société

Tribune – “La santé des femmes : un enjeu professionnel, et non intime”

Fatoumata Ly a co-fondé Ninti, une start-up de technologies médicales qui accompagne les entreprises sur les enjeux liés à la santé des femmes. Pour elle, si ces sujets sont si peu visibles au travail, c’est notamment parce qu’ils sont malheureusement considérés comme intimes et incongrus dans le cadre professionnel. Tribune.


5 min
7 octobre 2024par Fatoumata Ly

Tous les matins, avant de commencer ma journée, je fais une longue marche. Ce moment m’aide à préparer mon esprit à une tâche qui occupe mes pensées depuis plus de 900 jours : convaincre les entreprises d’intégrer la santé des femmes dans leurs priorités stratégiques. En tant que cofondatrice de Ninti, je rencontre régulièrement des DRH, des managers et des responsables Diversité et Inclusion, et une question revient sans cesse : “La santé des femmes, n’est-ce pas un sujet trop intime pour le cadre professionnel ?”.

C’est une fausse idée qui peut s'avérer préjudiciable pour plus de 50% de la population.

En France, nous accusons un retard en matière de prise en compte de la santé des femmes au travail. Contrairement à d’autres pays comme le Royaume-Uni ou la Suède qui ont déjà développé des politiques dédiées, nos entreprises peinent encore à reconnaître les spécificités liées au genre sur la santé et ses impacts sur les carrières. Le souci de “neutralité” empêche souvent les employeurs de se saisir de ces questions.

Résultat : la santé des femmes est laissée de côté, et les politiques de santé au travail continuent de se baser sur un modèle "d’homme moyen" (ANACT, 2022). Pourtant, les femmes représentent désormais près de 50 % de la main-d'œuvre. Ignorer leurs besoins spécifiques, c'est entretenir des inégalités structurelles.

Contrairement à l'idée reçue selon laquelle les femmes occuperaient des postes moins pénibles, les chiffres disent tout autre chose. Le rapport du Sénat en 2023 révèle que 60 % des personnes souffrant de troubles musculo-squelettiques (TMS) sont des femmes. En parallèle, les accidents de travail chez les femmes ont augmenté de 41,6 % entre 2001 et 2019 (ANACT, 2022). Les métiers à prédominance féminine, comme le nettoyage, la santé ou le care, restent les grands oubliés des politiques de prévention. Ces secteurs sont pourtant marqués par des tâches répétitives, des charges émotionnelles et physiques lourdes, ainsi qu’une exposition accrue aux risques psychosociaux.

Là où les entreprises ne voient qu'un problème “personnel” à gérer en silence, se cache une réalité professionnelle criante de discrimination indirecte. Les métiers occupés majoritairement par des femmes, souvent sous-valorisés, ne bénéficient pas des mêmes ajustements ergonomiques ou des mêmes protections que ceux des hommes dans des industries également moins florissantes économiquement. Tous les jours, nous avançons pour toutes ces femmes qui nous contactent pour nous partager leur détresse.

En refusant de reconnaître ces spécificités, les entreprises passent à côté d’un enjeu majeur de productivité et de bien-être au travail. Nous sommes dans une ère où la diversité et l’inclusion sont des piliers des stratégies RH, mais la santé des femmes est trop souvent évincée des priorités. Pourquoi ? Parce que cela implique de reconnaître que les femmes font face à des risques différents, mais tout aussi légitimes, que ceux des hommes. Par exemple, la menstruation, la ménopause, ou encore le syndrome prémenstruel ne sont pas des sujets privés, mais bien des réalités qui affectent la performance et l’engagement des collaboratrices. Les ignorer en pensant que cela permet aux femmes d’être traités à égalité contribuent à les mettre en échec.

À titre d'exemple, dans une étude menée par la Dares en 2023, il est clairement démontré que les femmes sont plus exposées aux risques psychosociaux(RPS), notamment dans des environnements de travail où la répétition et la charge émotionnelle sont élevées. Or, la reconnaissance de ces spécificités permettrait non seulement de réduire l’absentéisme, mais également d'améliorer le bien-être général des salariés, et par là même, d’accroître leur performance. En cas d’endométriose, combien de femmes nous demandent tous les jours si elles doivent en parler par peur de perdre leur emploi, ou une promotion à venir. Pour la PMA, combien de femmes nous racontent à quel point il est difficiles pour elles d’avancer quand on leur refuse un bonus par perception de l’absentéisme.

Alors, comment avancer ? La première étape est d’abandonner l’idée que la santé des femmes est un sujet trop “intime” pour l’entreprise. La santé des femmes, qu’il s’agisse de la gestion des cycles menstruels, des grossesses, des fausses couches, ou de la ménopause, est un enjeu de santé publique. Si nous n'agissons pas, les femmes continueront à souffrir en silence, avec des conséquences directes sur leur productivité et leur bien-être et, in fine, sur notre économie tout entière.

C’est précisément ce que nous constatons chez Ninti. Comme le témoigne Émilie, une collaboratrice que nous accompagnons depuis septembre 2023 : “Grâce à Ninti, j’ai compris que je n’étais plus seule. La plateforme NintiHealth m’a permis de reprendre le pouvoir sur ma santé et de prendre des décisions éclairées. Je me sens comprise et soutenue”. Ce soutien est la clé d’un environnement de travail inclusif.

Il est temps pour les DRH, les CFO, les CEO et les responsables Diversité et Inclusion de se saisir de ce sujet avec la même rigueur que pour d’autres enjeux de diversité. Intégrer la santé des femmes dans les politiques RH, ce n’est pas seulement une question de bienveillance : c’est un impératif d’équité et de performance organisationnelle.

La question n’est plus de savoir si c’est le rôle de l’entreprise. La réponse est claire : oui, c’est un enjeu professionnel qui doit être traité avec autant d’importance que les autres aspects du bien-être au travail. Il est grand temps que la santé des femmes soit visibilisée dans les priorités stratégiques, et que les entreprises prennent des mesures concrètes pour adapter les environnements de travail aux réalités qui touchent… à minima 50% de la population. Alors, on vous invite toutes et tous à ne pas laisser les craintes prendre les décisions. Le courage, c’est reconnaître sa peur et avancer malgré elle en passant à l’action.

Rejoignez-nous. Sensibilisez vos équipes et faites de la santé des femmes une priorité stratégique. Parce que le bien-être des collaboratrices est un facteur clé de succès pour l’entreprise.

Fatoumata Ly

Entrepreneuse, co-fondatrice de Ninti

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