenir à un bon équilibre entre liberté individuelle et cohérence collective.
Quid de l’impact sur la performance ?
Les vertus du job crafting ont été prouvées, mais il reste toutefois difficile d’en mesurer précisément les impacts sur la performance des salariés.
Le risque de tomber dans l’injonction
Être épanoui dans son job, trouver du sens à ce qu’on fait, entretenir des relations harmonieuses avec ses collègues… Les injonctions au travail sont nombreuses. Pour être efficace, le job crafting ne doit pas devenir une injonction managériale de plus. Il doit ainsi être envisagé pour ce qu’il est : un outil parmi d’autres, à mobiliser lorsque c’est possible.
Attention à la surcharge de travail !
On l’a vu, le job crafting implique notamment pour les salariés d’identifier de nouvelles tâches/missions pour enrichir leur quotidien. Si l’épanouissement peut effectivement passer par là, le risque d’une surcharge de travail n’est pas à négliger. On en revient donc à la nécessité de poser un cadre strict en amont.
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Que faut-il retenir sur le job crafting ?
Le job crafting est donc une approche innovante qui permet de redonner du pouvoir d'action aux salariés. A l’heure où la démotivation générale guette (en Europe, la moyenne des salariés engagés est seulement de 13% !), cet outil peut donc aider les entreprises à redonner motivation et enthousiasme à leurs collaborateurs. Il doit alors être considéré comme un levier d'engagement, de créativité et de performance.
Mais pour fonctionner, le job crafting a besoin de règles. Il est important pour les entreprises d’assurer un déploiement progressif, encadré et adapté au contexte de travail. L’objectif n’est pas de surcharger les salariés, ni de leur créer de nouvelles injonctions, mais bien de les aider à retrouver du sens dans leurs missions quotidiennes. Pour cela, les maîtres mots sont la confiance, l’écoute et l’autonomie.
À n’en pas douter, le job crafting questionne la fonction même du travail et le rôle des managers. Il s’impose comme une formidable opportunité de transformer les organisations et de les diriger vers plus d'agilité, de confiance et de responsabilisation.
Les entreprises exigent de plus en plus des salariés qu’ils soient acteurs de leur travail, et se montrent capables de se réinventer lorsque c’est nécessaire. À cet égard, le job crafting permet de prendre une longueur d’avance et d’offrir aux employés la possibilité de construire leur job, plutôt que de laisser leur job prendre le pouvoir sur eux.