société

L’aidance au féminin : un autre poids invisible de l’inégalité femmes-hommes

“Aidance : nom féminin. Aider de manière régulière, et sans rémunération, un proche handicapé, âgé ou en perte d’autonomie”. En 2030, un salarié sur quatre sera concerné, mais aujourd’hui l’aidance est encore un sujet genré. Le cliché : aidance = care = femmes n’en est pas un. C’est une réalité.


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“En moyenne, les salariés aidants sont âgés de 42,2 ans et consacrent 9,8 heures par semaine à s’occuper de leur(s) proche(s). Voilà ce que dit France Travail pour parler de l’aidance. Mais ce que ces chiffres ne disent pas, ou ne dévoilent pas, c’est le profil des aidants. Qui aident ? Principalement les femmes.

“60% des aidant.e.s sont des femmes, elles s’investissent aussi davantage dans l’aidance que les hommes”. C’est le constat posé (et chiffré) du rapport de la Fondation des Femmes.Je rencontre presque uniquement des femmes. Alors c'est peut-être par effet de sororité, mais en tout cas, je pense qu'il y a plus de femmes qui en parlent”, explique Sigrid Jaud, fondatrice de l’entreprise Aidantes & Co. “Il y a des hommes, mais ils vont moins volontiers en parler. Il y a cette idée de se dévoiler comme aidant qui est encore plus compliquée pour les hommes que pour les femmes”, précise-t-elle.

Les femmes, le pivot de l’aidance

De ce premier tabou nait forcément une inégalité de traitement. Ainsi les femmes sont beaucoup plus enclines (ou sollicitées ?) à / sur les tâches dites “morales ou psychologiques” : activités domestiques (courses, ménage), rendez-vous médicaux ou encore soins quotidiens (hygiène, habillement). Ainsi près de la moitié des aidantes (46%) ressentent une charge mentale trop importante. Une pression présente, mais qui se moins sentir chez les hommes (37%).

Au-delà de cette répartition des tâches plus souvent induite que choisie, se cache surtout un impact direct sur la carrière des femmes. “Une femme aidante ou une maman aidante va avoir plus de difficulté à se maintenir en emploi. Les femmes vont plus souvent demander un temps partiel”, rappelle Sigrid Jaud. Le rapport de la Fondation des femmes, intitulé “Le coût d’être aidante”, recense ces impacts. Un temps partiel subi beaucoup plus fréquent que pour les hommes (25% vs 10%), un stress et un épuisement pro plus importants Un rapport qui se conclut avec cette formule forte : “les femmes sont le pivot de l’aidance”.

Briser le tabou de l’aidance

Si l’aidance est un poids que l’on assume, on a souvent du mal à le reconnaitre (et à le faire connaitre). Et pour Sigrid, lever le tabou est l’une des clés pour valoriser l’aidance. Elle évoque ainsi l’effet miroir : les salariés n’ont pas envie de le dire parce qu’ils ont peur d'être stigmatisés ou d'être mis au placard. Parfois, ils ne savent pas que leur entreprise propose des dispositifs pour les accompagner. Et de l'autre côté, on a aussi des employeurs qui sont souvent réticents car ils disent : ‘c'est quand même de la vie privée, j’ai pas envie d'aborder un sujet qui est lié à l'intimité, à la vie perso’”.

Aujourd’hui, seule 1 entreprise sur 10 a pris des mesures pour les salariés aidants (Baromètre de l’Observatoire solidaire, 2023). De l’autre, à peine plus d’un quart des salariés (27%) ont fait connaitre leur situation à leur employeur. Alors que faut-il en déduire : les entreprises ne font-elles rien parce que personne ne se déclare ou bien personne ne se déclare-t-il parce que les entreprises ne font rien ?

L’entreprise a un rôle déterminant à jour là-dedans, selon Sigrid Jaud : si on sensibilise les RH ou les managers au sujet et si on les accompagne sur la posture à adopter, on va casser le tabou et faire en sorte de créer un vrai dialogue entre le collaborateur et son employeur”.

Notre experte, qui a connu l’aidance, elle aussi, invite à être vigilant sur les “signaux faibles qui peuvent indiquer que la personne va pas très bien : un collaborateur qui arrive plus souvent en retard qu'un peu, qui est stressé ou qui tout d'un coup va partir en urgence parce qu’il s'est passé quelque chose”.

En parler, oui, mais pas à la machine à café

Mais une fois le malaise identifié, comment faire pour le résoudre ? Pour Sigrid Jaud, “il faut le faire de manière positive et pas à la machine à café. Il faut prendre un temps avec son collaborateur pour parler des choses”. L’aidance ne doit plus être vue comme quelque chose de triste et de très impliquant négativement. Ça peut être aussi quelque chose de très positif”, embraye-t-elle.

En 2030, un salarié sur 4 sera concerné par l’aidance. Peut-on imaginer les entreprises se priver d’un quart des talents ? La réponse semble évidente. Face à la timidité (ou la pudeur) que fait naitre l’aidance, les solutions existent pourtant déjà. Et c’est bénéfique aussi bien pour le salarié que pour l’entreprise.

“Un collaborateur qui se retrouve dans une position de proche aidant subit une fatigue physique et mentale qui altère ses capacités et l’empêche d’être pleinement productif, y compris s’il est présent sur son lieu de travail”. C’est l’une des conclusions du rapport de la Fondation des femmes qui estime que les “coûts cachés” de l’aidance représenteraient “10 % de la masse salariale” et que “deux tiers d’entre eux pourraient être évités grâce à un meilleur accompagnement des aidants”. Parmi les besoins prioritaires des aidants, on remonte 2 axes : l’aménagement du temps et l’aide financière.

Ne plus banaliser les compétences

Aider les aidants, ce n’est pas qu’un bienfait unilatéral. Être aidant, c’est aussi une manière de développer, révéler, tout un tas de compétences enfouies en nous. “Les aidants disent souvent : “moi j'ai un trou dans la raquette, dans mon cv, là ça ne va pas du tout”. Mais quand on pointe leurs compétences avec eux, on voit énormément de compétences qui ne sont pas identifiées par les aidants eux-mêmes”, sourit Sigrid Jaud. “Les compétences qu'on développe en tant qu’aidant, sont des compétences qui vont être de plus en plus demandées : la prise de décision rapide, l’analyse, l’adaptabilité, déléguer”.

Pour elle, “valoriser les compétences et les qualités qu'on a, c'est bon pour l'entreprise aussi”. Elle rappelle que “les salariés aidants sont des atouts pour l’entreprise car ils sont fiables et loyaux, notamment”. Plus encore, à l’heure où les talents s’évaporent, fidéliser et attirer, deviennent les maitres-mots d’une entreprise pérenne. “C'est sûr qu'une entreprise qui a déjà pensé à proposer des dispositifs qui sont favorables à une meilleure conciliation des temps de vie en général, et aussi par rapport aux aidants, ça va permettre de recruter ces personnes-là”.

Libérer la parole, valoriser ses compétences, adapter les vies et équilibrer les efforts, voici les 4 voies que doivent prendre entreprises et salariés pour répondre à l’immense défi qu’est l’aidance. 2030, ce n’est vraiment pas si loin…

🌴 Pour aller plus loin sur l’aidance avec Sigrid Jaud
  • Les aidantes & co : pour accompagner les entreprises pour qu’elles soient plus inclusives sur le sujet des aidants.
  • Aidants et bien plus”, l’association “parce qu'on est bien plus que des aidants” rappelle-t-elle.
  • Le podcast “plan aidants”. Pour “donner la parole aux aidants”

Yannick Merciris

Head of Editorial The Daily Swile

Journaliste qui aime autant les mots que le ballon rond. Vu que je gère mieux le premier que le second, j’ai décidé […]

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